Grégorien : Introït Da pacem (24ème dimanche ordinaire, 18ème dimanche après la Pentecôte)

Publié le 17 Sep 2016
Grégorien : Introït Da pacem (24ème dimanche ordinaire, 18ème dimanche après la Pentecôte) L'Homme Nouveau

« Donne la paix, Seigneur, à ceux qui t’attendent, afin que tes prophètes soient reconnus fidèles ; écoute les prières de ton serviteur et de ton peuple Israël. Je me suis réjoui quand on m’a dit : nous irons dans la maison du Seigneur » (Siracide, 36, 15, 16 ; Psaume 121, 1)

Les introïts du premier mode ont une couleur bien particulière : ils rayonnent la paix. Celui-ci est par excellence un chant de paix. Non seulement parce qu’il commence par ce mot et ce souhait de paix, mais aussi parce que toute sa mélodie et aussi son contexte liturgique sont très évocateurs de la paix qui est liée à la ville de paix, Jérusalem. Dans l’antiquité chrétienne, la messe du 18ème dimanche après la Pentecôte n’existait pas. La nuit précédant ce dimanche avait été une nuit de veille consacrée notamment aux ordinations. La veillée se prolongeait tard dans la nuit et s’achevait par la messe au petit matin. Du coup cette messe qui restait liée au samedi, célébrée dans la nuit de samedi à dimanche valait pour ces deux jours et le dimanche était vacant. Ce n’est que plus tard, dans les milieux monastiques notamment, qu’on a composé une messe pour ce 18ème dimanche après la Pentecôte, qui est devenu uajourd’hui le 24ème dimanche du temps per annum. Les moines ont particulièrement la nostalgie de l’éternité. Leur renoncement au monde les place plus spontanément peut-être dans la perspective du ciel. D’où leur amour de la Jérusalem céleste, cette cité de Dieu qui est aussi l’Épouse : un monde idéal où règne la paix, où triomphe enfin l’amour sans crainte de guerre, de maladie, de mort, de souffrance, de péché et d’offense. On pense à la ronde des élus de Fra Angelico, cette merveille d’évocation du bonheur éternel qui nous attend. Alors quand les moines ont composé cette messe, ils ont développé ce thème de la Jérusalem céleste, dont le monastère, à leurs yeux, représente l’ébauche et comme l’anticipation. Et les chants de cette messe sont tous en rapport avec la ville sainte ou le temple. L’introït évoque la paix, nom propre de Jérusalem qui signifie vision de paix ; le graduel Lætatus sum fait allusion au pèlerinage qui conduit les fidèles dans la maison du Seigneur et à la joie de cette circonstance (la paix est aussi mentionnée dans ce chant) ; l’alleluia célèbre l’hommage des nations elles-mêmes à la gloire du lieu saint et du roi divin qui y habite ; l’offertoire et la communion mentionnent les sacrifices qui montent du temple vers le Seigneur en offrande d’agréable odeur (évocation de l’eucharistie chrétienne, l’unique sacrifice qui résume et accomplit la multitude des sacrifices de l’ancienne alliance).

Voilà donc le contexte liturgique de notre chant d’entrée. Comme souvent, ce chant est un porche d’entrée, une clef qui permet de pénétrer à l’intérieur de l’édifice, dans le mystère. Le texte est emprunté au Siracide, mais le premier mot est modifié intentionnellement par le compositeur qui remplace mercedem par pacem, la récompense par la paix. La paix est définie par saint Augustin comme la tranquillité de l’ordre. Pour moi, une des images les plus expressives de la paix, dans sa dimension sociale, c’est l’image des portes ouvertes dans la cité céleste, selon le texte de l’Apocalypse (21, 25). Une image qu’on retrouvait autrefois dans les paroisses, et de façon trop rare aujourd’hui : la petite église du village, en son centre, était toujours ouverte et offrait en permanence la pénombre rafraîchissante de son silence et de sa présence sacrée à qui y pénétrait pour prier et s’y reposer un instant. Merveilleuse image de sécurité. La maison du Bon Dieu était ouverte à tous. Aujourd’hui nos églises sont fermées par crainte es vols ou des sacrilèges et aussi parce que personne de toutes façons ne les fréquentent dans le courant de la journée. On est tous affairés et on ne prend plus le temps d’accorder à notre âme de respirer un peu. D’où, en contraste, l’impression de paix que ressentent les gens qui visitent les monastères. C’est un autre monde, c’est le monde de la paix, le monde de la sécurité dans l’enceinte protectrice des murs de clôture. Et au cœur de cette paix, il y a la source de la paix, la présence mystérieuse de l’Hostie qui s’offre à notre contemplation. La vraie paix, la seule paix, c’est celle qui nous met en relation vivante avec le Seigneur. Dans cette paix, la prière des fidèles peut s’élever. C’est l’occupation de l’éternité, la plus haute qu’il soit donné à l’homme d’exercer dès ici-bas.

Da pacem 1

Au plan mélodique, nous sommes encore en présence d’un premier mode, ce mode de la paix qui ici convient à merveille, et dès le début. L’intonation classique du premier mode (avec sa quinte Ré-La et la présence répétée du Si bémol) campe d’emblée la pièce tout entière dans cette atmosphère de paix que le texte souligne lui aussi, lui d’abord. La paix est un don de Dieu et c’est pourquoi notre chant commence par une prière de demande. Don de Dieu, don d’en haut, et la mélodie s’élève durant tout ce passage, sur les trois mots de la prière de demande. L’accent de Domine est au levé du rythme, il faudra donc bien le sentir et l’épanouir avant d’atteindre le double Do avec douceur, puis donner à cette longue de la vie et de la chaleur. Sans forcer la voix car tout cet introït est plein de douceur. C’est une belle courbe ondulante qui ne connaît pas de saillies et les voix doivent demeurer calmes. Sur le long mot sustinentibus et le petit te de la fin de la phrase,, la mélodie redescend progressivement de la dominante La jusqu’à la tonique Ré, en s’appuyant, sur l’accent de sustinentibus, sur la corde de Fa, dominante du 2ème mode. On peut admirer le beau balancement de tout ce passage très coulant, très légato, sans aucun accident, et il faut veiller justement à garder l’unité du mot sans le hacher en plusieurs syllabes.

La deuxième phrase est brève, elle est située dans les mêmes intervalles, entre le Ré au grave et le Do. Seulement elle commence au grave, là même où s’était achevée la première phrase, puis va monter lentement, régulièrement, irrésistiblement vers le double Do de inveniantur. Elle est vraiment belle cette longue montée sur prophetæ tui fideles. On a l’impression de voir défiler tous les prophètes de l’Ancien Testament. Leur fidélité aussi est un don de Dieu et elle ne peut se manifester que si Dieu a d’abord fait aux hommes la promesse initiale de sa paix, de son amour. Voilà pourquoi cette phrase commence par le petit mot ut qui répond exactement au petit mot te de la fin de la phrase précédente. Il n’y a pas de prophètes s’il n’y pas de prophétie, de message à annoncer ; et il ne peut y avoir de message s’il n’y a pas au préalable une révélation issue du cœur de Dieu. Il faut partir piano sur ce début de phrase, humblement, pour ménager un beau mais doux crescendo, sans forcer. c’est une vague d’amour et de fidélité qui monte et s’élève vers Dieu en réponse à la pluie de paix qui s’est répandue sur l’humanité. Tous les accents des mots prophetæ, tui, fidelibus, sont au posé et bien fermes. Le cheminement mélodique se fait par degrés conjoints, c’est-à-dire sans autre intervalle que des secondes, à l’exception des deux tierces Ré-Fa du début et La-Do en arrivant au sommet (notons d’ailleurs la similitude de ces deux passages). Il y a une autre tierce Si bémol-Sol sur le torculus de tui. Tout le reste est fait de degrés conjoints, d’où l’unité profonde et la paix de tout ce passage. La descente sur inveniantur est elle aussi très expressive, justement en contrastes avec des intervalles de tierce plus nombreux, avant que la mélodie vienne se poser sur le Fa. Il faut chanter ce mot en élargissant le tempo, et les deux longues qui commencent le mot y contribuent, le tout dans l’atmosphère de douceur qui continue d’envelopper toute la pièce.

La troisième phrase commence également là où s’est terminée la phrase précédente. Ici ce n’est plus le Ré mais le Fa. On voit ainsi la grande continuité de ce chant d’entrée. Cette troisième phrase commence par un verbe qui exprime la prière de supplication. La présence constante des Si bémols, tout au long de la pièce, nourrit le sentiment d’intimité qui s’exprime tout naturellement sur ce verbe exaudi. L’âme confiante s’adresse au Seigneur avec la calme certitude d’être entendue. Il faut quand même chanter ce mot avec ardeur. La répétition mélodique La Si bémol sur preces, comme aussi le pluriel de ce même mot preces, donne l’impression d’une prière instante et répétée, une prière inlassable. Le Seigneur fait de cette persévérance une des conditions de la prière exaucée. Le mot tui est traité admirablement. Il y a beaucoup de tendresse dans cette mélodie ramassée, toute enfermée entre le Fa et le La, avec une cadence en Sol, empruntée au 8ème mode, le mode de la plénitude, qui confère à toute cette prière une note de certitude. La prière est mentionnée comme intime et publique. Servi tui, ce peut-être le prêtre ; la foule c’est l’assemblée qui célèbre, il y a donc là toute l’Église, l’Israël de Dieu (beaucoup de complaisance sur ce mot). On reconnaît là la double dimension de la liturgie, sa dimension personnelle et sa dimension sociale, unies intimement dans ce chant d’entrée qui débouche alors sur son beau verset de joie qui est aussi une promesse : « Je me suis réjouis quand on m’a dit : nous allons vers la maison du Seigneur ».

Pour écouter cet introit :

Da pacem 2

Ce contenu pourrait vous intéresser

CultureLectures

Chroniques pour le passé, leçons pour l’avenir

Entretien | Le dernier livre de Jean-Pierre Maugendre, président de « Renaissance catholique », Quand la mer se retire*, rassemble ses chroniques des vingt dernières années. Loin de l’inventaire morose des difficultés du passé, il se veut un rappel des causes de la tragédie actuelle de la France et de l’Église, destiné aux jeunes générations, pour inspirer et guider leurs combats pour le salut des âmes et la survie de notre pays.

+

passé avenir Quand la mer se retire
CultureLectures

Au théâtre du Roi

Journaliste, critique de cinéma, spécialiste du rock, mais aussi féru de littérature et essayiste, Laurent Dandrieu a publié plusieurs ouvrages sur des artistes du passé. Après Fran Angelico, Le Bernin et les « peintres de l’invisible », il nous offre un essai sur Molière : Le Roi et l’Arlequin.

+

livres 1820

Vous souhaitez que L’Homme Nouveau poursuive sa mission ?