Saint Thomas d’Aquin, remède contre la modernité

Publié le 07 Mar 2024
Saint Thomas d'Aquin

Saint Thomas d'Aquin par Joseph Aubert, Basilique Saint-Étienne de Jérusalem.

Célébrer le Docteur Angélique, saint Thomas d’Aquin, théologien du XIIIe siècle, à l’heure de l’intelligence artificielle et de l’humain augmenté semble désuet. Néanmoins, les principes directeurs de sa pensée peuvent toujours inspirer la nôtre. 

 

La récente inscription de l’infanticide prénatal parmi les droits constitutionnels est un exemple flagrant de ce dont est capable l’être humain privé de repères. Avant de devenir moraux, ces derniers sont d’abord intellectuels.  

La société contemporaine est tiraillée entre un matérialisme triomphant et la galaxie des philosophies idéalistes (ou des idéologies philosophiques c’est selon). Force est de constater que les catholiques eux-mêmes sont parfois un peu perdus et que leur foi reste souvent le dernier rempart, même du simple droit naturel. 

 Le docteur angélique vient à point nommé guérir notre ignorance ou raffermir nos certitudes chancelantes. À la lumière de son enseignement, il convient de mettre en lumière les erreurs philosophiques qui faussent le raisonnement et paralysent l’action. 

Science de la connaissance et mentalité contemporaine 

La pensée contemporaine est héritière de Descartes. Il constate que dans le sommeil nos sens nous trompent. Il n’est donc pas possible de considérer qu’ils fournissent des informations fiables sur le réel. Il faut donc une autre source de la connaissance. 

Or, l’humain (qui est imparfait) a en lui l’idée qu’il existe un être parfait. Cette idée ne peut venir de lui-même et doit donc lui être insufflée par cet être parfait qui est Dieu. Étant la vérité même, Il ne peut tolérer l’erreur. Grâce à la Révélation, l’humain a une source fiable de connaissance du réel. 

Finalement le rapport avec le monde devient un acte de foi en Dieu. Il utilise le mode de réflexion de la théologie dans le domaine philosophique : l’art de rendre compliqué ce qui était simple. A l’école d’Aristote, saint Thomas considère que les sens fournissent une information fiable permettant de connaître le réel. 

La faille de Descartes ? S’il est possible d’imaginer une licorne sans pour autant qu’elle existe, il en est de même pour Dieu. Toute certitude objective (venant de l’objet) disparaissant, c’est au sujet (la personne qui connaît) de dire le réel tel qu’elle le conçoit. 

Le savoir ne se reçoit plus mais se construit. C’est le sujet connaissant qui détermine le vrai et le faux, le bien et le mal, qui est humain ou pas, qui doit vivre ou mourir. Cela avec d’autant plus de licence que depuis la Renaissance, c’est l’humain et l’individu qui sont devenus la mesure et la référence de toute chose. Bien évidemment, tout lien avec des débats politiques actuels ne saurait être que fortuit. 

Hors du champ expérimental, il ne reste rien de certain. Le savoir ne se reçoit plus mais s’acquiert. Dieu n’existant plus et la raison ne pouvant rien connaître avec certitude, la religion est reléguée au rang d’opinion privée. L’humain ne découvre plus la loi naturelle qui le régit, mais se détermine seul. S’étant associé à ses semblables, c’est le consensus et le nombre qui auront force de loi. La liberté ainsi découverte a été de bien courte durée. 

Réalisme et hiérarchie des sciences 

Saint Thomas au contraire, prend le réel dans toute sa richesse : le visible et l’invisible, le matériel et le spirituel, l’évident et le complexe. Ce qui l’intéresse c’est tout ce qui existe : l’étant. 

Constatant la capacité de notre intelligence à abstraire des concepts à partir des objets du quotidien, Aristote avait conclu à l’immatérialité de l’âme humaine, donc à son immortalité puisque l’esprit ne peut connaître la corruption. D’un degré d’être plus élevé que les étants matériels, elle est plus haute et plus noble. 

De là vient une hiérarchie des sciences bien différente de celle que nous connaissons. Ce ne sont plus la physique et la mathématique ou bien l’économie qui priment (toutes trois traitant de l’ordre constaté ou mis dans les êtres matériels), mais la philosophie (qui cherche les causes de ce qui existe), la théologie (qui cherche le divin) et la grammaire qui les exprime. 

Foi et raison : le règne social du Christ 

Le réel est connaissable. Tout être humain étant, non seulement capable, mais tenu de chercher et de trouver les vérités accessibles à sa raison, peut donc connaître l’existence de Dieu et comprendre sa dépendance radicale de cet être tout-puissant ainsi que la nécessité de lui rendre un culte. 

Ainsi, l’acte de Foi, procédant de la volonté informée par l’intelligence est un acte raisonnable. Celle-ci éprouve les motifs de crédibilité de la foi et celle-là adhère à Dieu qui se révèle.  

Poursuivant sa réflexion, l’être humain reconnaîtra la société comme une nécessité de sa nature, non seulement pour sa survie mais pour l’épanouissement de ses facultés, notamment affectives. Il en découle évidemment que le Dieu créateur des individus est aussi à l’origine de la société elle-même. 

Ce n’est donc plus seulement la personne individuelle qui est tenu de rendre un culte à Dieu et d’obéir à ses lois : c’est la société constituée. 

En outre, le corps et l’âme étant intimement liés, la finalité de l’homme n’est pas seulement terrestre : l’État, garant du bien commun en permettant à chacun d’atteindre sa vraie fin, ne saurait se limiter à la recherche d’une félicité uniquement temporelle. 

Ainsi l’Église et l’État ne peuvent être séparés car ils contribuent tous deux, à faire parvenir les humains à leur fin. Si leurs champs de compétence sont distincts, leurs finalités se recoupent. 

Un état qui prétendrait passer outre la fin dernière de ses administrés manquerait nécessairement à une partie de sa raison d’être. Une société qui ne reconnaîtrait pas l’existence de Dieu méconnaîtrait son origine et le cadre de son existence. Un individu sans source fiable de connaissance du réel ne peut appréhender l’existence de Dieu, sa finalité et la règle de son agir (l’éthique). 

Victime du triomphe d’erreurs philosophiques, le monde déboussolé court à sa ruine. Seul un réarmement intellectuel permettra de le sauver. Cela passera certainement par le retour au premier plan de la philosophie pérenne d’Aristote et de la Foi rationnelle de son disciple Thomas d’Aquin.

 


LEsprit de st Thomas thomas d'aquin

> Retrouvez également :  L’Esprit de Saint Thomas d’Aquin – R.P. Ch.-A. Joyau, OP

De 2023 à 2025, trois années jubilaires célèbrent pour Saint Thomas d’Aquin les anniversaires de sa naissance, de sa mort et de sa canonisation.

À cette occasion, la réédition de ce beau livre du R.P. Joyau, publié à la fin du XIXe siècle, vise à faire connaître la figure rayonnante de Saint Thomas d’Aquin.

 

 

> à lire : Constitutionnalisation de l’avortement, laïcité et royauté sociale du Christ

Chanoine Arnaud Jaminet +

Ce contenu pourrait vous intéresser

EgliseLiturgie

La Pause liturgique : Gloria 6, Rex Génitor, (Mémoires des Saints)

Ce Glória est daté du Xe siècle, et il est utilisé, comme le précédent, pour les fêtes des Saints. Les sources manuscrites de ce Glória, assez peu nombreuses, sont toutes françaises, ce qui semble indiquer son lieu d’origine et de composition. Il emprunte sa mélodie au 8e mode, mais il est tout différent du précédent : tandis que le Glória 5 s’envole à chaque verset vers les hauteurs de la quinte du mode authente, celui-ci se cantonne pour l’essentiel à l’intérieur d’une tierce très modeste, Sol-Si. Bien sûr, il se déploie à l’aigu de temps en temps, mais il est beaucoup plus horizontal que son voisin.

+

gloria grégorien
Eglise

La réparation comme démarche spirituelle

Commentaire du Pape | À l'occasion du 350e anniversaire des apparitions du Sacré Cœur de Paray-le-Monial, le Pape a prononcé quelques mots lors du colloque « Réparer l’irréparable », organisé le 4 mai dernier au Vatican. 

+

réparation France sacré cœur roi
A la uneEgliseMagistèreThéologie

Jean Madiran : lecteur critique de Gustave Thibon

Dossier « Jean Madiran et Gustave Thibon, un compagnonnage intellectuel ? » | Considéré par les lecteurs d’Itinéraires comme un collaborateur régulier de la revue, Gustave Thibon n’y donna en réalité qu’épisodiquement des articles, marquant toujours une certaine réserve par rapport au contenu. Directeur de la revue, Jean Madiran le sollicita à de nombreuses reprises mais s’éloigna de plus en plus du philosophe. Retour sur la rencontre de deux grandes figures qui évoluèrent différemment.

+

gustave thibon jean madiran