L’avenir d’une partie de la droite, c’est de redevenir la gauche

Publié le 02 Déc 2016
L’avenir d’une partie de la droite, c’est de redevenir la gauche L'Homme Nouveau

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger les recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l’ICES (Institut Catholique d’Études Supérieures). Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages scientifiques ou destinés au grand public. Il commente régulièrement la vie politique française dans les médias écrits et audiovisuels. C’est à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, La guerre à droite aura bien lieu (Desclée de Brouwer, 2016, 396 p., 19, 90 €), que nous l’avons rencontré.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Dans le contexte des élections (les primaires, la présidentielle, les législatives), il est nécessaire d’avoir des repères clairs. Ce livre entend les apporter et il concerne donc tous nos concitoyens. Mais, cet ouvrage ne se réduit pas à une simple analyse des enjeux électoraux susceptible d’être rapidement dépassée une fois les scrutins passés. Il entend proposer une vue sur un plus long terme, à la fois un enracinement dans le passé (la formation des positionnements politiques) et une prospective pour l’avenir (la possible recomposition du système partisan).

Quel est l’objet de ce livre ?

À travers et à l’aide de l’histoire et de la philosophie, ce livre analyse la vie politique française. C’est d’abord une description des rapports de force partisans : l’évolution du clivage droite-gauche, l’effet de balancier qui joue entre les élections nationales et locales, la tripolarisation, le plafond de verre auquel le FN est confronté, la distinction entre les votes de protestation et d’adhésion ou encore la stratégie de conquête du pouvoir des différentes formations politiques.

C’est ensuite un diagnostic de la situation plus que dégradée que nous connaissons : d’une part, la triple insécurité (physique et matérielle, économique et sociale, culturelle et morale) qui frappe la France et, d’autre part, la progression de la défiance des Français vis-à-vis de leurs élites, en particulier le personnel politique professionnel. Mais, ce livre n’est pas un simple constat, il est aussi une explication des raisons qui nous ont conduits à la situation actuelle : cela est dû à l’influence du subjectivisme, du contractualisme et du matérialisme.

Comment avez-vous écrit ce livre ?

Il est le résultat de plusieurs années de recherches et d’analyses dont certaines ont été publiées dans des ouvrages universitaires ou dans des articles de presse. En 2007, dans l’ouvrage collectif Les forces politiques françaises (PUF, 448 p., 29,50 €), j’ai montré que, désormais, le clivage droite-gauche ne passe plus sur la question du régime politique comme au XIXe siècle ou du rôle économique de l’État comme au XXe siècle, mais sur le critère de la définition et de l’identité des corps sociaux, qu’il s’agisse de la famille, de la nation ou de l’Europe. Les classiques (dont la position s’appuie sur l’idée d’un ordre cosmologique des choses dans lequel la volonté des hommes doit s’inscrire) s’opposent aux modernes (selon lesquels l’existence et les règles de fonctionnement des corps sociaux sont données par la seule volonté des hommes).

À partir de 2012, j’ai défini, dans plusieurs articles de presse, le concept de « mouvement dextrogyre » pour rendre compte de l’évolution du paysage politique : il ne s’agit pas seulement ; même si elle est réelle, de la droitisation de l’électorat, mais aussi (et peut-être surtout), en raison de l’épuisement idéologique de la gauche, du retour en force des idées de la droite ontologique, les idées de la philosophie classique qui reviennent dans le débat par la droite du spectre politique.

Il s’agit donc d’un ouvrage mûri par plusieurs années de recherches. Mais, le rassemblement et la mise en forme de ces dernières sont, ici, originaux.

Quelle est la thèse centrale que vous défendez dans ce livre ?

Pendant deux siècles, la vie politique s’est organisée sur la base du sinistrisme : les nouvelles forces politiques sont apparues par la gauche et ont repoussé sur la droite du système partisan celles qui étaient plus anciennes. Il y a donc une partie de la droite, au sens partisan du terme, qui est idéologiquement de gauche. Mais, avec la chute du mur de Berlin, la dynamique s’est inversée : c’est désormais par la droite que viennent l’innovation et la pression idéologiques : c’est le « mouvement dextrogyre ». Il ne consiste pas en un durcissement idéologique dans la modernité, mais dans un retour en force des idées classiques.

Le clivage entre les classiques et les modernes ne se situe pas entre les partis mais passe en leur sein. Il y a, dans tous les partis politiques classés à droite, depuis le centre jusqu’au FN compris, des personnes qui professent une philosophie politique réaliste et qui sont doctrinalement plus proches qu’elles ne le sont de certains membres de leurs propres partis. Une saine recomposition du spectre politique passe par leur association supposant un décloisonnement partisan. Or, les actuelles organisations politiques n’y ont évidemment pas intérêt et redoutent la clarification doctrinale qui entraînerait leur implosion. Il apparaît donc indispensable que ce soit la base qui l’exige et l’impose.

Quels sont les thèmes abordés dans ce livre ?

Ils sont nombreux. Mais, c’est un livre qui fait des liens et ouvre des perspectives. J’essaye de montrer que toutes les questions se tiennent : régime politique et « valeurs républicaines », laïcité et communautarisme, immigration et identité nationale, justice et insécurité, économie et mondialisation, famille et bioéthique, etc.

J’explique l’opposition idéologique à travers tous ces thèmes. La guerre entre la droite classique et la droite moderne aura bien lieu : à terme, la première restera la droite et occupera tout son espace politique ; la seconde, profitant de l’effacement idéologique des forces socialistes, redeviendra la gauche.

Je crois que la force du concept interprétatif que je propose, le « mouvement dextrogyre », c’est qu’il embrasse l’ensemble de la réalité et la rend intelligible : il ne se focalise par sur les idées en oubliant les hommes, il ne traite pas que des partis et des élections en oubliant les doctrines.

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