Si Pie XII et Jean-Paul II purent à juste titre dire que « le plus grand péché du siècle était la perte du sens du péché » corollaire de la perte du sens de Dieu, les papes Benoît XVI et François ont su en tirer une conséquence importante pour la vie spirituelle, à savoir la perte de l’espérance. Benoît XVI consacra à ce thème sa deuxième encyclique et le Pape François y insiste constamment spécialement en cette année de la miséricorde, tant ces deux vertus demeurent étroitement liées. L’espérance qui ne déçoit jamais, selon saint Paul, est fondée sur la certitude que Dieu est miséricorde. Le Pape François en fait le thème de son homélie lors de la cérémonie du jubilé des prisonniers.
Les textes de la messe de ce jubilé montrent que si l’espérance est une vertu, elle est avant tout un don du Dieu des miséricordes. La foi des martyrs, en l’occurrence celle des Maccabées, reconnaît en Dieu la source de l’espérance et la capacité d’engendrer à une vie nouvelle et éternelle avec lui. C’est déjà le « nous sommes sauvés en espérance » de saint Paul. Aux Sadducéens qui ne croyaient ni en l’immortalité de l’âme ni en la résurrection des morts, Jésus avait répondu que Dieu « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». Cette espérance dans une éternelle vie de bonheur avec Dieu demeure pour tout chrétien une aide précieuse pour demeurer fidèle à l’enseignement de Jésus. Mais étant un don entièrement gratuit de Dieu, l’espérance doit être demandée dans une prière fréquente et persévérante, en raison surtout de la haine de Satan pour l’espérance dont il s’est lui-même privé à tout jamais. Il ne veut pas que les âmes se sauvent et pour cela il utilise, en bon singe de Dieu, une arme symétriquement opposée : le désespoir. Voilà pourquoi il faut tellement prier pour les agonisants que le diable s’efforce de faire désespérer de la miséricorde divine. À l’inverse, l’espérance nous fait comprendre que sur terre tous les péchés peuvent être pardonnés. L’espérance est ainsi la respiration de l’âme sauvée, car elle appelle au secours le Dieu des miséricordes.
Les prisonniers visités par le Pape avaient besoin d’entendre ce langage qui est celui de Jésus à la femme adultère. Leur condamnation est certes justifiée, leur privation de liberté est une peine juste qui doit être purgée. Mais au plus intime d’eux-mêmes, ils doivent respirer l’espérance pour pouvoir repartir à zéro quand la liberté leur sera accordée. C’était le grand enseignement de Saint Paul, surtout dans l’Épître aux Romains. Toute brebis perdue est attendue par le Père des miséricordes. Aussi les prisonniers doivent-ils se convaincre que Dieu les visitera et ne les abandonnera pas. Et c’est bien la miséricorde qui leur permettra d’aller à la rencontre de ce Dieu qui veut leur salut. Le Pape reconnaît qu’il ne dépend pas de lui d’accorder aux prisonniers la liberté. C’est à la justice civile de trancher en veillant cependant à ne pas tomber dans une hypocrisie peccamineuse. Mais le Pape peut rappeler aux prisonniers que nous sommes tous pécheurs et que sans la grâce nous aurions commis peut-être de plus grands péchés qu’eux, comme l’enseigne si bien sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Me revient ici à la mémoire les paroles très profondes que prononçait le Pape dans une circonstance analogue : « Tout juste a un passé, tout pécheur a un avenir ». Ici il se contente de donner l’exemple du Bon Larron qui selon saint Augustin « a tout volé y compris son paradis ». Mais nous avons encore mieux que le Bon Larron ; nous avons Marie, la femme libre par excellence car exempte de tout péché.
L’homélie du Pape
Le message que la Parole de Dieu veut nous communiquer aujourd’hui est certainement celui de l’espérance, celui de cette espérance qui ne déçoit pas.
L’un des sept frères condamnés à mort par le roi Antiocos Epiphane dit : « On attend la résurrection promise par Dieu » (2 M 7, 14). Ces paroles manifestent la foi de ces martyrs qui, malgré les souffrances et les tortures, ont la force de regarder au-delà. Une foi qui, tandis qu’elle reconnaît en Dieu la source de l’espérance, révèle le désir d’attendre une vie nouvelle.
De même, dans l’Évangile, nous avons entendu comment Jésus, avec une simple réponse mais parfaite, efface toute la banale casuistique que les Saducéens lui avaient soumise. Son expression : « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui » (Lc 20, 38), révèle le vrai visage du Père, qui ne désire que la vie de tous ses enfants. L’espérance de renaître à une vie nouvelle est donc ce que nous sommes tous appelés à faire nôtre pour être fidèles à l’enseignement de Jésus.
L’espérance est un don de Dieu. Nous devons la demander. Elle est mise au plus profond du cœur de chaque personne afin qu’elle puisse éclairer de sa lumière le présent, souvent obscurci et assombri par tant de situations qui portent tristesse et douleur. Nous avons besoin d’affermir toujours davantage les racines de notre espérance, pour qu’elles puissent porter du fruit. En premier lieu, la certitude de la présence et de la compassion de Dieu, malgré le mal que nous avons accompli. Il n’y a pas d’endroit dans notre cœur qui ne puisse pas être atteint par l’amour de Dieu. Là où il y a une personne qui a commis une faute, là se fait encore plus présente la miséricorde du Père, pour susciter le repentir, le pardon, la réconciliation, la paix.
Espérer, toujours
Aujourd’hui, nous célébrons le Jubilé de la Miséricorde pour vous et avec vous, frères et sœurs détenus. Et c’est à cette expression de l’amour de Dieu, la miséricorde, que nous sentons le besoin de nous confronter. Certes, le manquement à la loi a mérité la condamnation ; et la privation de la liberté est la forme la plus lourde de la peine qui est purgée, car elle touche la personne dans son fond le plus intime. Et pourtant, l’espérance ne peut s’évanouir. Une chose, en effet, est ce que nous méritons pour le mal fait ; autre chose, en revanche, est le fait de ‘‘respirer’’ l’espérance, qui ne peut être étouffé par rien ni par personne. Notre cœur espère toujours le bien ; nous le devons à la miséricorde avec laquelle Dieu vient à notre rencontre sans jamais nous abandonner (cf. Augustin, Sermon 254, 1).
Dans la Lettre aux Romains, l’apôtre Paul parle de Dieu comme du « Dieu de l’espérance » (Rm 15, 13). C’est comme s’il voulait nous dire, à nous également : « Dieu espère » ; et aussi paradoxal que cela puisse paraître, il en est précisément ainsi : Dieu espère ! Sa miséricorde ne le laisse pas tranquille. Il est comme ce Père de la parabole, qui espère toujours le retour de son fils qui a commis une faute (cf. Lc 15, 11-32). Il n’y a ni trêve ni repos pour Dieu jusqu’à ce qu’il retrouve la brebis qui s’était perdue ( cf. Lc 15, 5). Donc, si Dieu espère, alors l’espérance ne peut être enlevée à personne, car elle est la force pour aller de l’avant ; elle est la tension vers l’avenir pour transformer la vie ; elle est un élan vers demain, afin que l’amour dont, malgré tout, nous sommes aimés, puisse devenir un chemin nouveau…. En somme, l’espérance est la preuve intérieure de la force de la miséricorde de Dieu, qui demande de regarder devant et de vaincre, par la foi et l’abandon à lui, l’attraction vers le mal et le péché.
Chers détenus, c’est le jour de votre Jubilé ! Qu’aujourd’hui, devant le Seigneur, votre espérance soit allumée. Le Jubilé, de par sa nature même, porte en soi l’annonce de la libération (cf. Lv 25, 39-46). Il ne dépend pas de moi de pouvoir la concéder ; mais susciter en chacun de vous le désir de la vraie liberté est une tâche à laquelle l’Église ne peut renoncer. Parfois, une certaine hypocrisie porte à voir en vous uniquement des personnes qui ont commis une faute, pour lesquelles l’unique voie est celle de la prison. Moi, je vous dis : chaque fois que j’entre dans une prison, je me demande : « Pourquoi eux et pas moi ? ». Tous, nous pouvons commettre des fautes : tous ! D’une manière ou d’une autre, nous avons commis des fautes. Et par hypocrisie, on ne pense pas qu’il est possible de changer de vie : il y a peu de confiance dans la réhabilitation, dans la réinsertion dans la société. Mais de cette manière, on oublie que nous sommes tous pécheurs et que, souvent, nous sommes aussi des prisonniers sans nous en rendre compte. Lorsqu’on s’enferme dans ses propres préjugés, ou qu’on est esclave des idoles d’un faux bien-être, quand on s’emmure dans des schémas idéologiques ou qu’on absolutise les lois du marché qui écrasent les personnes, en réalité, on ne fait rien d’autre que de se mettre dans les murs étroits de la cellule de l’individualisme et de l’autosuffisance, privé de la vérité qui génère la liberté. Et montrer du doigt quelqu’un qui a commis une faute ne peut devenir un alibi pour cacher ses propres contradictions.
L’exemple du Bon Larron
Nous savons, en effet, que personne devant Dieu ne peut se considérer juste (cf. Rm 2, 1-11). Mais personne ne peut vivre sans la certitude de trouver le pardon ! Le larron repenti, crucifié avec Jésus, l’a accompagné au paradis (cf. Lc 23, 43). Que personne d’entre vous, par conséquent, ne s’enferme dans le passé ! Certes, le passé, même si nous le voulions, ne peut être réécrit. Mais l’histoire qui commence aujourd’hui, et qui regarde l’avenir, est encore toute à écrire, avec la grâce de Dieu et avec votre responsabilité personnelle. En apprenant des erreurs du passé, on peut ouvrir un nouveau chapitre de la vie. Ne tombons pas dans la tentation de penser de ne pouvoir être pardonnés. Quelle que soit la chose, petite ou grande, que le cœur nous reproche, « Dieu est plus grand que notre cœur » (cf. 1 Jn 3, 20) : nous devons uniquement nous confier à sa miséricorde.
La foi, même si elle petite comme un grain de sénevé, est en mesure de déplacer les montagnes (cf. Mt 17, 20). Que de fois la force de la foi a permis de prononcer le mot pardon dans des conditions humainement impossibles ! Des personnes qui ont subi des violences ou des abus dans leur propre chair ou dans leurs proches ou dans leurs biens… Seule la force de Dieu, la miséricorde, peut guérir certaines blessures. Et là où on répond à la violence par le pardon, là aussi le cœur de celui qui a commis une faute peut être vaincu par l’amour qui l’emporte sur toute forme de mal. Et ainsi, parmi les victimes et parmi les coupables, Dieu suscite d’authentiques témoins et artisans de miséricorde.
Aujourd’hui, nous vénérons la Vierge Marie dans cette statue qui la représente comme la Mère qui porte dans ses bras Jésus avec une chaîne rompue, la chaîne de l’esclave et de la détention. Qu’elle tourne vers chacun de vous son regard maternel ; qu’elle fasse jaillir de votre cœur la force de l’espérance pour une vie nouvelle et digne d’être vécue dans la pleine liberté et au service du prochain.