Le Président Emmanuel Macron renouerait-il avec les notions de réel, d’amitié politique et de vie en communauté? Son discours du 3 juillet aurait pu le laisser entendre… Décryptage de Marie-Pauline Deswarte, professeur de droit public.
Lorsque, le 3 juillet dernier, le Président Macron a affirmé devant le Congrès être animé, comme les parlementaires, du « désir de servir » qui a sa source dans « le simple amour de la patrie », on a pu se prendre à rêver que l’idéologie dont est malade le monde politique allait enfin s’effacer devant la réalité charnelle de notre pays. Dénonçant ensuite le vice qui empoisonne notre débat actuel, à savoir, « le déni de réalité », le Président semblait confirmer cette analyse. Il allait même jusqu’à invoquer « les solidarités organiques ». Cette dernière expression – ajoutée à son texte écrit en forme de digression – semblait nous indiquer que la politique à venir allait prendre la bonne direction, celle du réalisme.
Un esprit communautaire
Effectivement, invoquer les « solidarités organiques » conduit à prôner une politique mue par un véritable esprit communautaire. Une telle politique est qualifiée d’organique, c’est-à-dire vivante, car l’esprit communautaire est nécessaire à la vie. Les sociétés traditionnelles comme celle de la France de l’Ancien Régime sont dans ce cas. Elles ont appris depuis Aristote que la vie sociale est naturelle à l’homme car, dès sa naissance, il a besoin des autres pour vivre et donc de la collaboration de ses semblables. Il existe ainsi, dans la société, divers groupements et communautés pour satisfaire les besoins particuliers de chacun. Depuis la famille, la vie sociale se développe par paliers successifs jusqu’à la Cité qui est la société politique. Cette dernière englobe donc tous les groupements et communautés pour permettre le bien-vivre de l’homme et la concorde entre les citoyens. Elle seule est donc apte à assurer le complet développement terrestre de la vie humaine. De plus, grâce à elle, les citoyens sont invités à agir ensemble et à dépasser leurs intérêts particuliers pour vivre l’amitié politique. Cette amitié pousse chacun à aimer le bien de la société toute entière plus que ses intérêts propres et à y contribuer. La réflexion chrétienne a donné à ce schéma un éclairage supplémentaire dans la mesure où elle réhabilite l’individu, personne unie à Dieu, que la pensée antique avait absorbé dans la collectivité.
Le lecteur nous excusera de rappeler ces vérités si connues, trop peut-être, et que notre soif toujours plus grande de nouveautés nous fait souvent oublier. Mais, le Président semble nous y inviter. Et pourtant le doute s’installe très vite à l’écoute de sa parole. Comme nous l’avons déjà écrit (La République organique en France. Un patrimoine constitutionnel à restaurer, Via Romana 2014), il y a des façons de faire organiques, mais aussi l’acceptation de la façon d’être organique. Le Président veut bien la façon de faire, mais non la façon d’être qui suppose une acceptation de l’ordre naturel. Les principes et mesures qu’il invoque dans son discours peuvent alors nous séduire, tels le nécessaire amour de la patrie et de l’éducation à la solidarité, la fidélité à l’Histoire de France, l’amélioration de la représentativité nationale, la création d’une Chambre « forum de notre République… où circuleront toutes les forces vives de la nation », les « accords de confiance avec les territoires » et même « le devoir d’émanciper les citoyens ». Mais la référence répétée aux Lumières, à Sieyès et Mirabeau, qui sont aux antipodes du véritable esprit communautaire, nous annonce que nous continuerons à être entraînés dans les ornières de l’individualisme. Les principes organiques entrevus, s’ils sont utilisés, s’en trouveront déformés, voire avilis.
Rejet de l’ordre naturel
Ainsi, l’esprit des Lumières (le professeur Xavier Martin l’a amplement démontré) qui a réduit l’homme à une mécanique mue par l’intérêt égoïste, va permettre de continuer à détruire ce qui reste de la famille. On connaît les projets de PMA et de GPA, de disparition du foyer fiscal (cf. La Lettre, Famille et Liberté, juin 2017). Le « pluralisme » que le Président appelle de ses vœux exclut les complémentarités et hiérarchies nécessaires de l’ordre naturel. De plus, il est à craindre que les nouvelles règles de la représentation parlementaire annoncées ne réduisent encore un peu plus le tissu rural de la France et ne distendent d’avantage le lien entre le parlementaire et la collectivité qui l’élit. De même, lorsque le Président parle de refaire une « République contractuelle », de « notre démocratie » qui « ne se nourrit que de l’action et de notre capacité à changer le quotidien et le réel », il exclut la République-institution, service d’un bien commun unificateur, bien du corps social, qui doit être la fin et règle de l’État pour permettre, aux individus comme aux familles, comme le rappelait Pie XII « de mener une vie digne, régulière et heureuse selon la loi de Dieu ».
Pourtant, le Président nous invite à renouer avec le réel, à s’appuyer, citant Fernand Braudel, « sur ces vieilles forces » qui ont fait l’Europe. Prenons-le au mot. Regardons les pays qui essaient de retrouver un sens communautaire perdu, mais dont la nécessité leur est devenue tout à coup évidente.
Des exemples à suivre
C’est l’Irlande qui, par référendum du 1er juillet 1937, a pris cette direction. D’emblée elle se détermine pour un Sacré qui lui permet de reconnaître pleinement l’ordre naturel : « Au nom de la Très Sainte Trinité », affirme la Constitution. Le bien commun et les principes organiques d’organisation sociale suivent naturellement : la famille, la subsidiarité, la nécessaire propriété privée, l’organisation sociale et professionnelle fondée sur la justice et la charité. La Pologne, avec sa Constitution du 2 avril 1997 approuvée par référendum, s’engage dans la même direction. Si la référence à Dieu, source de « valeurs universelles », est affirmée ce n’est pas au détriment des incroyants qui partagent ces valeurs. L’héritage des ancêtres, les devoirs envers les générations futures, envers la « Famille humaine », le bien commun, sont reconnus. Les rapports avec les collectivités décentralisées, l’organisation professionnelle, la famille, les religions, sont organisés dans une perspective organique. La Hongrie de la Constitution du 25 avril 2011, dont les principes de base avaient été adoptés par référendum, s’enracine aussi dans le Dieu qu’a toujours adoré le pays. La profession de foi qui débute le texte récapitule avec fierté toutes les ressources léguées par l’Histoire, à commencer par le roi saint Étienne qui a bâti l’État, jusqu’au combat séculaire pour préserver l’unité de la nation et l’Europe. Les principes organiques d’organisation sociale sont ensuite très clairement énoncés : la famille et le mariage, la subsidiarité, les indispensables corps intermédiaires.
Ces exemples montrent que pour garantir un vrai respect de l’ordre naturel conforme à la dignité de l’homme, on ne peut faire l’économie de la question religieuse. L’islam qui est à nos portes et en nos murs nous y invite. Mais il revient à chaque pays, compte tenu de son Histoire et de sa sensibilité, de donner sa partition pour la mise en œuvre de cet ordre. Tel pourrait être le défi lancé aux Français !….