Les œuvres du programme de spécialité latin/grec pour les épreuves du baccalauréat de 2025 et 2026 ont été révélées mi-avril. Aux deux œuvres antiques de Sénèque et Aristophane, s’ajoutent deux œuvres modernes, dont les textes exaltent la violence, la vengeance dans un langage parfois chaotique et obscène. Une étude comparée qu’il sera difficile de proposer, mais impossible de ne pas aborder.
Le présent article s’appuie très largement sur un dossier constitué par des professeurs de latin-grec.
Il y a quinze jours, le Bulletin officiel de l’Éducation nationale a publié son « Programme limitatif pour l’enseignement de spécialité de littérature et langues et cultures de l’Antiquité en classe terminale pour les années scolaires 2024-2025 et 2025-2026 », autrement dit les œuvres à étudier pour les épreuves de latin et de grec au baccalauréat.
Depuis 2019, le programme propose aux élèves de choisir trois spécialités en première puis deux en terminale, plutôt qu’une filière spécifique. Parmi les douze spécialités de quatre à six heures proposées par l’Éducation nationale, les élèves qui veulent se tourner vers les lettres classiques, ou se former aux humanités antiques, peuvent choisir le cours « Littérature, langue et culture de l’Antiquité » (LLCA), qui aborde le latin et le grec à partir de la langue, des textes et de la civilisation, par le biais notamment d’une œuvre intégrale.
Le reste des cours est constitué d’options, parmi lesquelles le latin ou le grec, non cumulables avec la spécialité susmentionnée. Encore faut-il que l’établissement propose ces enseignements. « Au total à la rentrée 2019, ce sont quelques 360 établissement au niveau national qui ont offert la spécialité Littérature et langues et cultures de l’antiquité (17 % du total) et 1 190 établissements qui ont offert l’enseignement optionnel de LCA (55 % du total). »[1] Sachant qu’ils sont plus de 1 600 lycées généraux et technologiques en France.
Le programme impose l’étude de deux œuvres intégrales dans chaque langue : une œuvre intégrale antique et une œuvre intégrale médiévale, moderne ou contemporaine. Il s’agit d’étudier ces œuvres du point de vue de la langue, de la littérature et de la civilisation.
Les épreuves de spécialité LLCA au bac interrogent donc les élèves à partir d’un corpus de trois textes dans l’une des deux langues. Le premier est un extrait de l’œuvre antique au programme, proposé dans la langue mais avec sa traduction, le deuxième un extrait de l’œuvre moderne, et le troisième est issu d’un autre texte de littérature antique déjà traduit. La moitié de la note repose sur la langue avec traduction et questions de grammaire. L’autre moitié correspond à une dissertation à partir d’une question portant sur l’ensemble du corpus.
Étudier en parallèle une œuvre antique et une œuvre moderne ou contemporaine peut sembler intéressant pour la mise en perspective et la culture des élèves. Cependant, les bilans des sessions 2022 et 2023 du bac rapportent un manque de références culturelles dans les essais des élèves. Ils n’exploitent que les œuvres du corpus, sans aller chercher de références supplémentaires. Leur culture n’est pas assez développée. Durant l’année, l’étude des deux œuvres intégrales est trop restrictive et ne leur permet pas d’étudier d’autres titres, d’autres auteurs.
Cela restreint aussi fortement le temps que les professeurs peuvent consacrer à l’étude de la langue, pourtant relativement compliquée, afin de faire de leurs élèves des spécialistes, et peut-être les professeurs de demain.
Non seulement les œuvres modernes ou contemporaines restreignent le champ de vision des bacheliers, mais aussi, elles semblent parfois plus être choisies pour des raisons idéologiques que pédagogiques, le parallélisme étant parfois difficile à établir voire contradictoire.
Pour en revenir au « Programme limitatif pour l’enseignement de spécialité de littérature et langues et cultures de l’Antiquité en classe terminale pour les années scolaires 2024-2025 et 2025-2026 », les professeurs devront, pour les deux ans à venir, étudier et faire étudier Médée de Sénèque et L’Assemblée des femmes d’Aristophane, en parallèle avec Manhattan Medea de Dea Loher (1998) et La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985). Là où la violence est décrite dans les textes antiques pour y être décriée, elle est valorisée par ces œuvres modernes. Une fois encore, on y met en avant le meurtre, la haine, la vengeance, la lutte de classes et des sexes, jusqu’à les valoriser.
Assister le suicide de sa mère devient courageux, et la révolte louable. Autant d’attitude punissable d’emprisonnement aujourd’hui dans la plupart de nos sociétés contemporaines. Le langage y est grossier, vulgaire, parfois même obscène. La Servante écarlate a même été interdit dans certains pays lors de sa sortie en 1985 pour blasphème, contenu à caractère sexuel, antichristianisme et homosexualité.
Comment éviter de faire lire des ouvrages de la sorte à des élèves de 17 ans, sans pour autant les pénaliser ? La loi du 16 juillet 1949, qui instituait la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence pourrait d’ailleurs bien condamner ces deux ouvrages pour les trois raisons suivantes :
- Incitation à la haine, à la dégradation de la dignité humaine et au meurtre ;
- contenu à caractère pornographique ;
- et enfin contenu pouvant nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral de l’adolescent.
Jacqueline de Romilly, helléniste et grand défenseur des langues anciennes, se désolait de la tendance contemporaine à appliquer les mythes anciens à des questionnements modernes, trahissant le texte et la pensée de l’auteur, niant voire inversant les valeurs civilisationnelles. Alors que les humanités sont censées nous apprendre la sagesse et la civilisation, ces œuvres modernes imposées opposent une vision dégradée de la nature humaine et de la société.
Il reste à demander la suppression de ces deux ouvrages pour le baccalauréat, au titre de la liberté pédagogique, de l’élargissement des références à étudier, et de leur contenu inadapté à la jeunesse des bacheliers.
[1] Réponse de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, aux questions posées par les députés entre 2019 et 2020 sur la réforme du lycée.
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