Jérusalem : L’absence de stratégie américaine

Publié le 23 Déc 2017
Jérusalem : L’absence de stratégie américaine L'Homme Nouveau

Marek Jan Chodakiewicz né en Pologne et habitant à Washington DC aux États-Unis, est un historien spécialiste de la Seconde Guerre Mondiale. Très au courant de la politique américaine, il a accepté de nous livrer un décryptage de la décision du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Reconnaissant, de facto, la ville sainte comme capital de l’État d’Israël.

   Le statu quo de Jérusalem existe parce que la plupart des parties concernées préfèrent la stabilité au chaos. Ceci est généralement vrai même quand le statu quo est extrêmement mauvais, comme par exemple celui qui est ressorti de la conférence de Yalta en 1945 et est resté en vigueur tout au long de la guerre froide. Dans cette esprit d’équilibre des balances et dans le Moyen-Orient, le seul qui tienne dans la durée, c’est Jérusalem, un autre exemple de statu quo désastreux. Les Israéliens ne peuvent pas faire officiellement reconnaitre par la communauté internationale la ville comme leur capital et l’Islam ne peut pas  dominer la ville sainte. 

    En commandant la re-localisation de l’ambassade des USA de Tel Aviv à Jérusalem, le Président Donald Trump a amoché le statu quo. Il a versé de l’essence sur le feu du Moyen-Orient. Il a également ouvert un autre front pour les Etats-Unis dans la région mais aussi dans le monde entier. Il s’est mis à dos la plupart de nos alliés européens, et il a renforcé nos détracteurs, y compris la Russie et la Chine. En conclusion, il a justifié la paranoïa des terroristes qui souhaitent un califat.

Une stratégie incompréhensible

    Ceci ne semble pas être une initiative stratégique brillante ou une manoeuvre diplomatique éblouissante qui complèterait l’ouvrage sophistiqué de Jared Kushner, le haut conseiller et beau-fils du président, qui ne vise  rien de moins que la pacification régionale. Cette décision peut seulement exacerber la crise du Moyen-Orient. En particulier cela  compliquera une situation déjà complexe en Israël et dans les territoires occupés, alimentant l’extrémisme arabe et juif.

    Trump aime rappeler qu’il tient ses engagements, à la différence d’autres politiciens. Pendant la campagne il a promis de déplacer l’ambassade des USA à Jérusalem donc il la déplace. Cela va prendre quelques années, mais un engagement symbolique a été pris. Qu’à terme l’ambassade soit déplacée, c’est une autre histoire. Trump apparait comme quelqu’un de sérieux. Mais il semble également sérieux au sujet de construire un mur le long de notre frontière du sud pour refouler l’immigration illégale. Quelques segments de la structure ont été érigés. Et puis quoi ? Où est l’argent ? Le président semble avoir la volonté politique, mais l’appui du congrès est souvent plus déclaratif que pratique. 

    Dans cette affaire, il faut reconnaitre qu’en en terme de logistique, le déplacement de l’ambassade sera bien moins cher que la construction du mur. Au moins financièrement. Politiquement, les Etats-Unis devront payer un prix beaucoup plus élevé pour cette décision controversée. 

Le statut neutre de Jérusalem, pas parfait mais efficace

    En premier lieu, le statu quo à Jérusalem, aussi défectueux qu’il était, rendait service aux relations internes et externe en assurant la stabilité sous l’égide de l’Israël. Trois religions réclament la Ville Sainte comme la leur. Quelle que soit la foi qui a historiquement le dessus, elle tend à subordonner les autres. Historiquement, le judaïsme était le premier à pouvoir prétendre réclamer la Ville Sainte, suivi du christianisme et de l’Islam. Les juifs ont dominé Jérusalem pendant une majorité de son histoire, bien sûr, mais ils ont dû traiter à de multiples reprises avec les païens, grecques et romains. À partir du IV ème siècle le christianisme a régné, mais trois cents ans après c’est l’Islam qui est devenu dominant. Avec un bref changement au XI ème siècle quand le christianisme a fait un bref retour, la religion musulmane a dominé Jérusalem pendant 1.300 ans. 

    Cependant, lors du XX ème siècle, les grandes puissances et la Russie ont forcé la porte Ottomane pour améliorer les conditions de vie des chrétiens ; le sort des juifs s’en est égalment trouvé amélioré. À partir de 1917 jusqu’en 1947 l’Empire Britannique a dominé Jérusalem. La loi britannique a été interrompue par des perturbations cycliques et des soulèvements juifs et arabes. Alors l’Israël a gagné son indépendance et, dans les guerres qui ont suivies, a étendu son royaume, en particulier pendant la guerre de six jours quand il a capturé Jérusalem en 1967. Ceci a causé une rupture entre l’État d’Israël et la Diaspora juive. 

Sur place, des conditions de vie acceptables

    La plupart des juifs considèrent Jérusalem comme leur capital. La plupart ne sont pas dérangés par les allégations musulmanes et chrétiennes d’injustice dans la manipulation de Jérusalem par Israël. Les principaux sujets de tension portent sur l’accès aux lieux saints, le manque de liberté dans les déplacement des arabes, et l’expansion juive dans les quartiers où vivent les arabes, par des moyens légaux et illégaux. En toute équité, les autorités israéliennes sont moins rigoureuses que la plupart des hégémonies précédentes de Jérusalem, exception faite, peut-être, des Anglais. Les Israéliens semblent également juger et arbitrer les conflits parmi les chrétiens et entre les chrétiens et les musulmans d’une façon plus équitable que les puissance qui les ont précédés.

    Le statu quo met en place une suprématie juive de facto sur les autres sans que celle-ci leur soit jetée au visage. La décision de Trump ne renforce pas seulement la détermination des juifs romantiques, qui souhaitent que Jérusalem soit universellement reconnue comme capital juive, elle renforce également les intégristes juifs qui se réjouissent de la perspective de réaliser leur rêve de voir Jérusalem comme leur domaine exclusif. Leur objectif ultime étant de se débarrasser des Arabes et de tous les autres. Cette vision religieuse parmi les intégristes, l’ultra-Orthodoxie en particulier, exclurait la plupart des autres juifs, qu’ils ne considèrent pas du tout comme juifs. 

Une décision contestée par les alliés des USA

    La perspective de modifier le statu quo de Jérusalem à cause de Trump a soulevé des contestations parmi les alliés des États-Unis. Même la Pologne a publié une déclaration officielle selon laquelle elle considère que Tel Aviv est la capitale d’Israël. L’Amérique est donc seule à Jérusalem. Et elle est menacée par les mêmes ennemis qui convoitent la destruction d’Israël. Rien de nouveau. Cependant, la décision unilatérale de Trump a renforcé nos ennemis par ce qu’ils la considèrent comme une autre insulte à la fierté musulmane.

    L’affaire de Jérusalem sera ajoutée à la liste des griefs des principaux acteurs musulmans arabes. Les fanatiques califatistes meurtriers interprèteront la décision de Trump comme une autre preuve vivante de la perversité du « Grand Satan qui est le Laquais d’Israël ». Bien sûr, ça ne changera pas grand chose pour eux, ils iront simplement plus loin. Ils assassineront plus et se sacrifieront plus volontiers. L’affaire des ambassades peut même entraîner une attaque terroriste sur le sol américain. Nos alliés seront ciblés à coup sûr. Du sang sera versé, non seulement au Moyen-Orient mais aussi en Europe et ailleurs, peut-être même avant Noël. Les Israéliens devraient se préparer pour une escalade de la violence. Ils y sont tristement habitués ; nous ne le sommes pas.

    Le terrorisme aurait certainement continué sans le déplacement de l’ambassade. Mais est-il nécessaire de rendre de mauvaises situations plus mauvaises encore, sans un plan stratégique en vue ? Qu’est-ce que la re-localisation est censée accomplir pour les Etats-Unis ? Trump ne l’a certainement pas fait pour courtiser le vote juif. La plupart des juifs américains ont voté pour Hillary Clinton. La plupart sont en faveur des Démocrates. La plupart d’entre eux ont probablement une affection particulière pour Jérusalem et approuvent peut-être la re-localisation d’ambassade. Mais cela ne les fera pas voter Républicain ou soutenir Trump à long terme. 

    Ainsi, d’un point de vue pragmatique, ni les affaires intérieures ni les affaires extérieures ne justifient ce transfert d’ambassade par le président des USA. Peut-être cela est-il lié à son romantisme latent… Mais ce doit être encore une autre histoire. 

Washington, C.C, le 10 décembre 2017 

Pour aller plus loin voir notre dernier numéro et l’article de Jean-Baptiste Noé: Le Saint-Siège et Israël : à pas prudents

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