Abbé Barthe : Marie toujours vierge, racine de la vie consacrée et du mariage

Publié le 15 Juil 2024
marie semper virgo

Vierge à l'enfant, par Bellini, c. 1470. Musée Fesch (Ajaccio).

Professeur de théologie systématique à l’Université Sainte-Marie de Twickenham (Londres) et à la Faculté de théologie de Lugano (Suisse), le Père Serafino Maria Lanzetta rappelle dans Semper Virgo l’importance pour la vie chrétienne de la virginité de Marie. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur, nous publions ici des extraits de la postface de l’abbé Claude Barthe.

 

Il ne faut pas s’y tromper : l’ouvrage, modeste en volume, du père Serafino Lanzetta sur Marie comme forme de la vie chrétienne, est une contribution importante à la mariologie catholique, surtout pour les hommes de ce temps, selon l’expression consacrée depuis Vatican II. 

Son propos est aussi simple que lumineux : « le Christ est formé d’une femme (Ga 4, 4), c’est-à-dire qu’il est né virginalement, sans concours d’homme, uniquement d’une femme » ; sans intervention d’homme, le Fils de Dieu est fait homme, formé comme homme seulement de Marie, par l’opération divine de l’Esprit Saint. Ce qui vaut pour le Fils de Dieu vaudra pour les fils selon l’adoption dans le Fils, qui seront ainsi configurés par une Mère Vierge. 

Et, l’agir suivant l’être, les chrétiens, engendrés virginalement dans le Christ de la même manière qu’il a été engendré, participent par l’apostolat, par la prière, à son engendrement dans la grâce d’autres âmes, quel que soit le statut de ces chrétiens dans le Corps du Christ, qu’ils soient voués à la chasteté consacrée ou sacerdotale, en vivant comme lui, ou qu’ils soient dans l’état de mariage, en usant de ce monde « comme s’ils n’en usaient pas vraiment, car elle passe la figure de ce monde » (1 Cor 7, 31).

Suivre l’Agneau

Le père Lanzetta insiste sur le fait que le plus haut degré de cette configuration à la forme mariale est celle des personnes consacrées ou des clercs voués au célibat, qui « suivent l’Agneau là où il va » (Ap 14, 4), mais qu’elle existe aussi très réellement chez les époux et épouses chrétiennes, dont l’état dans le mariage est en quelque sorte tiré vers le haut par l’état de virginité consacrée. 

La défense et illustration de cette hiérarchie entre virginité et mariage – « Le mariage et la virginité sont deux biens dont l’un l’emporte sur l’autre », disait saint Augustin – est capitale dans le propos de l’auteur, car il a aussi une visée de controverse contre les erreurs de ce temps. Il y a un ordre dans les états de vie des chrétiens, et la vie religieuse est un état supérieur à l’état commun du mariage. Contre ceux qui « exaltent tellement le mariage au point de le préférer même à la virginité, et déprécient, à cause de cela, la chasteté consacrée à Dieu et le célibat ecclésiastique » (Pie XII, Sacra Virginitas, 1954), le père Serafino Lanzetta affirme avec insistance la valeur supérieure de la virginité religieuse et de la chasteté parfaite pour le service Dieu.

La minoration contemporaine de l’état religieux est un des foyers de la crise qui accable l’Église depuis Vatican II : aucune crise par le passé n’a vu une telle réduction du nombre des personnes consacrées à Dieu. On invoque toujours, comme explication, la sécularisation de la société qui pénètre les familles chrétiennes mais, plus radicalement c’est l’abandon par la théologie de la notion d’« état de perfection » qui a causé les plus grands dégâts.

Le père Lanzetta note ainsi l’accent mis sur l’appel universel à la sainteté et la réduction de la vie religieuse à un simple « don spécial » (Lumen Gentium n. 43 qui, en outre, fait passer, dans son énumération des états de vie, celui des religieux après celui des laïcs). Il y a une inversion de la gradation des états de vie semblable à l’inversion de la hiérarchie entre les fins du mariage, qui a été interprétée comme une remise en question de la valeur de la vie consacrée et de son excellence par rapport aux autres états de vie. La désaffection pour le célibat ecclésiastique, religieux ou séculier, est première parmi les facteurs expliquant la crise catastrophique du sacerdoce que nous vivons depuis 1965.

L’âme, épouse du Christ

Le père Lanzetta estime que la question des états de vie devrait clairement dépendre de la catégorie de la « sponsalité de l’amour ». Car la sanctification de l’âme se fait par ses épousailles avec le Christ, que chante le Cantique des Cantiques. Le sommet de la perfection étant dans le « mariage » au Christ, l’état religieux, parce qu’il exclut le mariage terrestre. Le vœu de chasteté dans l’état religieux est, parmi les moyens pour atteindre la fin qu’est l’union éternelle de l’âme au Christ, clairement plus parfait, en tant que signe en cette vie de ce que sera la vie éternelle.

Mais selon saint Jérôme, la virginité est le fruit d’un saint mariage (« tout en approuvant le mariage je lui préfère la virginité, qui en est le fruit »). D’où l’entremêlement présent de la crise de la vie consacrée et de la crise du mariage : la disparition de la hiérarchie entre ces deux états montre la méconnaissance de la nature de l’un et de l’autre et entraîne la chute de l’un et de l’autre. Des affinités entre les deux états, et donc entre leurs crises conjointes, le père Lanzetta voit dans Amoris Lætitia une preuve évidente, car du fait de l’évanouissement de la primauté de l’amour chaste et virginal comme référence, le mariage, par contrecoup, dévie de sa fin première, la génération, et de sa mission essentielle, la formation d’enfants pour la Cité et pour l’Église. Et l’adultère peut « miséricordieusement » être égalé au mariage.

Mariage qui est ainsi devenu la norme, mais comme une sous-norme. Il me souvient de cette conclusion populaire qui était donnée comme une évidence à l’époque où l’Église est entrée dans les grands chambardements qui ont suivi Vatican II : « Les prêtres vont pouvoir se marier. » La remise en question du célibat ecclésiastique, qui ne serait qu’une simple règle disciplinaire, fait l’impasse sur le fait que le célibat consacré, écho de la virginité de Marie, est considéré par l’Église comme moyen privilégié d’atteindre le Royaume des cieux où il n’y aura ni femmes ni maris, et aussi comme moyen d’une entière disponibilité du prêtre pour le service de ce Royaume.

Et il est vrai qu’il y a comme un effet de vases communicants entre les mariages de prêtres, mariages régularisés après réduction à l’état laïque ou non, et la relativisation de l’indissolubilité du mariage. Il y a effet de scandale sur un point capital de l’être chrétien : le fait que des prêtres « quittent » le sacerdoce excuse les laïcs qui divorcent.

À ce propos, notre auteur rattache Amoris Lætitia aux errements de Jovinien, l’adversaire de saint Jérôme, qui affirmait que la virginité n’est pas supérieure au mariage : dès lors que les divorcés remariés n’ont pas à vivre dans la chasteté, mais sont autorisés à vivre comme mari et femme alors qu’ils ne le sont pas, « de facto, on affirme non seulement que le mariage est supérieur à la virginité, mais, de façon plus épicurienne, que le rapport sexuel est supérieur au mariage et à la virginité ».

Avec cette formule admirable, où Serafino Lanzetta prolonge celle de saint Jérôme évoquée plus haut : « La virginité fonde le mariage car elle en est le plus beau fruit ; le mariage annonce la virginité car il en est la racine. » Tout cela pour contribuer à la refondation du mariage chrétien, dont l’abaissement est notamment signifié par tout un discours religieux, ou prétendu tel, qui l’érotise.

Marie toujours vierge

Saluons enfin la défense par le père Lanzetta de la virginité in partu, virginité qui demeure miraculeusement dans l’enfantement du Christ lui-même : Marie toujours Vierge, avant et après l’enfantement, mais aussi dans l’enfantement. La confession de la virginité in partuaujourd’hui omise, rejetée, interprétée symboliquement – est devenue le grand critère de l’orthodoxie d’un discours sur la Vierge Marie, toutes choses égales, comme la foi au péché originel historique est une moyen de reconnaître ce qui reste de théologiens catholiques.

Contre Karl Rahner, qui affirmait que la croyance en la virginité de Marie dans l’accouchement n’avait pas de fondement solide, Serafino Lanzetta montre qu’elle est un donné de foi. Avec ce beau développement d’exégèse spirituelle sur la correspondance entre la virginité de Marie ante partum, in partu et post partum, et les trois moments du Royaume de Dieu : la virginité ante partum correspondant au prélude de la vie du Christ dans le sein maternel de celle qui n’a point connu d’homme ; la virginité perpétuelle post partum se rapportant à l’accomplissement eschatologique éternel du Royaume.

Quant à la virginité in partu, elle converge pour sa part vers la révélation/manifestation du Royaume de Dieu inaugurée lors du baptême du Jourdain et du miracle de Cana : le Verbe de Dieu sort miraculeusement du sein fermé de la Vierge Mère, comme la Parole de Dieu « sort » miraculeusement pour être révélée aux hommes, la venue virginale au monde du Fils de Dieu étant à l’origine des paroles et des actes miraculeux qu’il a accomplis dans sa geste évangélique.

L’Église peut se relever

On apprécie aussi la célébration des sept moments de la virginité de Marie par les sept mystères du chapelet de la Virginité perpétuelle de Marie qui clôt cet ouvrage : la prédiction dans l’ancienne Alliance, la réalisation dans la nouvelle Alliance par l’Annonciation, la virginité dans l’enfantement, la virginité après l’enfantement, la virginité crue par l’Église, la virginité priée dans l’Église, et enfin la virginité de Marie – « christifactrice » et « christoformatrice » – modèle de l’Église et du christianisme.

Virginité christoformatrice : Notons pour finir que si l’immense bouleversement ecclésial du dernier demi-siècle peut se résumer dans le fait que l’Église, Épouse virginale du Verbe de Dieu, semble avoir oublié qu’elle ne peut être que l’unique Épouse et donc la seule voie pour aller vers le Royaume de Dieu, en dehors de laquelle il n’y pas de voies surnaturelles, la clé de son relèvement sera de retrouver cette auto-conscience avec les implications de sainteté que cela emporte.

Et ceci, par Marie, dit le père Lanzetta : « Nous croyons que l’Église pourra se relever de la crise actuelle, qui est surtout une crise d’identité, si elle a la claire vision du bien de la virginité qui, tout en dépassant le mariage en tant que perfection plus haute, fonde ce dernier dans sa vraie nature. » Ainsi la virginité de Marie, forme de la vie chrétienne, est-elle le remède à l’« hérésie de l’informe» (Martin Mosebach) qui défigure l’Église aujourd’hui.

Et qui défigure le sacerdoce. On conservera soigneusement cette prière de l’épilogue : « Que cette blancheur, signe de Votre intégrité et de Sa divinité, demeure en tous les prêtres de Votre Fils qui célèbrent le Saint Sacrifice. Que Votre pureté les enveloppe, que Votre virginité les couvre, ainsi deviendront-ils de véritables ministres de cette blancheur. Vous pétrissiez Sa chair et Son sang. Il venait en Vous, vrai Dieu né du vrai Dieu, et sortait de vous, Agneau de notre rachat. Votre virginité a préparé notre Sacrifice. Votre virginité préserve notre salut. »

 


Père Serafino M. Lanzetta, Semper Virgo, la virginité de Marie, forme de la vie chrétienne, Éditions Via Romana, 164 pages, 18 €.

semper virgo marie

 

>> à lire également : Cardinal Sarah : La réponse permanente de l’Église catholique à l’athéisme pratique

 

Abbé Claude Barthe

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