Caresse de Dieu et rabot : l’âme roucoule.

Publié le 22 Mai 2018
Caresse de Dieu et rabot : l’âme roucoule. L'Homme Nouveau

Charles Péguy aimait prier en laissant parler le Seigneur en lui : « Les événements, dit Dieu, c’est Moi qui vous caresse ou qui vous rabote ; c’est Moi qui vous aime. C’est Moi, n’ayez pas peur. Ainsi soit-il ! » De fait, la caresse et le rabot passent alternativement, images parlantes qui empêchent de prendre au tragique les chauds-froids de l’existence : Dieu est là, cela seul doit rassurer, car avec Lui tout finira bien. La vie quotidienne, ensoleillée ou enténébrée, mène alors vers l’unique but à désirer. 

Le pape François parle volontiers lui aussi de la caresse du Seigneur. Mais pour lui, il s’agit d’une invitation à imiter Dieu en répandant le bien. En 2016, année de la miséricorde, c’était un leitmotiv : « Apportons la caresse de Dieu à ceux qui sont dans le besoin, à ceux qui portent dans leur cœur une souffrance ou qui sont tristes : s’approcher d’eux avec cette caresse de Dieu, qui est celle que Dieu nous a donnée » (20 février). L’Évangile continue alors : « Soyons miséricordieux comme notre Père céleste est miséricordieux » (Lc 6, 36). Nous devons devenir les apôtres de la caresse divine après en avoir bénéficié par le pardon divin : « Dieu ne pardonne pas avec un décret mais avec une caresse… Avec la miséricorde Jésus pardonne en caressant les blessures de nos péchés » (7 avril). Péguy plaide pour le support du chaud et du froid, le Pape nous demande d’être les apôtres de la miséricorde du Bon Dieu : la vie morale est dessinée là. 

Saint François de Sales, grand maître de la vie spirituelle, oriente vers Dieu l’effort moral, en usant d’une autre image. La colombe, remarque-t-il dans ses Entretiens aux Visitandines (entretien VII), roucoule de la même façon, qu’elle soit chagrine ou joyeuse. Ce bel oiseau à l’aspect si pur est d’ailleurs le modèle que nous donne le Seigneur lui-même : « Soyez simples comme la colombe » (Mt 10, 16). 

Prenons la joie de lire ce passage de notre auteur : « Il n’y a rien de plus honnête que la colombe, elle est propre à merveille; bien qu’il n’y ait rien de plus sale que les colombiers et les lieux où elles font leurs nids ; néanmoins on ne voit jamais une colombe salie, elles ont toujours leur pennage lisse et qu’il fait grandement beau à voir au soleil. La loi de leur douceur est agréable ! car elles sont sans fiel et sans amertume, elles pleurent comme elles se réjouissent : elles ne chantent jamais qu’un même air, tant pour le cantique de leur réjouissance que pour ceux où elles se lamentent, c’est-à-dire pour se plaindre et manifester leur douleur ». 

Les Anciens sont peu regardants dans leurs « sciences naturelles », mais leur grand génie apparaît dans les leçons d’ordre moral qu’ils en tirent. Alors, continuons sans rire à lire notre saint : « Voyez-les perchées sur des branches, où elles pleurent la perte qu’elles ont faite de leurs petits, quand la belette ou la chouette les leur a dérobés ; voyez-les aussi quand le paon vient à s’approcher d’elles, elles sont toutes consolées ; mais pourtant, elles ne changent point d’air, mais font le même grommellement (= roucoulement) pour preuve de leur contentement, qu’elles faisaient pour manifester leur douleur. »

Péguy est mort à l’orée de la guerre de 1914, portant dans la tombe le souci d’une situation familiale bloquée : rabot. Un an après son décès, tout s’était arrangé : caresse divine. Sa plume n’en fut jamais paralysée ; ses angoisses ne l’empêchent pas de mettre en joie les âmes affligées, dans l’esprit de ce que nous dit le Saint-Père. Et saint François de Sales précise la leçon morale de cette égalité d’âme, tel roucoulement qui se poursuit sous la pluie ou par temps de soleil. « C’est cette très sainte égalité d’esprit que je vous souhaite, je ne dis pas l’égalité d’humeur ni d’inclination (nous autres parlons de « ressenti », auquel on ne peut échapper), je dis l’égalité d’esprit » (là où la raison commande sur notre humeur). Le saint docteur veut vraiment nous éviter l’impact « des tracasseries que fait la partie inférieure de notre âme, qui est celle qui cause les inquiétudes et les bizarreries, quand la partie supérieure ne fait pas son devoir en se rendant maîtresse, et ne fait pas bon guet pour découvrir ses ennemis. »  

Le doux François de Sales se montre ici le docteur de la vraie force, accessible à tous : « Le Combat spirituel dit ce qu’il faut faire, afin que l’âme soit promptement avertie des remuements et assauts que lui fait la partie inférieure, qui se sert de nos sens et de nos inclinations et passions pour lui faire la guerre et l’assujettir à ses lois ». Il recommande de se « tenir toujours fermes et résolus en la suprême partie de notre esprit, et se tenir en une continuelle égalité ès choses adverses comme aux prospères, en la désolation comme en la consolation, et enfin parmi les sécheresses comme dans les tendretés. »

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