Le graduel Esto mihi chant de confiance en Dieu

Publié le 07 Juil 2018
Le graduel Esto mihi chant de confiance en Dieu L'Homme Nouveau

« Sois pour moi un Dieu protecteur et un lieu de refuge pour me sauver. Mon Dieu, en toi j’ai mis mon espérance ; Seigneur, que jamais je ne sois confondu. » (Psaume 30, 3, 2, ou 70, 3, 1)

Commentaire spirituel

Esto mihi intro(1)

La référence de ce graduel est double puisque son texte est le même, exactement ou presque, dans deux psaumes différents : les psaumes 30 et 70 (ou 31 et 71 selon l’hébreu) qui sont tous deux des supplications individuelles et qui commencent de la même manière pour leurs trois premiers versets. Si on prend le texte latin des deux psaumes (venant donc de la tradition grecque des Septante) correspondant à notre graduel, on voit qu’il ne diffèrent que par une expression : domum refugii (maison de refuge) pour le psaume 30 et locum munitum (lieu fortifié) pour le psaume 70. Les traductions françaises calquées sur le texte hébreu diffèrent davantage (voir en dessous la traduction de la Bible de Jérusalem, à titre d’exemple).

Psaume 30

Psaume 70

Esto mihi in Deum protectorem et in locum munitum ut salvum me facias. In te Domine speravi, non confundar in aeternum.

Esto mihi in Deum protectorem et in domum refugii ut salvum me facias. In te Domine speravi, non confundar in aeternum.

Sois pour moi un roc de force, une maison fortifiée qui me sauve. En toi, Yahvé, j’ai mon abri, sur moi pas de honte à jamais !

Sois pour moi un roc hospitalier, toujours accessible ; tu as décidé de me sauver. En toi, Yahvé, j’ai mon abri, sur moi pas de honte à jamais !

On pourrait se demander lequel des deux psaumes a eu la préférence du compositeur et essayer de repérer par là sa source première d’inspiration et donc aussi l’atmosphère de sa composition, le psaume 30 étant peut-être plus douloureux et le psaume 70 plus marqué par un esprit de louange. Mais notre enquête ne prouve rien puisque l’auteur de ce graduel a, volontairement ou non, mélangé les cartes. Au lieu de choisir entre domum refugii du psaume 30 et locum munitum du psaume 70, il a combiné les deux expressions et cela donne locum refugii… laissant tomber d’une part l’image de la maison (dommage, car maison de refuge est une image très évocatrice) et d’autre part le qualificatif de fortifié. Le graduel nous est peut-être parvenu avec une erreur d’un copiste qui aurait écrit locum au lieu de domum, mais on peut aussi concevoir que cette combinaison était intentionnelle dans l’esprit du compositeur et que l’atmosphère des deux psaumes devait rejaillir sur cette pièce. Et cela peut très bien se comprendre car les deux psaumes sont des merveilles. Le psaume 30 n’est plus à présenter : il possède en son sein le fameux verset de confiance absolue en Dieu que le Seigneur reprendra sur la croix : « En tes mains Seigneur, je remets mon esprit. ». Mais il contient d’autres perles : « pour moi, je suis sûr de Yahvé : que j’exulte et jubile en ton amour ! » (7, 8) ou bien: «  Et moi, je m’assure en toi, Yahvé, je dis: C’est toi mon Dieu ! Mes temps sont dans ta main, délivre-moi, des mains hostiles qui s’acharnent ; fais luire ta face sur ton serviteur, sauve-moi par ton amour. » (15 à 17) ou encore : « Qu’elle est grande, Yahvé, ta bonté ! Tu la réserves pour qui te craint, tu la dispenses à qui te prend pour abri face aux fils d’Adam. Tu les caches au secret de ta face, loin des intrigues des hommes. » (20, 21). Quant au psaume 70, il est plein de louange et de chant : « Car c’est toi mon espoir, Seigneur, Yahvé, ma foi dès ma jeunesse. Sur toi j’ai mon appui dès le sein, toi ma part dès les entrailles de ma mère, en toi ma louange sans relâche. » (5 et 6) ou bien : « Ma bouche est remplie de ta louange, tout le jour, de ta splendeur. » (8) ou encore : « Or moi, je te rendrai grâce sur la lyre, en ta vérité, mon Dieu, je jouerai pour toi sur la harpe, Saint d’Israël. Que jubilent mes lèvres, quand je jouerai pour toi, et mon âme que tu as rachetée ! Or ma langue tout le jour murmure ta justice. » (22-24)

Voilà donc le climat de notre graduel : c’est un chant qui naît dans la confiance de se savoir aimé de Dieu jusque dans l’épreuve. Il est là, il nous aime, il est fort, nous n’avons plus rien à craindre. Et la louange peut monter, le chant l’accompagne et fait de cette prière un moment de joie filiale sous le regard de Dieu, le regard du Père. Dom Baron souligne le rapprochement avec l’introït Esto mihi (6ème dimanche ordinaire ou dimanche de la Quinquagésime pour la forme extraordinaire) dont le texte est absolument identique, au moins pour la première partie qui correspond au corps du graduel (avec la même combinaison locum refugii…). Voilà ce qu’il écrivait pour cette première partie et qui convient très bien ici pour tout le graduel. C’est vraiment très bien dit alors on peut le citer en entier : « Cette première partie se déroule dans une atmosphère de douceur, de tendresse joyeuse, de paix abandonnée. Il n’y a pas d’angoisse, pas de supplication ardente ; on sent que l’âme est sûre d’être exaucée, mieux encore, qu’elle l’est déjà. Elle a ce qu’elle demande : Dieu. Elle ne le cherche pas, elle le possède, elle se repose en lui, réfugiée, à l’abri, couverte de sa tendresse dont elle expérimente la protection, forte comme un rocher à l’entrée d’une grotte, douce, lumineuse, immense et profonde comme le firmament. C’est moins une prière proprement dite qu’une sorte de parole d’amour dans laquelle l’âme demande uniquement pour recevoir une réponse où sera la tendresse de l’aimé. D’où le caractère d’intimité heureuse qui est partout. »1

Commentaire musical

Esto mihi Partition

La mélodie de ce graduel est empruntée au 5ème mode qui est un des modes privilégiés pour exprimer la joie. Deux phrases musicales constituent le corps du graduel (la première étant notablement plus longue que la seconde) et deux courtes phrases forment le verset.

L’intonation est modeste puisqu’elle ne joue que sur deux notes : Fa et Sol. Elle met très simplement en valeur les deux accents des mots esto et mihi sur les premières syllabes. L’accent de esto est plus ferme, probablement à cause du sens du verbe qui signifie être, donc l’être de Dieu en relation avec moi. Ensuite, sur in Deum, la mélodie reste encore un peu sur ces deux notes Fa et Sol, puis s’élève mais très doucement sur protectorem puisqu’on va seulement toucher le La à l’aigu, tandis qu’une note plonge au grave sur le Ré. Vocalise encore très restreinte, donc, mais longue et complaisante sur ce mot qui désigne l’action protectrice de Dieu. Il faut la donner avec légèreté, malgré sa relative gravité. Elle s’achève en effet au grave, en une cadence sur Do, mais cela ne l’empêche pas d’être jusqu’au bout très légère, en même temps que très calme, très confiante.

Même après ce mot, sur et in locum, la mélodie s’attarde encore sur ces intervalles Fa-Sol-La qui donnent l’impression, par leur répétition même, d’une grande stabilité dans la paix. On sent quand même, par le crescendo modéré qui traverse ces mots, que l’on ne va plus rester longuement sur ces cordes graves. Et sur refugii on décolle enfin, la montée par degrés conjoints, du Sol jusqu’au Ré aigu, devant être accompagnée d’un crescendo marqué et surtout d’une intensité croissante, mais toujours dans une grande certitude paisible et confiante. Mais l’envolée n’était que provisoire. Déjà, sur l’accent du mot et sa finale, on revient, dans une certaine détente, sur les intervalles du début, avec juste un retour très ponctuel et d’ailleurs très gracieux et aérien au Do aigu, avant que le même motif mélodique qui a conclu le mot protectorem soit repris pour mettre un terme à cette longue phrase très unifiée, comme on le voit, au plan musical.

La deuxième phrase commence encore plus au grave que la précédente, et en tout cela, on peut trouver que le 5ème mode n’est pas encore très honoré. Ut salvum s’étage entre le Do grave et le Fa. Il y a quelque chose de plus mystérieux dans ce passage. C’est la mention du salut et derrière cette mention il y a tout le mystère du mal, du péché, qui se cache. Alors il y a une nuance de crainte qui est exprimée ici, ou tout au moins celle d’une prière qui se fait plus ardente à l’évocation de forces mauvaises qui font éprouver d’autant plus à l’âme le besoin de se réfugier dans les bras protecteurs du Seigneur. La note longue de salvum, qu’il convient de chanter de manière très chaude et très vivante, manifeste bien cette nuance d’inquiétude qui affleure l’âme enlacée dans l’amour de son Dieu, mais encore marquée par la fragilité humaine. Le petit pronom personnel me a toute sa valeur dans ce contexte. La note longue qui l’affecte sur le Fa, tonique du 5ème mode, doit être donnée avec douceur et confiance mais aussi avec ce besoin qu’éprouve l’âme de se sentir en sécurité. Elle est l’enjeu d’un combat, d’un drame entre la vie et la mort, et même si elle sait que le Seigneur est vainqueur, elle sait aussi que l’ennemi est très réel et très jaloux de son bonheur.

Vient ensuite la splendide montée de facias, montée très progressive et puissante, très confiante aussi, qui part du La sur l’accent et s’enroule provisoirement autour de cette corde, avec la présence d’un Sib plein de tendresse, puis monte au Do et même au Ré, avant, dans la dernière incise, de venir reprendre appui sur les trois degrés Fa-Sol-La, pour se propulser vers le Do en un premier palier, et atteindre avec puissance et enthousiasme le Ré puis le Mi, juste avant un retour au La, au Sib et enfin à la cadence en Fa qui fixe la mélodie dans la belle et lumineuse atmosphère du 5èmemode pleinement exprimée. Cette courbe très belle ressemble à une envolée qui a été longuement préparée, mais qui va servir de tremplin tout naturel au verset qui va suivre.

Ce verset plein de lumineuse confiance devra être donné dans un tempo beaucoup plus léger, en contraste avec le corps du graduel, qui, on l’a vu, a tardé à se déployer. Désormais, la joie de l’espérance va rayonner. Beaucoup de légèreté et d’élan, donc, sur le début du verset Deus in te speravi qui s’appuie bien sur les deux Fa de Deus. La vocalise de Te est très légère et la cadence suspendue à l’aigu de speravi,est vraiment magnifique. Ensuite, la mélodie se fait plus restreinte, plus amoureuse, très tendre et pleine de gratitude sur les neumes larges et répétés du mot Domine.

La dernière phrase, en une formule typique du 5èmemode, avec sa montée progressive et chaleureuse, à partir du Do jusqu’au Fa aigu qui représente le sommet de la pièce. On peut noter l’à propos de cette belle vocalise qui exprime à merveille la certitude de l’âme qui ne saurait être déçue par son Dieu. Cette confiance a vraiment le dernier mot (in æternum), un mot qui veut dire toujours et même davantage car le toujours de Dieu n’est pas une durée de temps qui passe, c’est l’éternité, ce présent invincible et absolu qui est plénitude infinie d’amour sans début ni fin. Mystère incompréhensible, ce qui ne veut pas dire complètement imperceptible, car nous en avons le pressentiment et parfois un avant goût dans la qualité de certains de nos instants présents, mystère que la longue finale tente d’exprimer avec des notes humaines. Nous allons vers Dieu, c’est notre grande victoire.

1.Dom Louis Baron, L’expression du chant grégorien, tome 1, pages 220, 221 ; tome 2 page 225.

À écouter ici

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