Le Docteur Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues, vient de déclarer qu’il refusait de pratiquer des avortements, au motif qu’il les considérait, en conscience, comme un homicide. Bien des journaux, tels que La Croix, toujours pertinent, indiquent qu’il aurait « comparé » l’avortement à un homicide ; mais il n’a pas dit cela. Il a dit que C’EST un homicide. J’y vois une preuve supplémentaire, de la part de ces « organes », de leur refus de regarder la vérité en face.
Aussitôt, naturellement, le chœur des Erinyes explose : ce médecin n’a pas le droit de s’exprimer ainsi car la loi autorise l’avortement et que pour elle, ce n’est pas un homicide. Tels sont les propos de la journaliste qui interroge le médecin. Il fait du « prosélytisme », il fait « entrave à l’IVG » ! La dame Schiappa y va de son hurlement guerrier : « Nous ne devons laisser passer aucune attaque, d’où qu’elle vienne, contre le droit des femmes à accéder librement à l’avortement ». La dame Buzyn, ministre de la Santé de son état y va du sien : « L’IVG est un droit trop souvent menacé pour lequel il convient de ne relâcher aucun effort ».
Ces discours, où se mêlent la malhonnêteté, la manipulation et le mensonge, car le Docteur de Rochambeau n’a rien « attaqué », rien « menacé », ne doivent impressionner personne, si bruyants soient-ils, et cela pour deux raisons décisives. La première est qu’ils sont irrationnels et dangereux ; la seconde est qu’ils sont illégaux.
ILS SONT IRRATIONNELS ET DANGEREUX
Que la loi autorise l’avortement, oui. Mais la loi n’a pas le pouvoir de déterminer ce qui est moral et ce qui ne l’est pas. Elle n’a pas davantage de portée métaphysique. Elle n’a pas le pouvoir de dire que ce qui est vivant ne l’est pas. Elle n’a pas le pouvoir de dire que l’enfant, dans le sein de sa mère, n’est pas un enfant, ni un être humain. Elle n’a aucun pouvoir, même, pour dire que la mise à mort d’un être humain n’est pas un homicide, car il est dans la définition même de l’homicide de comporter cette mise à mort. La loi crée des normes de droit positif, oui ; mais elle n’a aucune emprise sur la nature des choses, dont la détermination n’entre pas dans son champ. La nature des choses précède le droit ; là où il la nie, il n’y a plus de droit. Il n’y a qu’une violence d’État. Une iniquité masquée, une escroquerie sociale.
Les partisans de l’avortement le nient-ils ? Ils pensent qu’il n’y a pas d’homicide parce que la loi autorise l’avortement. Alors qu’ils soient logiques avec le principe qu’ils mettent en œuvre. Si la destruction d’une vie n’est pas un homicide parce que la loi la permet, alors le même principe doit conduire à reconnaître qu’il n’y a pas d’homicide si la loi autorise un époux à lapider sa femme convaincue d’adultère ; il n’y a pas d’homicide si la loi ou le pouvoir en place autorisent la mise à mort des handicapés ; s’ils autorisent, voire promeuvent, la mort d’un homme ou d’une multitude parce qu’ils sont juifs, chrétiens, tziganes, communistes ou homosexuels. Si la thèse des partisans de l’avortement est fondée, alors toutes ces occisions sont justes parce que la loi les autorise ou les a autorisées. Quel est l’homme de bon sens qui ne sera pas capable de voir, dans le principe invoqué, un principe gros de toutes les monstruosités possibles ?
ILS SONT ILLÉGAUX
Si la loi a créé un délit d’entrave à l’avortement, ce délit consiste exclusivement à « empêcher ou (à) tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou (ses) actes préalables (…) par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » (art. L. 2223-2 du code de la santé publique). Rien de tel dans les propos du médecin mis en cause.
En revanche, et en dépit des efforts des lobbies féministes et de leurs égéries, la loi prévoit également une « clause de conscience », quoi qu’elle n’en ose pas dire le nom, en faveur, notamment, des médecins gynécologues en ces termes : « Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention (…) » (art. L. 2212-8 du même code).
Il existe donc pour le médecin gynécologue un droit, légalement reconnu, à ne pas pratiquer un avortement, et son refus éventuel n’est pas sanctionné. Un droit, dans le régime applicable, qui n’est pas inférieur à celui de pratiquer un avortement ou de le réclamer. Ce droit se fonde sur la liberté de conscience, qui est l’un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Le Conseil constitutionnel a jugé qu’ainsi, grâce à ce droit, est « sauvegardée (la) liberté » du médecin, « laquelle relève de sa conscience personnelle » (Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, n° 15). Cela signifie qu’est reconnu au médecin le droit de penser que l’avortement n’est pas praticable par lui. Or il n’y a qu’une raison pour laquelle il puisse le penser : c’est sa conviction que l’avortement est un homicide.
La liberté de conscience implique non seulement la liberté de ne pas être contraint d’agir contre ses convictions, mais aussi celle de les manifester, dans les limites imposées par l’ordre public. Le médecin qui se borne à exprimer les raisons pour lesquelles il ne pratique pas d’avortement en indiquant qu’il a la certitude, en conscience, qu’il s’agit d’un homicide, exerce cette liberté de conscience dans ces limites et, conjointement, sa liberté d’expression. Ces libertés sont protégées par la Constitution et par la loi, et toutes deux garanties par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Nul ne peut donc, sous prétexte qu’il est favorable à l’avortement, imposer le silence à qui ne l’est pas, et moins encore par l’invective et la menace. Les dames Schiappa et Busyn peuvent bien hurler dans le sens du vent ; elles peuvent bien se prévaloir de leur charge et de leur autorité, au demeurant tellement éphémères, pour suggérer mensongèrement que le Docteur de Rochambeau aurait commis un délit ; leurs invectives n’en sont pas moins illégales et des violations patentes à la liberté de conscience et d’expression.