Agatha Christie est-elle un auteur chrétien ?

Publié le 18 Oct 2019
Agatha Christie est-elle un auteur chrétien ? L'Homme Nouveau

Le roman policier représente parfois l’ultime refuge des moralistes et la peinture de la société qu’ils offrent à leurs lecteurs, quand elle est juste, et c’est souvent le cas jusqu’en ses pires dérives, est un moyen d’en dénoncer les vices et les travers. En ce domaine, Agatha Christie  excella. À la différence de Simenon, qui avait pris pour devise « comprendre et ne point juger », Mrs Christie n’hésitait pas à dire ce qu’elle pensait de certains choix, certaines attitudes de ses contemporains : elle avait des principes religieux et moraux stricts, que seules les traverses de l’existence l’avait contrainte à enfreindre ; elle en avait beaucoup souffert. C’est à la lumière de cette conscience chrétienne qu’il faut relire une œuvre déjà en partie centenaire mais qui vieillit fort bien.

Le rôle d’un biographe est de révéler ces points d’ancrage spirituels ou moraux, qui façonnèrent la personnalité de celui ou celle dont il raconte l’existence. Il est dommage que Marie-Hélène Baylac, qui publie Agatha Christie ; les mystères d’une vie (Perrin ; 416 p ; 23 €.) se soit peu attachée à ces aspects pourtant essentiels. Peut-être faut-il y voir de la discrétion. En effet, jusqu’à son dernier soupir, qu’elle rendit le 12 janvier 1976, à 85 ans, Agatha Miller, plus connue sous le nom de son premier époux qu’elle put conserver pour écrire, Agatha Christie, veilla jalousement à préserver son intimité et cacher à un public avide de potins sa vie privée. Elle redoutait le jour où des biographes s’aviseraient d’aller fouiller dans ses secrets, tout en sachant que les en empêcher relèverait hélas du défi.

En effet, la vie d’Agatha Christie, en dépit de ses succès professionnels, ne fut pas heureuse. Tôt orpheline de père, confrontée aux problèmes financiers de sa famille, mariée en 1914 à Archibald Christie, un pilote de chasse, espèce neuve et aventureuse, dont elle était éperdument éprise, elle fut abandonnée par cet époux volage au seuil de la quarantaine. Le divorce qu’il réclama afin de se remarier traumatisa profondément Agatha, car la rupture du lien conjugal horrifiait cette austère fidèle de la Haute Église anglicane, attachée à ne rien révéler de ses malheurs. Quand elle se résignerait à se remarier avec un archéologue de quinze ans son cadet, dont Mme Baylac révèle qu’il profita beaucoup de la fortune et de la renommée de son épouse mais la trompa allégrement, elle s’ingénierait à laisser croire qu’elle formait avec ce mari trop jeune le couple idéal, tout comme elle dissimulerait ses heurts avec sa fille unique, acharnée à mettre le grappin sur la fortune maternelle.

Tout cela est triste à pleurer. Heureusement Agatha avait la foi, ce qui n’intéresse guère sa biographe, prompte à affirmer que l’on ne peut pas dire grand-chose à ce propos. Peut-être aurait-il fallu, pour comprendre, s’interroger sur l’horreur que lui inspirait le divorce, sujet peu à la mode, décortiquer ses romans afin de voir, à travers les réactions de ses personnages, notamment le très catholique Hercule Poirot, ce que pensait Mrs Christie de toutes ces questions.

Ce qui est sûr, c’est qu’elle donna beaucoup à son Église et signa, en 1971, le manifeste des intellectuels britanniques en faveur du maintien de la messe de saint Pie V dans les paroisses catholiques d’Angleterre, de sorte que l’indult accordé par Paul VI fut surnommé indult Agatha Christie. 

Ses derniers mots furent : « je vais rejoindre mon Créateur ». Belle fin pour une des plus grandes tueuses en série, fictive, de l’histoire, qui tenait le crime pour fondamentalement immoral …

C’était aussi l’opinion d’Hercule Poirot, son héros récurrent, ce Belge dont l’aspect ridicule cachait la redoutable intelligence. D’une de ses premières enquêtes, Le crime du golf ( Le Masque. 280 p ; 5,60 €.) jusqu’à la dernière, La troisième fille (Le Masque, 380 p ; 5,60 €), en passant par la collection complète des nouvelles dont il est le protagoniste, rééditées en un seul tome Hercule Poirot ; Nouvelles complètes (Le Masque ; 1095 p ; 24,90 €.), le petit bonhomme à crâne d’œuf et belles bacchantes est moins motivé dans sa traque des malfaiteurs par l’appât du gain ou l’accroissement d’une réputation déjà fabuleuse, que par la volonté de traquer le mal, en préserver les innocents, et châtier les coupables d’actes qu’il désapprouve au plus haut point. Il n’est pas neutre que l’on retrouve des schémas parallèles dans Le Crime du golf, en 1920, et La troisième fille, écrit en 1966, car il s’agit, dans les deux cas, de libérer des jeunes gens, héritiers d’une fortune, d’une accusation de meurtre. Intéressant aussi que, derrière ces intrigues se retrouvent des histoires d’épouses abandonnées et de maîtresses prêtes à tout.

Sophie Hannah, qui signe Crimes en toutes lettres (Le Masque. 370 p ; 20, 90 €.) a au moins saisi cette dimension morale de l’œuvre et du personnage lorsqu’elle a accepté, tâche ardue et sacrilège, de donner une suite aux aventures de Poirot.

Accablée par les exigences du fisc, Agatha Christie avait dû tôt abandonner la gestion de ses droits d’auteurs à un consortium administré par sa fille, son gendre et quelques amis sûrs. Cette solution, qui la transformait en salariée de gens qu’elle faisait intégralement vivre, avait des aspects peu aimables mais devait lui permettre de garder le contrôle de son œuvre. Instruite par le précédent de Ian Fleming, dont les héritiers avaient vendu le personnage de James Bond, le livrant à toutes les dérives mercantiles, la romancière s’était précautionnée afin que l’on ne pût en faire autant avec ses propres créatures, allant jusqu’à tuer elle-même Miss Marple et Hercule Poirot.

Hélas, cela n’a pas suffi et ses arrière-petits-enfants, passant outre à ses volontés, ont cédé, à prix d’or, les droits d’exploitation du personnage du détective belge. Crime en toutes lettres est le troisième opus de la série. J’avoue n’avoir pas lu les précédents mais, à en juger par celui-là, il saute aux yeux que, s’il s’agit de tenter un « à la manière de », c’est raté. Cependant, dès que la romancière parvient à se libérer de cet exercice de style pour redevenir elle-même, les choses changent. En bien.

Pourquoi quatre parfaits inconnus ont-ils reçu une lettre signée Hercule Poirot, dont celui-ci n’est pas l’auteur, les accusant de l’assassinat d’un certain Barnabas Pandy dont il n’a jamais entendu parler ? Très irrité de cette usurpation d’identité, Poirot se renseigne sur ce mystérieux Pandy et les circonstances de son décès. Ce faisant, il se retrouve sur la trace d’un authentique criminel qu’il lui faut empêcher de frapper à nouveau.

Le plus surprenant est de découvrir dans ces pages une dénonciation discrète de l’avortement, doublée d’une invitation répétée à pratiquer le pardon des péchés, ce qui passe, venant du très catholique Poirot …

Rien que pour cela, et parce que la seconde partie est bien meilleure que la première, le roman mérite d’être lu. Cela au moins aurait plu à la romancière si attentive à débusquer la présence du Mal, avec une majuscule, dans les agissements mauvais de ses personnages. Rien de manichéen, d’ailleurs, dans ses analyses, comme l’atteste un roman de la maturité, Un meurtre est-il facile ? (Le Masque. 285 p ; 5,60 €).

Parce qu’il était monté par hasard dans un train qu’il n’aurait jamais dû prendre, la vie de l’inspecteur Luke Fitzwilliam, de retour en Angleterre après une longue carrière dans la police coloniale, avait basculé. Sa voisine de compartiment, une exquise vieille demoiselle, lui rappelait sa tante Mildred dont il appréciait tant le bon sens. C’était pourquoi il avait prêté attention à l’histoire abracadabrante qu’elle lui avait racontée : à l’en croire, un être d’une rare malfaisance sévissait dans son petit village ; il s’était déjà rendu coupable de plusieurs crimes et s’apprêtait à en commettre un autre. La prochaine victime serait le médecin du bourg.

Luke aurait oublié tout cela s’il n’avait appris, le surlendemain, et la mort, apparemment accidentelle, de cette délicieuse Miss Lavinia Pinkerton, alors qu’elle se rendait à Scotland Yard, et celle du médecin de Wychwood … La coïncidence lui avait paru trop inquiétante pour ne pas aller y jeter un œil, en prétextant la rédaction d’un livre sur la sorcellerie et les pratiques démoniaques, l’une et l’autre courantes dans la région. Ce détail n’était pas anodin.

Partant de là, ce roman de 1939 se transforme en incursion dans un monde où le mal se déchaîne. Car absolument personne n’est tout à fait net dans cette affaire, qu’il s’agisse de l’antiquaire sataniste et homosexuel, de la belle Bridget, dont Luke est tombé amoureux mais qu’il sent prête à se vendre pour récupérer la fortune familiale, de jeunes filles aux mœurs de moins en moins virginales, de gamins vicieux, ou du héros lui-même qui, amoureux blessé, peut devenir odieux. Seul l’amour viendra, quoiqu’un peu tard, remettre de l’ordre dans un univers sur lequel les ténèbres se sont abattues …

L’amour conjugal et légitime, bien entendu. 

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