Le 6 avril dernier, sur France 2, le ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem annonçait un projet de réforme de l’enseignement indépendant (ou hors contrat), dont elle devait ensuite préciser le contenu lors d’une conférence de presse le 9 juin suivant. Désormais, l’ouverture d’un établissement libre est soumise à un régime d’autorisation préalable qui remplace le simple régime de déclaration en vigueur jusqu’ici. Le ministre envisage également certaines contraintes en terme de programme.
Dès le 28 avril, le secrétaire général de l’Enseignement catholique (sous contrat), Pascal Balmand, adressait une lettre au Président François Hollande pour lui faire part de sa plus grande inquiétude vis-à-vis de ce projet. Alors qu’il avait soulevé l’indignation de nombreux catholiques en accueillant avec bien peu de réserves la réforme du collège, Pascal Balmand a émis cette fois-ci des critiques claires. Pour lui, comme pour de nombreuses personnalités qui ont fait part publiquement de leur opposition, l’État dispose déjà d’un arsenal législatif suffisamment efficace pour prévenir toute dérive sectaire ou communautariste, liée notamment à l’islam, objectif affiché du nouvel encadrement de l’enseignement indépendant. « L’état du droit positif, pleinement appliqué, satisfait dès à présent aux exigences des finalités recherchées », commentait-il. Il a ainsi appelé l’État à utiliser efficacement les moyens dont il dispose déjà plutôt que de sacrifier l’un des droits fondamentaux des parents à choisir l’éducation de leurs enfants et de mettre en péril la pluralité et la diversité pédagogiques permises par l’existence d’écoles « alternatives ».
Le projet de Najat Vallaud-Belkacem concerne également les évêques même si les écoles indépendantes catholiques ne dépendent pas directement des directions de l’enseignement catholique. Il les concerne d’abord parce que, comme catholiques, ils défendent la responsabilité éducative des parents soulignée par l’Église dans son Catéchisme (« Les parents sont les principaux et premiers éducateurs de leurs enfants », n° 1653) ainsi que dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (« L’action politique et législative (doit) sauvegarder (…) la liberté effective de choix dans l’éducation des enfants », n° 252). Mais ce projet les concerne également, parce qu’à sa création, une école privée ne peut obtenir directement son contrat d’association avec l’État et doit attendre cinq ans, pendant lesquels elle a un statut d’établissement hors contrat. Les menaces du ministre à l’encontre de l’enseignement libre sont, in fine, également une menace pour l’enseignement privé sous contrat.
Le 9 juin, dans la foulée de la conférence de presse tenue par Najat Vallaud-Belkacem sur le sujet (cf. encadré p. 13), le Secrétariat général de l’Enseignement catholique réitérait ses inquiétudes dans un communiqué. Particulièrement – voire trop – bienveillante, la hiérarchie de l’Enseignement catholique commence par affirmer ne pas douter que les déclarations du ministre « témoignent d’une volonté sincère ». Reste que l’on peut vouloir le mal et être sincèrement idéologue dès lors que la sincérité ne suffit pas seule à garantir la pureté des intentions… dont est justement pavé l’enfer !
Pour autant, le Secrétariat général de l’Enseignement catholique, quoiqu’il accorde à Najat Vallaud-Belkacem la présomption d’innocence, rappelle que « pour répondre aux objectifs visés par la ministre, il n’est nul besoin de passer à un régime d’autorisation. Le régime de la déclaration permet tout aussi bien de garantir le droit à l’éducation des enfants et la qualité de l’instruction obligatoire. C’est pourquoi le Secrétariat général de l’Enseignement catholique attend du Gouvernement qu’il réécrive le projet d’amendement d’habilitation à légiférer par ordonnance en y conservant le régime de déclaration. La rédaction d’un amendement plus ouvert favoriserait, en effet, la réflexion approfondie et concertée que réclament des sujets aussi fondamentaux touchant aux libertés publiques. »
La réaction des évêques de France
Plusieurs évêques de France ont également fait part de leur opposition au projet du ministre, notamment Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux, en sa qualité de président du Conseil pour l’enseignement catholique, dans un communiqué du 8 juin dernier : « Depuis plusieurs décennies, l’Église a manifesté l’attention qu’elle porte à la liberté d’enseignement. Or, ce nouveau dispositif d’autorisation préalable serait, malgré les assurances apportées, une atteinte au principe même de cette liberté constitutionnelle en posant des conditions à l’ouverture des établissements scolaires ». Pour Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, « L’idée de lutter contre les écoles musulmanes qui seraient suspectes de radicalisation adopte une règle générale qui va surtout s’exercer, non pas à l’égard des écoles musulmanes, mais des écoles catholiques. » Sur quels critères autorisera-t-on l’ouverture d’une école ?, interroge encore le prélat.
De fait, pour l’instant, la « conformité aux valeurs de la République », expression volontairement floue, apparaît comme le critère essentiel aux yeux du gouvernement… Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon a, quant à lui, choisi de s’exprimer en vidéo et publié une intervention de trois minutes dans laquelle il explique les grandes lignes de la réforme et les raisons de s’y opposer, en reprenant à plusieurs reprises les termes de Mgr Ricard. Dans la même optique, Mgr Garnier, archevêque de Cambrai que nous avons contacté, a répondu n’avoir rien à ajouter aux propos de Mgr Ricard : une volonté manifeste de la part de plusieurs évêques de faire valoir l’unité de l’Église de France dans sa défense de la liberté éducative. Et s’ils sont d’ordinaire réservés ou au moins assez silencieux sur la question des écoles libres, Mgr Dufour, archevêque d’Aix, également contacté, confie : « Je peux témoigner de la qualité du travail dans mes établissements hors contrat, le gouvernement n’a pas à s’en inquiéter, puisque je veille ! Après, existe-t-il des établissements qui mériteraient une plus grande vigilance ? Je ne sais pas ! Des écoles qui formeraient au radicalisme islamique ? Je ne sais pas ! J’ai entendu dire qu’il y a aussi, sur le plan du business, des écoles un peu fantômes qui cherchent à faire du profit, et que l’État devrait contrôler ». Il ajoute également : « Pour le moment, les établissements privés catholiques, qui réunissent 20 000 enfants et jeunes, sont la prunelle de mes yeux et je les visite tous régulièrement. Mais je peux comprendre, vu la situation de certains établissements, que des parents préfèrent avoir la liberté de choisir un établissement plus conforme à l’éducation qu’ils souhaitent donner à leurs enfants, sur plan chrétien et sur le plan de la qualité de l’enseignement. C’est pourquoi tout ce que je peux faire pour soutenir ces écoles hors contrat, je le fais. »
Mgr Cattenoz, archevêque d’Avignon, a également bien voulu nous faire part de son mécontentement vis-à-vis d’un projet de réforme qu’il estime clairement dirigé contre les écoles catholiques : « En réalité, je pense qu’on s’appuie sur l’idée d’écoles radicalisées pour faire disparaître les écoles hors contrat et les racines chrétiennes. L’argument du gouvernement n’est qu’un argument de façade, une fuite en avant pour faire dire ce qu’il veut. Il veut simplement progressivement faire disparaître ces petites écoles. L’objectif est très clair : il est de faire disparaître toutes nos racines chrétiennes jusqu’aux dernières. On a vraiment l’impression que les socialistes, sentant qu’ils n’auront plus le pouvoir l’an prochain, s’empressent de faire passer n’importe quoi. Mais, pour moi il y a une règle de fond : les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. Il doit y avoir une liberté d’éducation. Que la République ait un droit de regard sur les écoles, c’est normal puisque l’école est obligatoire pour tous, mais en dehors il doit y avoir une liberté absolue des choix pédagogiques pour les parents et les enseignants. »
Si tous les évêques de France n’ont pu – ou voulu – répondre à nos questions, la volonté de défendre le droit des parents à choisir l’éducation de leurs enfants semble unanime. Jusqu’où l’opposition ira-t-elle si le gouvernement persiste ? L’enseignement catholique pourrait-il décider de se dégager de la tutelle de l’État s’il bafouait, une fois de plus, l’un des principes fondateurs de la doctrine sociale de l’Église ?