Qui n’a connu, au début de l’an nouveau, un moment d’appréhension en contemplant un calendrier de l’année débutante ou les pages blanches d’un agenda ? De tous temps, les commencements, les premières fois, ont été porteurs de périls et d’angoisse. Cet avenir, dont nous ne sommes pas maîtres, mais que nous voulons planifier et plier à nos envies, nos caprices, nos espoirs, a de quoi faire peur puisqu’il nous rappelle la fugacité de nos existences et notre incapacité à nous libérer de la mort inévitable.
Certes, reste la possibilité, que l’on voudrait offrir à nos contemporains comme une intangible liberté, d’en fixer soi-même l’heure et les modalités. Mensonge supplémentaire d’une société aux mains du père du mensonge qui, jamais, ne délivrera l’homme de « cette destinée démesurée » dont parlait déjà Sophocle, et qui ne trouve sa raison d’être que dans la plus folle, la plus glorieuse des promesses : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme soit fait dieu. »
C’est animés de cette certitude qu’il convient donc d’appréhender l’an neuf, d’ailleurs, d’un point de vue liturgique, déjà entamé depuis le premier dimanche de l’Avent, sans trop se préoccuper de ce qui sera ou ne sera point, auquel nous ne pouvons pas changer grand-chose. Dès lors, l’agenda, d’objet d’effroi, redevient banal support aux obligations et rendez-vous quotidiens.
Des agendas, il en existe désormais de toutes sortes, très éloignés des petits carnets de cuir que nos parents possédaient. De tous formats, ils sont magnifiquement illustrés, déclinent une gamme thématique quasi infinie, dispensent souvent des conseils ou des informations les transformant en almanachs. Tous les goûts, jusqu’aux plus bizarres, trouvent à se satisfaire.
Les éditions Ouest-France proposent chaque année leur sélection. Retenons-en trois.
L’agenda Nature (16,50 €) est un classique de la gamme. Toujours splendidement illustré par Dominique Mansion, dessinateur et botaniste doué, auteur de nombreux ouvrages, il se révèle mine d’informations pour tous ceux que fascinent la faune et la flore. Pas de véritable ligne directrice dans ce foisonnant fouillis où se côtoient les moisissures des fruits en décomposition, les variétés de lotus, l’utilisation du bois de frêne, l’art oublié du plessage qui permet la création d’une clôture naturelle et vivante, le cocotier, l’aucuba, le mahonia à feuilles de houx, la bréphine ligérienne et la cicindèle, le dytique bordé et l’épeire fasciée – vous acquerrez incontestablement du vocabulaire …- la sterne et la salamandre, l’amphidrome pervers, qui n’est, rassurez-vous, qu’un escargot indonésien ; vous découvrirez l’étrange procédé qui permet au triton de stopper sa croissance à un stade juvénile, saurez différencier le plantain d’eau de la baldellie fausse renoncule, ou qu’il existe 120 000 variétés de papillons de nuit contre 25 000 de jour, comprendrez pourquoi la bienséance a préféré renommer coing le fruit du cognassier, dont la première appellation pouvait prêter à fâcheuses confusions, et apprendrez que les poires furent, jusqu’à une époque récente, des fruits immangeables crus.
Somme toute, de jour en jour, vous deviendrez plus intelligent, plus cultivé, plus attentif, surtout, aux beautés de la Création que nous avons désappris à regarder.
Autre classique, l’Agenda Bretagne des légendes, (16,50 €), qu’illustrent les photographies d’Yvon Boëlle. Pas de textes ici mais aucun amoureux de la Bretagne et des mystères celtes ne restera indifférent à ces clairières étranges où l’on s’attend à voir surgir la fée Viviane, aux rochers déchiquetés de la côte, aux tempêtes déferlant sur les phares en pleine mer, aux troublants effets de lumière sur des paysages déjà magnifiques qu’ils viennent sublimer.
Les amateurs d’histoire pourront choisir le D Day Agenda (12,90 €), sorti dès le mois de mai dernier, soixante-quinzième anniversaire du Débarquement de Normandie oblige. Agenda perpétuel, il est utilisable à tout moment et vise aussi bien le public français féru d’histoire que les touristes anglais, américains, canadiens. Sous couverture toilée kaki, il propose photographies d’époque et affiches de propagande allemande ou alliée évoquant l’atmosphère des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Pour être sincère, ce n’est pas follement gai et l’on se demande, en le feuilletant, qui peut avoir envie, une pleine année, de contempler la binette d’Hitler ou des vues de villes en ruines … Sauf à supposer qu’il s’agit d’aider à relativiser les tracas quotidiens en se remémorant que le monde et la France ont déjà connu pire …
Dans un autre ordre d’idée, Colette Nys-Mazure propose, avec Le chant des jours, une année en poésie (Desclée de Brouwer, 140 p, 8,90 €) de lire, chaque matin ou chaque soir, quelques lignes de Marie Rouget, alias Marie Noël, l’un de nos derniers très grands poètes chrétiens, dont la cause de béatification est ouverte.
On a beaucoup caricaturé l’œuvre, à tort étiquetée édifiante, et la femme, méchamment traitée de « vieille fille ». Mlle Rouget, qui se sacrifia sa vie entière à une famille responsable du grand désastre sentimental de son existence, sous ses dehors tranquilles, cachait une âme de feu, terriblement tourmentée par le drame du Mal, et qui avait bien souvent des difficultés avec Dieu … Écrivain exigeant, elle retravaillait impitoyablement sa prose et ses vers, en quête d’une perfection dont elle désespérait, bien sûr. Empruntés à ses Notes intimes et au recueil célèbre, Les Chansons et les heures, ces extraits choisis, s’ils en disent long sur leur auteur, aident aussi, par sa profonde connaissance des souffrances de l’existence, dont elle avait eu sa part, à porter un regard de foi, de confiance et d’espérance sur les traverses de nos propres vies.