Au quotidien n°161 : les dangers de la repentance française

Publié le 04 Mar 2021
Au quotidien n°161 : les dangers de la repentance française L'Homme Nouveau

Sur le  site du Figaro (3 mars 2021), on peut lire cette information : « Le rendez-vous n’avait pas été inscrit à l’agenda officiel. Il a été révélé mardi soir par un communiqué tardif envoyé autour de 23 heures. «Aujourd’hui, le président de la République a reçu au Palais de l’Élysée quatre des petits-enfants d’Ali Boumendjel pour leur dire, au nom de la France, ce que Malika Boumendjel aurait voulu entendre : Ali Boumendjel ne s’est pas suicidé. Il a été torturé puis assassiné», peut-on y lire. Après avoir déjà «reconnu, au nom de la République française, que (le mathématicien communiste) Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile», Emmanuel Macron poursuit donc la trajectoire entamée dès le début de son quinquennat. »

Cette déclaration fait suite au Rapport Stora sur la guerre d’Algérie. Le site du Secours de France avait publié (6 février 2021), lors de la remise de ce rapport d’un historien engagé au Président de la République, l’analyse de Jean-Jacques Jordi, historien, spécialistes de l’Algérie française et toujours disponible à la lecture. Quelques extraits montrent l’intérêt d’une vraie démarche historique :

J’ai lu plusieurs fois ce rapport, sans doute parce que j’en attendais beaucoup. Et au final je suis resté sur ma faim. A une première partie générale sur l’état d’esprit de ce rapport, les grandes lignes d’explicitation de ce qu’est un travail de mémoire et de réconciliation, succède une série de préconisations relativement décevantes. Comme si la réconciliation n’était pas à chercher avec l’Algérie mais avec les mémoires qui s’affrontent sur le seul sol français. Avouons que l’entreprise relevait plus du funambulisme que de la recherche historique. Disons-le d’emblée, la science historique n’est pas une opinion.

Effectivement l’Algérie d’aujourd’hui ou à tout le moins le gouvernement algérien semble absent du rapport sauf à deux reprises où Benjamin Stora souligne l’accord préalable des autorités algériennes ou un « reste encore à discuter ». Concrètement, il faut être funambule car l’on connaît la position officielle du gouvernement algérien concernant les Archives, les faits d’histoire, le jonglage sur le nombre de morts, les dénis en tous points… et par la suite, on comprend que les mots excuses, repentance, réparation financière et crime contre l’humanité arrivent dans les discours algériens. Il s’agit là de postures sans doute mais sans possibilité de réconciliation. Pour se réconcilier, il faut être au moins deux et chacun doit être capable d’avancer vers l’autre. Or, l’Algérie s’est muée depuis longtemps en statue du Commandeur avec soit les bras croisés (fermés à toute initiative), soit avec un doigt accusateur et vengeur. Aujourd’hui, le gouvernement algérien souffle le chaud et le froid en espérant rejouer les Accords d’Evian non respectés soixante années après. De son côté, la France avec le président Chirac a tenté une réconciliation qui n’a reçu aucun véritable écho en Algérie. Et les différents présidents français ont eux-aussi tenté cette réconciliation, en vain. Il était donc normal et logique que le Président Macron essaie lui-aussi. Mais à chaque fois, la repentance, l’accusation de génocidaires, les excuses officielles de la France et une réparation financière évaluée on ne sait comment à 100 milliards sont pour les gouvernements algériens un préalable avant toute discussion (comme le Sahara lors des discussions d’Evian). (…)

Quant aux juifs, on peut mettre dos à dos ceux engagés pour l’indépendance et ceux qui s’engagent dans l’OAS. Cependant, il y eut davantage de juifs dans l’OAS qu’il n’y en eut dans les rangs du FLN. Même si la très grande partie d’entre eux, très français, restaient bouleversés par cette guerre, les archives montrent bien que les juifs ont été des cibles du FLN dès 1956 ! Il faudra bien, à un moment donné, faire la part des discours tenus par les uns et les autres et la réalité. Ce n’est pas la vérité que doit chercher l’historien mais la véracité et cela est plus difficile. Sur les préconisations, mon questionnement révèle une incompréhension de celles-ci qui sont pour le moins décousues et qui ne sont pas à même de favoriser une quelconque réconciliation, moins encore un apaisement. Pourquoi Gisèle Halimi ? Au demeurant excellente avocate et pionnère de la cause féministe ? Elle est née en Tunisie et s’il faut la réconnaître, ce n’est pas au titre de l’avocature et de défenseure de membres du FLN (il y a bien d’autres avocats qui ont assumé leur mission de défendre leurs clients) mais de son combat pour le droit des femmes. De ce fait, que vient-elle faire dans ce rapport ? Ne faut-il pas lui préférer William Lévy, secrétaire de la fédération SFIO d’Alger assassiné par l’OAS et dont le fils avait été assassiné peu de temps avant par le FLN ? Et on ne serait pas en peine de trouver d’autres personnes. Pourquoi vouloir faire reconnaître Emilie Busquant (épouse de Messali Hadj) par la France Elle n’a pas connu la guerre d’Algérie puisqu’elle est morte en 1953. Le fait qu’elle ait « confectionné » le drapeau algérien entre 1934 (Stora) et 1937 (Yahia) suffit-il à ce que la France lui rende hommage alors que l’Algérie ne l’a pas reconnu comme militante de la cause nationale pour l’indépendance de l’Algérie ? Il y a tant de femmes que la France devrait reconnaître : celles qui composaient les EMSI (les équipes médicales), Mademoiselle Nafissa Sid Cara, professeur de lettres, députée d’Alger et membre du gouvernement Debré jusqu’en 1962, par exemple… et quid du Bachaga Boualem, du médecin Abdelkader Barakrok, de Chérif Sid Cara (frère aîné de Nafissa), député et secrétaire d’Etat de la République Française.

Pourquoi les époux Chaulet alors qu’ils ont pris la nationalité algérienne, sont reconnus comme moudjahids et honorés par l’Algérie (la clinique des Grands brûlés d’Alger porte leurs deux noms) ? Pourquoi ne pas leur préférer les époux Vallat, elle institutrice, lui directeur d’école assassinés par le FLN ? Ils ne sont ni colons, ni militaires et sont morts pour la France. Pourquoi la France devrait reconnaître l’assassinat de Maître Ali Boumendjel (reconnu lui-aussi en Algérie comme martyr) plus que d’autres commis à la même époque ? Ne revient-il pas à la France de reconnaître en premier les siens avant de reconnaître ses adversaires ? La seule question à se poser est la suivante : peut-on être héros et martyr algérien (y avoir sa place, sa rue à Alger ou ailleurs) et héros français ? Non bien évidemment. Dans tous les pays du monde, tous ceux, Français, qui auraient pris faits et cause pour l’Algérie indépendante en aidant le FLN auraient été considérés comme traîtres. Cela n’est pas le cas en France. Et pourtant, face au Manifeste des 121 de septembre 1960 intitulé Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, à l’initiative de Dionys Mascolo et de Maurice Blanchot (au passé d’extrême droite, antisémite et vichyste), signé par Sartre et par tous ceux qui soutiennent le réseau Jeanson, un autre manifeste, le Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l’abandon, paru en octobre 1960, dénonce l’appui que certains Français apportent au FLN, les traitant de « professeurs de la trahison ». Celles et ceux qui signent ce manifeste sont plus nombreux et portent des noms prestigieux : Jules Romains, André-François Poncet, Daniel Halévy, François Bluche, Guy Fourquin Roland Mousnier, Pierre Chaunu, Yvonne Vernière, Jacques Heurgon, Charles Picard, Antoine Blondin, Roland Dorgelès, Marie-Madelien Fourcade, Suzanne Labin, le colonel Rémy, Pierre Grosclaude…Nombre d’entre eux sont de grands résistants. Que dit ce Manifeste : « Considérant que l’action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés – et à y protéger la totalité de la population, qu’elle soit de souche française, européenne, arabe, kabyle ou juive, contre l’installation par la terreur d’un régime de dictature, prodigue en persécutions, spoliations et vengeances de tous ordres dont le monde actuel ne nous offre ailleurs que trop d’exemples ». (…)

Sur les Disparus, là-aussi, il y a une manque de discernement historique : le rapport parle de dizaines de milliers de disparus algériens (d’où ce chiffre vient-il?) mais omet le chiffre pourtant bien connu maintenant des 1700 disparus européens, des 5 à 600 militaires français disparus, inscrits d’ailleurs sur le Mémorial du quai Branly. Dans le même état d’esprit, si les disparus d’Oran sont évoqués, rien n’est dit sur ceux d’Alger pourtant en nombre plus important ! Et, à ma connaissance, ni Raphaëlle Branche, ni Sylvie Thénaut, ni Trémor Quémeneur ne parlent des disparus européens alors que ces historiennes et historien sont cités dans le rapport sur ce sujet. En revanche, un travail sur la localisation des sépultures des « disparus » est à faire. Sera t-il rendu possible par l’Algérie ? J’en doute fort. Enfin, il y a sous la direction des Archives de France (dont le Service des Archives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le SHD) et l’ONACVG une commission qui a travaillé sur l’élaboration d’un guide sur les Disparus en Algérie qu’ils soient le fait de l’armée française, du FLN et de l’ALN. Préconiser une recherche qui existe déjà est problématique.

‘…)

Concernant les ex-supplétifs et Harkis, le rapport les met dans une portion congrue : il aurait fallu dire que si la France les a abandonnés, c’est bien l’Algérie indépendante qui les a massacrés ! Il faudrait donc faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants en Algérie mais cela reste à voir avec les autorités algériennes ! Cela n’est pas possible : il faut que la France reste sur ses positions sinon cela sera perçu comme une action à sens unique et de fait vouée à l’échec.

(…)

L’idée générale que je retiens est que ce rapport (qui reprend beaucoup de choses publiées par Benjamin Stora les années précédentes) n’est pas à même d’apporter une quelconque réconciliation ni avec l’Algérie, ni avec les « communautés » étant en France, chacune portant une mémoire spécifique, pour autant que cette dernière affirmation soit vraie, ce dont je doute. Laissons donc travailler les historiens et non les « mémoriens ».

Sur le sujet, on pourra lire aussi la synthèse écrite par Jean Sévillia, Les vérités cachées de la guerre d’Algérie, qui vient d’être publiée dans une version de poche, mise à jour.

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