Au quotidien n°248 : l’Occident va-t-il imploser ?

Publié le 14 Sep 2021
Au quotidien n°248 : l’Occident va-t-il imploser ? L'Homme Nouveau

A l’approche de l’anniversaire de l’attentat du 11 septembre 2001, cette question a été au cœur de deux entretiens publiés dans le Figaro. Le premier (10 septembre 2021) donne la parole à l’Américain Joshua Mitchell, professeur de théorie politique à l’université de Georgetown, spécialiste de Tocqueville et le second (11 septembre 2021), à deux Français, Pierre Manent et Pascal Bruckner. Au-delà des différences d’approche, le constat est le même : l’Occident est avant tout rongé par le cancer du doute qui l’entraîne à se remettre en cause constamment et jusqu’à ses propres fondements.

Pour Joshua Mitchell :

 « Deux décennies ont déjà passé depuis ce jour terrible du 11 septembre 2001. Beaucoup d’entre nous se souviennent de l’endroit où nous étions, de l’incrédulité et de la détresse que nous avons ressenties, de la vengeance que nous avons recherchée. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a raconté aux Américains que la modernisation balaierait les préjugés de la nation, de la religion et des liens tribaux, que l’Amérique était la « cité sur la colline » dont la lumière illuminerait le chemin des autres nations. Septembre 2001 a été la confirmation brutale, pour la psyché américaine, que cette histoire de modernisation était fausse. Les néolibéraux, qui gardent largement le contrôle des affaires, pensent, comme ils le pensaient alors, que le monde peut se moderniser à travers la propagation de « normes globales ». Le fait que le secrétaire d’État Antony Blinken ait donné l’ordre aux ambassades, à travers le monde, de faire flotter le drapeau de la Gay Pride est la preuve qu’un néolibéralisme naïf est toujours en vigueur sous Biden. L’Afghanistan est tombé en un week-end ! Cela ne montre-t-il pas à quel point les « normes globales » sont faibles ? (…) La racine immédiate de notre crise américaine est le fossé grandissant entre élites et classes populaires. la gauche comme la droite ont contribué à ce problème. À droite, l’engagement en faveur du « veto du marché libre » a nui aux classes populaires. Par « veto du marché libre », j’ai en tête l’idée que la politique sociale devrait être déterminée par la simple mesure de l’efficacité économique, quelles que soient les conséquences pour les ouvriers. Cela a eu pour conséquence la délocalisation d’une énorme partie d’activités jadis menées dans nos frontières. (…)

Nous ne savons pas encore clairement comment décrire la division qui déchire nos nations. Je me demande si l’approche la plus pertinente n’est pas celle qui sépare « la classe digitale » de ceux qui vivent dans le « monde réel ». La pandémie du Covid a révélé cette rupture. Si vous pouvez vous mettre en quarantaine, commander vos provisions par internet et gagner votre vie sur Zoom, vous être membre de la classe numérique. Si vous apportez les courses, si vous n’avez pas de compte Netflix et que vous produisez les choses à distribuer, vous êtes un membre de l’autre classe. Le rêve de la classe numérique est celui d’un monde sans le chaos des « choses », un monde sans limites, et notamment un monde sans les inconvénients d’être un homme ou une femme mortels, dans une communauté à laquelle vous êtes attachés dès votre naissance. (…)

La « politique des identités » n’est pas encore complètement comprise. Elle émerge du postmodernisme, et doit être distinguée du marxisme, dont l’origine remonte à la pensée allemande de la génération d’avant Nietzsche. C’est un courant distinctement américain, même si l’Europe semble y succomber aussi. À première vue, ses buts sont nobles. Qui ne voudrait pas prendre au sérieux l’identité de quelqu’un ? Mais ce n’est pas ce dont il s’agit. Ce mouvement vise à évaluer chaque membre de chaque groupe identitaire en fonction de leur supposée innocence ou culpabilité collective. De plus, chaque groupe soi-disant innocent est défini en fonction de sa distance vis-à-vis du « transgresseur primordial », qui est actuellement l’homme blanc hétérosexuel. Si vous êtes une femme, vous obtenez des points d’innocence. Si vous êtes non blanc, aussi. Si vous êtes homosexuel, également. La politique des identités est un tableau de classement de pureté morale. C’est, selon moi, le « nouvel eugénisme spirituel », qui sépare les purs des damnés. Les voix des purs doivent être entendues, mais si vous êtes parmi les damnés vous devez être purgé du corps social. (…) La crise de l’Occident est une crise de la culpabilité. Pendant la période chrétienne, l’homme pouvait se repentir et pardonner dans un monde imparfait de transgression et de péché, dont seule pouvait nous sauver la grâce de Dieu. Mais qui vit avec cette connaissance en son cœur aujourd’hui ? Aujourd’hui, nous vivons avec Rousseau qui nous chuchote que l’homme est naturellement bon, que la violence et la transgression sont exceptionnelles, et peut-être même bien l’unique prérogative des hommes blancs hétérosexuels. Nous n’avons plus le courage d’assumer le tableau terrible de l’homme que nous avait légué le christianisme en même temps que sa proposition d’alléger le fardeau du péché à travers Dieu. On peut rêver d’un âge postchrétien qui ferait disparaître à la fois le péché et son antidote, un âge sécularisé où il n’aurait plus de culpabilité. Mais nous n’y sommes pas.

De son côté, Pierre Manent pointe la « cancel culture » :

L’Europe, les États-Unis et le Canada jouissent encore d’une situation enviable. Nous voulons croire qu’elle tient à l’attrait de nos « valeurs » et de notre mode de vie. Elle tient surtout à ce qui nous reste de l’ascendant acquis dans les siècles de l’empire européen – à ce que nous étions plus qu’à ce que nous sommes – et aussi bien sûr à la protection assurée gratuitement par l’empire américain. En dépit de ses doutes croissants sur la fiabilité de cette protection, l’Union européenne refuse de constituer une défense européenne crédible : quand on déclare depuis plus d’un demi-siècle que l’on va faire quelque chose, c’est que l’on ne veut pas le faire. Seuls le Royaume-Uni et la France parviennent encore à préserver une armée digne de ce nom. Pour combien de temps ? Honteux et confus d’avoir dominé le monde, les Européens ont décidé de se livrer à lui en s’ouvrant sans réserve à la circulation des flux – marchandises, capitaux, êtres humains. Nous avons décidément tenu trop de place, il est temps de nous effacer… C’est le fond de la « cancel culture » dont nous feignons de nous indigner

Pascal Bruckner apporte la conclusion de façon lapidaire :

Le pire ennemi de l’Occident, c’est l’Occident lui-même, la haine qu’il nourrit à l’égard de ses réalisations.

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