Historien, Denis Pelletier publie une tribune dans La Croix (7 décembre 2021) pour montrer que le départ de Mgr Aupetit de Paris marque la fin de l’ère instaurée par Mgr Lustiger. Sans le dire en ces termes, il entend montrer que c’est l’échec d’une troisième voie (ni traditionalisme ni progressisme), qui se déroule ainsi sous nos yeux. Et, bien sûr, il estime que la marche en avant, dont la synodalité est une étape, conduira à des jours meilleurs. On connaît dans d’autres registres comment se termine ce type d’espérance : avec « la gueule de bois » et le désespoir au cœur.
Davantage que sur les causes, réelles, supposées ou affichées, de l’acceptation rapide par Rome de la démission de Mgr Michel Aupetit, il faut s’interroger sur sa signification à l’échelle de quarante ans d’histoire. Cette démission marque, d’abord et avant tout, la crise d’un système de gouvernement du diocèse de Paris qu’avait imposé Mgr Jean-Marie Lustiger, (archevêque de Paris de 1981 à 2005), et que ses deux successeurs ont cru pouvoir maintenir. La crise, donc, de ce qu’on pourrait appeler le « modèle lustigérien ».
La confiance entre Mgr Lustiger et Jean-Paul II reposait sur une commune conception de l’Église et de son rapport à la modernité comme problème philosophique et ecclésial : une relation de dialogue conflictuel avec le monde moderne, nourrie d’une vraie connaissance de ses acquis, notamment en termes de droits humains, et d’une commune critique de ses « excès ». L’un et l’autre tenaient la modernité héritée des Lumières comme partiellement responsable des totalitarismes du XXe siècle.
Après la mort du cardinal, ce modèle lustigérien de l’Église parisienne a poursuivi sur sa lancée, au risque de virer à l’entre-soi. Son successeur, Mgr André Vingt-Trois, avait enseigné au séminaire d’Issy avant de devenir vicaire général du diocèse puis évêque auxiliaire. C’est à lui que revint le soin de mener à terme le projet des Bernardins, vitrine parisienne d’un certain catholicisme intellectuel. Longtemps médecin généraliste à Colombes, Mgr Michel Aupetit a fait à Paris toute sa carrière de prêtre, de vicaire général puis d’évêque auxiliaire. Mais ce n’est faire injure ni à l’un ni à l’autre que de dire qu’ils n’ont eu ni l’envergure intellectuelle ni l’aura de leur prédécesseur. Du coup, le modèle d’autorité dont ils héritaient a perdu son sens et son efficacité.
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Ce qui est en jeu dans la démission de Mgr Aupetit, c’est donc l’épuisement d’un modèle d’autorité, spécifique à Paris et jugé utile en tant que tel, qui faisait contrepoids aux incertitudes et aux divisions de l’épiscopat français, et que les successeurs de Mgr Lustiger n’ont pu maintenir. C’est qu’aussi les temps ont changé. Confronté à une crise globale du catholicisme, le pape mise sur la synodalité et sur une forme de déconcentration de la décision au niveau des Églises locales. Il a pour cela besoin d’interlocuteurs solides sur lesquels il puisse s’appuyer.