Au quotidien n°338 : après les Ephad, les maternités aussi ?

Publié le 10 Fév 2022
Au quotidien n°338 : après les Ephad

Le Point (10 février 2022) consacre tout un dossier d’enquête sur la situation des maternités en France et sur les conditions d’accueil des femmes devant donner le jour. Avec en pointe la question de l’accouchement à domicile.

Avant de mettre au monde son premier enfant à la maternité du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), Sara Maubert, 28 ans, avait « totalement confiance » dans l’hôpital public. Elle n’appréhendait pas son accouchement et pensait qu’en suivant les consignes des professionnels tout se passerait au mieux. « En sortant de là, tout était brisé. Ma confiance dans le corps médical, mon estime de moi, mon rapport à mon corps… Même aujourd’hui, le dossier n’est pas clos. À chaque fois que j’ai du mal à aller aux toilettes – parce que, oui, tout n’est pas rentré dans l’ordre –, les souvenirs remontent. »

Les témoignages comme celui de Sara sont légion. Sur les forums dédiés aux parents, dans la presse, sur les plateformes de vidéos en ligne ou les réseaux sociaux, où fleurissent les hashtags comme #MonPostPartum, les femmes n’hésitent plus à partager le vécu douloureux de leurs accouchements et de leurs suites de couches. Même la ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, évoque la « boucherie » de son premier accouchement dans le documentaire d’Arte « Tu enfanteras dans la douleur ». Toutes dessinent une maternité qui, loin d’être le cocon protecteur qu’on veut imaginer pour la naissance d’un bébé, s’est transformée en lieu de maltraitances ordinaires, voire de violences extraordinaires : paroles infantilisantes ou méprisantes du personnel hospitalier ; manque d’écoute ; gestes effectués trop rapidement, sans tact, sans justification, sans consentement ; expressions abdominales [ une pratique interdite qui consiste à faire pression sur le fond de l’utérus pour faire sortir le bébé plus vite, NDLR] ; césariennes à vif ; bébés retirés à leurs parents dès les premières minutes sans explication, etc.

Consentement. Dérapages occasionnels ? Circonstances exceptionnelles ? Les chiffres plaident plutôt en faveur d’un problème de fond. 31 % des femmes ne se sont pas senties respectées ou entendues par l’équipe médicale, lors de leur premier accouchement ; 37 % auraient souhaité qu’on leur explique les gestes pratiqués et qu’on recueille leur consentement ; 29 % estiment avoir vécu des violences gynéco-obstétricales, relève par exemple l’enquête de l’ONG Make Mothers Matter (MMM), conduite sur 22 000 mères. Plus inquiétant encore, différentes études concluent qu’environ une femme sur trois souffre désormais de dépression post-partum. Et, en France, le suicide est devenu, après les maladies cardio-vasculaires, la première cause de mort maternelle, définie comme le décès d’une femme au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison. D’où ce cri d’alarme, …

(…)

« Oui on peut dire que les maternités sont devenues des lieux de maltraitance », confirme sans détour Anna Roy, qui a exercé dix ans comme sage-femme à la maternité des Bluets (Paris 12e), avant de se tourner à 100 % vers le libéral. Alarmée par la dégradation croissante de ses conditions de travail et au risque de heurter la profession, elle a lancé le hashtag #JeSuisMaltraitante, décrivant les mauvais traitements qu’elle a elle-même fait subir, par la force des choses, à ses parturientes. « Aujourd’hui, accoucher revient à jeter un dé en l’air. Si vous avez de la chance, vous allez tirer le bon numéro et tomber sur une garde super, avec peu de monde en salles de naissance et une équipe aux petits oignons. Si vous n’avez pas de chance, vous allez être massacrée. »

(…)

36 % des Françaises souhaiteraient accoucher chez elles si elles en avaient la possibilité (Ifop) ; pourtant, seules 0,3 % le font. Outre la question de l’éligibilité (ne sont prises en charge à domicile que les grossesses à bas risque, selon des critères établis par la Haute Autorité de santé), il y a surtout la difficulté à trouver une sage-femme pratiquant l’AAD : elles ne sont que 85 en France ! Pour pouvoir exercer, ces sages-femmes doivent en effet souscrire, comme tous les professionnels de santé depuis 2002, une assurance responsabilité civile professionnelle. Aucun assureur en France ne veut actuellement couvrir ce type de risque, et il faut des épaules solides pour supporter la « diabolisation de [ notre] activité », déplore Isabelle Koenig, présidente de l’Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile : « Il y a une méconnaissance totale de la façon dont nous travaillons. » À trop ignorer le souhait des femmes d’accoucher chez elles, le risque est que certaines le fassent malgré tout, sans accompagnement, met en garde la sagefemme, qui dit refuser « les trois quarts des demandes sans faire aucun prosélytisme »

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