Il faut bien en convenir, l’éditorial de Jacques Julliard dans le dernier numéro de Marianne (du 22 au 28 mai) aborde une question importante – notre rapport à la mort – et le changement de civilisation que révèle notre attitude pendant la pandémie :
De quoi meurt-on ? Les réponses sont multiples, qui vont du cancer et des maladies cardio-vasculaires jusqu’aux accidents de la route et, aujourd’hui, au coronavirus. Pourquoi meurt-on ? Parce que la mort est inscrite dans notre patrimoine génétique. Pour quoi meurt-on ? Jadis, les réponses étaient variées : pour sa patrie, pour sa foi, pour la révolution, pour la République… Aujourd’hui, c’est une question sans réponse. On n’a plus grande envie de mourir pour ces nobles causes. On ne meurt plus guère, dans nos sociétés, que pour les siens, c’est-à-dire pour sa famille, a coutume de répondre Luc Ferry. La vérité est qu’on n’a moins que jamais envie de mourir. Tous les comportements, individuels ou collectifs, enregistrés pendant la pandémie que nous vivons témoignent de cette évidence : sauve qui peut, la vie ! Encore un petit moment, monsieur le bourreau ! Il n’y a pas d’autre explication à la facilité avec laquelle la moitié de l’humanité a accepté de se mettre pendant deux mois en vacance de son destin. Sur la grande scène de l’univers, nous avons accepté bien volontiers de nous muer en intermittents du spectacle. Vous allez me dire que c’est bien naturel. Je vous y prends : justement, ce n’est pas naturel ! C’est même la première fois. (…) Au-delà de ses raisons prophylactiques, la fermeture des églises, temples, mosquées revêt une signification symbolique,une sorte de bannissement de toute espèce de spiritualité. Confinés comme le commun des mortels, les hommes d’Eglise ne se sont guère fait entendre, incapables d’apporter à l’événement un surcroît de sens. Aux informations, cette interruption sans précédent du culte a été à peine mentionnée. Si le Mont-Saint-Michel est apparu si souvent à l’écran, ce n’est pas parce qu’il abrite une église abbatiale, c’est seulement parce qu’il est un haut lieu du tourisme, une tour Eiffel dans l’eau. Cette éclipse totale du religieux retire à un événement collectif de cette ampleur ce qui en faisait jadis la dimension émotive et spirituelle. Et c’est finalement le Conseil d’Etat qui a ordonné la levée de l’interdiction de réunion dans les lieux de culte. Voulez-vous une définition de notre civilisation ? C’est peut-être la première pour laquelle aucun de ses bénéficiaires n’a envie de mourir ! Un morne silence s’est abattu sur toute la société, meublé de rigolades rebattues.
Sur Antipress (10 mai), Eric Werner s’est intéressé à la situation de la France, bien au-delà de l’épisode actuel lié au coronavirus :
L’État français s’érige volontiers en donneur de leçons quand il s’agit de pays comme la Hongrie et la Pologne, leur reprochant de sortir des rails en un certain nombre de domaines. En Pologne c’est l’indépendance de la justice qui est menacée, en Hongrie celle des médias, etc. C’est l’histoire de la paille et de la poutre. Demandez à François Fillon ou à Jean-Luc Mélenchon ce qu’ils pensent de l’indépendance, en France, de la justice. Ou aux gens en général ce qu’ils pensent de l’indépendance des médias publics ou même privés en France. Ou de la loi Avia. (…) Pour expliquer toutes ces dérives et d’autres encore (il semble bien, par exemple, que l’État français ait limité par directive l’accès aux urgences des personnes âgées, ce qu’on interprétera comme on voudra, mais assurément pas comme un acte de particulière philanthropie), certains rappellent que la Cinquième République est née en France d’un coup d’État militaire et que ceci explique peut-être cela.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a célébré la contre-attaque de Montcornet, menée par le colonel De Gaulle en 1940. Sur son blog, Secret Défense, Jean-Dominique Merchet a publié deux articles consacrés au sujet (17 mai) :
L’évocation des combats de Montcornet (17 mai), de Crécy-sur-Serre (19 mai) et surtout d’Abbeville (28 au 30 mai) sera moins risquée pour le chef de l’Etat. La légende gaullienne les a transformés en mythe dès l’époque de l’Occupation. (…) Pourtant, ces combats ne furent pas des victoires. « Il ne faut pas les surestimer : ils se sont soldés par trois échecs », constate Julian Jackson, le plus récent biographe du Général, auteur de De Gaulle (Seuil, 2019). (…) Les historiens s’accordent à penser que si Charles de Gaulle fut un stratège politique de génie, il s’illustra moins comme tacticien militaire ou comme meneur d’hommes. Le colonel de Gaulle ne resta d’ailleurs que deux semaines au front.
En commémorant, ce dimanche, les combats de Montcornet (Aisne) de 1940, le président Macron a-t-il vraiment « regardé l’histoire en face », comme le promettait l’Elysée ? Dans un discours inhabituellement bref – seize minutes –, le chef de l’Etat n’a pas dévié d’un trait de la mythologie gaullienne et s’est prudemment abstenu d’analyser les causes de cette « étrange défaite » (Marc Bloch). Exaltant le « sacrifice » et le « courage » des combattants de mai-juin 1940, Emmanuel Macron a estimé que « les soldats français avaient mérité de la Patrie » et qu’ils étaient « des preux dans la défaite ». (…) Les historiens continuent d’en débattre, mais le chef de l’Etat entend, pour sa part, « construire une mémoire de l’intégration républicaine ». Grâce à Emmanuel Macron, la « bataille de France » figurera peut-être désormais au catalogue de ce que l’historien Jean Garrigues nomme les « défaites glorieuses », quand le sacrifice du soldat compte plus que le résultat final : Camerone, Bazeilles, Sidi Brahim, Dien Bien Phu. Et même Waterloo, évoquée dans le discours de Montcornet.
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