Au quotidien n°73

Publié le 23 Juin 2020
Au quotidien n°73 L'Homme Nouveau

Dans La Croix (10 juin), un article invitait à relire les auteurs du passé, considérés comme des  « prophètes de malheur ». Bonne idée, mais certains noms – comme Marcel De Corte, Gustave Thibon, par exemple – manquent toujours à l’appel.

Des auteurs éclairent les impasses de notre modèle de développement, nous aident à penser le « monde d’après », plus humain, plus durable. De fait, la crise invite à redécouvrir ceux qui, depuis plus de cinquante ans, ont alerté sur les impasses de nos sociétés, dans leur rapport à la nature, à la technique, à la consommation, au progrès… Dans son dernier ouvrage, La Peau fragile du monde (Galilée, La Croix du 23 avril), le philosophe Jean-Luc Nancy rend ainsi hommage au philosophe Günther Anders et au sociologue et théologien Jacques Ellul, qui figurent parmi ceux que l’on a catalogués comme « prophètes de malheur », regrette-t-il. « Il faut bien se demander pourquoi depuis si longtemps (un siècle au moins) nous nous obstinons à ne pas prêter attention à tant d’avertissements, ceux de Valéry ou de Heidegger, de Günther Anders ou de Jacques Ellul, de Marshall McLuhan ou de Neil Postman, entre bien d’autres », s’interroge Jean-Luc Nancy. (…) eprenons donc la conversation avec les pionniers de la critique de la société productiviste et prédatrice. Dès les années 1950, Jacques Ellul (1912-1994) a mis en garde contre les pièges de la société technicienne, obsédée par l’efficacité. (…) L’inquiétude devant la technique est aussi au cœur de l’œuvre de Günther Anders (1902-1992), premier mari d’Hannah Arendt, penseur de la catastrophe après Auschwitz et Hiroshima. Dans un style quasi prophétique, Anders déploie une réflexion hantée par l’incapacité de la conscience humaine à se placer à la hauteur de la puissance conférée par la technique. (…) À la même époque, Ivan Illich (1926-2002) déploie sa dénonciation de la société industrielle, écorne le mythe du progrès, refuse la société productiviste qui mise sur la consommation de masse pour la maintenir en vie.

Pour nous, nous irons plonger dans L’Intelligence en péril de mort de Marcel De Corte, qui porte un diagnostic similaire tout en allant beaucoup plus loin.

Dans Catholica (été), Bernard Dumont analyse la récente crise liée au Covid-19 et l’emballement pour le monde d’après :

La crise du coronavirus et, surtout, les réactions qu’elle a suscitées ont une grande valeur révélatrice. Il est incontestable que cette période aura constitué un moment important dans ce XXIe siècle déjà ouvert par le choc du 11 septembre 2001. Événement majeur annonçant l’accès à un gouvernement mondial, ou basculement dans le chaos achevant la décomposition postmoderne des sociétés ? Ou peut-être les deux à la fois ? Il est trop tôt pour trancher. Encore peut-on émettre quelques remarques et entrevoir la confirmation de certaines tendances qui ne manqueront pas de peser dans l’avenir. (…) si certains choix politiques accordent aisément la préférence au contrôle du peuple plutôt qu’à sa sauvegarde, notamment en matière de sécurité intérieure, c’est en raison de la logique d’un système dans lequel la notion de bien commun n’a aucun sens. S’il est une première forme d’exception permanente, c’est donc de cela qu’il s’agit, et de longue date : un système se présentant comme politique, mais qui ne part pas de la considération première de la polis. Un système dans lequel la poursuite commune du bien est remplacée par la course à divers profits particuliers, toujours attentif à s’autolégitimer par la seule invocation du respect des procédures. Bien plus, les procédures elles-mêmes tendent à changer de nature en raison de la croissance vertigineuse des instruments. « Désormais, la multiplication des dispositifs techniques permet d’imposer un cadre contraignant à la majorité, en dehors de toute délibération. Cela remet en cause l’élaboration de la légitimité démocratique, jusqu’ici basée sur le contrôle du citoyen et des gouvernants. L’environnement technique de la construction de la contrainte politique s’est modifié. L’univers politique ne se construit plus autour de la seule activité de l’acteur politique – identifié par les figures du citoyen et de son représentant –, mais doit désormais se subordonner à la contrainte technique. Il en résulte une évolution de la légitimité de l’intervention de l’autorité publique » En ce sens donc, la crise du coronavirus révèle in vivo ce que signifie et implique la disparition d’une figure, déjà factice, du politique, dont certains traits subsistaient, de moins en moins cependant, au profit d’une autre, le management, qui devient la marque de la modernité tardive. Ce qui aujourd’hui est dénoncé par beaucoup comme régime d’exception ne l’est que par effet marginal. Il s’agit surtout de la clarification d’une évolution entreprise de longue date. (…) Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? L’exception « permanente » a donné naissance à toute une littérature, soit technique, soit de fiction, soit encore de protestation idéologique. Abandon du souci politique, primat de la gestion et séduction de la technique autorisent en effet de nombreuses craintes. Tout au long de cette crise ont été déployés de grands moyens de contrôle des populations, traitées – peut-être avec un certain réalisme afin d’éviter les phénomènes de panique autant que l’indiscipline inhérente à l’individualisme, sans le moindre souci d’en appeler à la raison plutôt qu’à la contrainte, selon des méthodes mêlant surveillance policière, répression et infantilisation. La tentation est d’autant plus grande de profiter des circonstances pour accentuer l’application de ce mode simplifié de prise en charge d’un « peuple souverain » maintenu pour la forme, et dont il semble clair que l’on cherche à achever la mise sous tutelle. Là où la politique, au sens plein de ce terme, se fonde sur la justice (qui, on le sait, consiste à attribuer à chacun ce qui lui est dû), la gestion technique simplifie à l’extrême, unifie, aplatit les différences, traite les ensembles mais n’entre pas dans le détail ni ne fait de sentiment. Ce qui subsistait encore de la politique s’efface au profit de la gestion des masses

Pour consulter nos précèdentes publications, voir :

Au quotidien n°72

Au quotidien n°71

Au quotidien n°70

Au quotidien n°69

Au quotidien n°68

Au quotidien n°67

Au quotidien n°66

Au quotidien n°65

A quotidien n°64

Au quotidien n°63

Au quotidien n°62

Au quotidien n°61

Au quotidien n°60

Au qutodien n°59

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Au quotidien n°57

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Au quotidien n°55

Au quotidien n°54

Au quotidien n°53 (du numéro 24 au numéro 53)

Au quotidien n°23 (du numéro 1 au n°23)

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