Ce mercredi 11 novembre, fête de saint Martin, l’écrivain Maurice Genevoix entre au Panthéon. Mais qu’est-ce que le Panthéon ? Un sanctuaire parmi d’autres ? Un lieu de mémoire ? Le temple de la « communion républicaine » ? Notre revue de presse s’arrête aujourd’hui sur un article de Jean Madiran publié dans la revue Itinéraires (n°255 de juillet-août 1981). Cet article a été ensuite repris en préface de l’ouvrage de François Brigneau, Jules l’imposteur (DMM) et constitue un chapitre (le cinquième) du livre de Madiran, La République du Panthéon (DMM), dans une version remaniée par l’auteur.
Le Panthéon résume et symbolise l’histoire moderne de la France apostate. Le pays de la cathédrale et de la croisade, de la chevalerie et de la mission, est devenu la patrie de la révolution, des droits de l’homme sans Dieu, de la démocratie religieuse, avec la devise « liberté-égalité-fraternité ». Une nouvelle tradition française, issue de la révolution de 1789, est venue s’ajouter à l’ancienne tradition chrétienne de la fille aînée de l’Église. Il y a maintenant deux traditions nationales en France, comme il y a légalement deux fêtes nationales, celle de Jeanne d’Arc et celle du 14 juillet : et Ce n’est pas la même France dans l’une et dans l’autre.
On peut en théorie imaginer la réunion de ces deux traditions. Ce fut en somme la tentative, d’ailleurs brutale et maladroite, de Napoléon Bonaparte ; ce fut celle, plus tard, des catholiques libéraux puis de la démocratie-chrétienne ; et c’est aussi la philosophie politique de l’humanisme intégral selon Maritain et Paul VI ; comme c’était la pensée de Léon XIII. A priori et dans le ciel des idées (et des rêves), ce n’est pas impossible. La religion chrétienne a toujours reconnu les droits de l’homme définis par le décalogue et fondés sur les devoirs envers Dieu ; elle apporte au monde, depuis vingt siècles, une juste notion de la fraternité, de l’égalité, de la liberté. Il ne devrait donc point y avoir, semble-t-il d’abord, d’obstacle insurmontable.
Mais le Panthéon, parfait symbole, nous avertit. Il n’a pas été construit à côté de la cathédrale, comme la Sorbonne ou le Louvre, ou comme le château de Versailles. Il a été établi à la place d’une église : une église annexée, désacralisée, colonisée par un culte hostile à la tradition religieuse de la France.
Souvenons-nous, mais avec précision, de cette histoire mouvementée. En 1764, la première pierre du futur Panthéon est posée par Louis XV le Bien-Aimé, à la suite d’un vœu qu’il avait fait à Metz en 1744 pour obtenir la guérison d’une grave maladie : mais c’était la première pierre d’une église. La construction avait commencé en 1755, l’architecte Germain Soufflot avait dû travailler neuf ans à l’établissement des fondations, car le terrain était miné par les puits où les potiers gallo-romains prenaient leur argile, quinze ou seize siècles auparavant.
Vœux des rois de France ! Un vœu du roi Louis XIII avait consacré le royaume à Notre Dame, devenue ainsi patronne principale de la France au titre de son Assomption (c’est pourquoi le 15 août, avec la procession du vœu de Louis XIII, est notre principale fête nationale, mais celle-ci non reconnue par la légalité républicaine). Un vœu du roi Louis XV avait dédié une église à sainte Geneviève, au sommet de la montagne, point culminant de la rive gauche. Ce lieu était déjà consacré à la patronne de Paris, il était occupé par l’abbaye Sainte-Geneviève, dont l’église était en ruine. L’église édifiée par Louis XV était destinée à somptueusement remplacer l’église délabrée de l’abbaye.
Louis XV mourut en 1774 ; Soufflot en 1780 ; son église fut achevée par son élève Jean-Baptiste Rondelet ; elle était terminée en 1789, avec un fronton, un dôme et deux clochers.
En avril 1791 l’Assemblée nationale constituante, à la mort de son président Mirabeau, et pour lui donner une sépulture magnifique, décide de transformer l’église Sainte-Geneviève en un temple laïque qui recevra les cendres des grands citoyens proposés à l’admiration de la postérité. On rase donc les clochers, on enlève la croix du dôme, on inscrit sur le fronton : « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante. » Et On donne au monument ainsi défiguré le nom remarquable de Panthéon : le culte des grands hommes remplaçant le culte de Dieu.
Car la France était en pleine guerre civile anti-religieuse. Au mois de juillet précédent, la Constituante avait décrété la « constitution civile du clergé » ; en novembre, elle avait prétendu imposer à tous les prêtres un serment de fidélité à cette constitution contraire à la constitution divine de l’Église. Le Saint-Siège était d’abord resté abominablement silencieux, laissant le roi Louis XVI approuver l’inacceptable. Mais enfin le pape Pie VI prend position, le 10 mars 1791, par sa lettre Quod aliquandum au cardinal de la Rochefoucauld et aux évêques de l’Assemblée nationale, et par sa lettre Etsi Nos à Louis XVI, déclarant que le but véritable de la Constitution civile du clergé est d’ « anéantir la religion catholique ». C’est à ce moment de la guerre révolutionnaire menée en France contre le catholicisme que se situe la première installation du Panthéon.
Napoléon Bonaparte, qui veut apaiser les déchirements intérieurs et qui a conclu avec le saint-siège le concordat de 1801, décide en 1806 de rendre l’édifice à sa destination catholique ; il réserve simplement le droit d’ensevelir dans ses caveaux les dignitaires de l’Empire : il y en aura une quarantaine au total, ils y sont toujours. Mais c’est seulement sous Louis XVIII, le 3 janvier 1822, en la fête de sainte Geneviève, que l’église est inaugurée. L’inscription du fronton est remplacée par : « D.O.M. sub invocat. S. Genovefae. Lud. XV dicavit. Lud. XVIII restituit. » Et la croix est remise à sa place sur le dôme.
Louis-Philippe, « roi des Français » et non plus roi de France, retransforme dès 1830 l’église catholique en Panthéon laïque, le baptisant « temple de la Gloire ». L’orléanisme est, presque toujours, profondément anti-catholique. On remet l’inscription : « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante » ; on remplace la croix par un drapeau.
En 1851 le prince Louis-Napoléon, président de la République, rend l’édifice au culte catholique. D’église paroissiale l’église Sainte-Geneviève devient à cette occasion basilique nationale. On enlève pour la seconde fois l’inscription : « Aux grands hommes… » ; pour la seconde fois, sur le dôme on remet la croix.
La Commune de Paris, en 1871, laisse l’église au culte mais remplace la croix par un drapeau rouge. La croix est remise pour la troisième fois en juillet 1873.
Quand meurt Victor Hugo, le 22 mai 1885, le corbillard des pauvres, d’ordre du gouvernement franc-maçon, apporte la dépouille du poète à l’église Sainte-Geneviève qui à cette occasion est pour la troisième fois transformée en Panthéon. Car la République est à nouveau en guerre ouverte contre la religion catholique qui est toujours « la religion de la majorité des Français » selon la formule du concordat de 1801. La franc-maçonnerie, animant le « parti républicain », s’est peu à peu rendue maîtresse de la totalité du pouvoir politique. Elle a gagné les élections à la Chambre de 1876, elle a gagné celles d’octobre 1877 qui ont suivi la dissolution du 16 mai, elle a conquis le Sénat en janvier 1879, et aussitôt après la présidence de la République. Pendant ces trois années de victoires successives, elle a « dominé sa victoire », c’est-à-dire caché ses desseins anti-religieux tant qu’elle n’avait pas en main tous les organes du pouvoir. C’est fait en 1879. (…) Donc, en 1885, pour la troisième fois l’église Sainte-Geneviève est annexée par les ennemis de la religion chrétienne, pour la troisième fois elle est transformée en Panthéon laïque ; pour la troisième fois on inscrit sur son fronton : « Aux grands hommes… » (Mais cette fois on a laissé la croix, un oubli ? elle y est toujours.)