Ces deux petites pièces de Václav Havel sont des petits bijoux de théâtre sertis par une originale et subtile mise en scène d’Anne-Marie Lazarini. Elles mettent en lumière l’avant-propos que l’auteur faisait lui-même de son théâtre quand il écrivait : « Le théâtre à mes yeux doit être un foyer vivant et inquiétant d’introspection où la société se révèle à elle-même. (…) Je voudrais que le théâtre soit la voie de la conscience des hommes et de la société, qui tente de poser des questions que les hommes portent en eux mais ne peuvent exprimer. » La principale question posée par Audience et Vernissage est la question de savoir si un homme a la possibilité et à quel prix de penser et de vivre librement dans des régimes où la question de la vérité est évacuée au profit de ceux qui pensent avoir raison pour tous. Le rapport à la vérité est une normalisation de la pensée et de l’agir. Tous ceux qui tentent de s’en distinguer sont considérés comme dissidents. Dans les régimes fréquentés par Václav Havel dans les années 1970, sous la férule communiste, cette normalisation est imposée de manière coercitive avec des méthodes plus ou moins oppressantes. C’est l’expérience que vivra successivement Ferdinand Vanék, auteur dramatique dissident et interdit de publication quand il se retrouve comme manœuvre dans une brasserie, puis chez des amis pour le « vernissage » de la nouvelle décoration de leur appartement. La mise en scène nous transporte dans l’un et l’autre lieu avec un habile déplacement des spectateurs complètement intégrés au jeu lui-même. Mais c’est sans doute la relation à notre présent, à l’atmosphère qui se dégage à travers ces pièces de nos propres rapports à la normalité du convenu, à l’autorisé, au politiquement correct, à l’éthiquement acceptable qui peut nous interroger sur notre degré de liberté dans nos sociétés démocratiques. Si les contextes sont bien différents, la possibilité d’une pensée et d’un agir libres n’en sont pas moins problématiques tant demeure prégnant dans notre société le pouvoir de ceux qui veulent avoir raison sous le couvert non d’une férule oppressive mais de la dérision et du soupçon jetés sur ceux qui ne partagent pas le même avis. À ce titre, l’autodérision et l’humour présents dans les deux pièces sont particulièrement purgatifs et salvateurs. Un spectacle à ne pas manquer !
Artistic Théâtre, 45, rue Richard Lenoir, Paris XIe. Rés. : 01 43 56 38 32.