De belles illustrations, un texte attractif et instructif : les bandes-dessinées font le bonheur de nombreux lecteurs et peuvent être un excellent moyen d’éveiller les plus jeunes à la foi, tout spécialement à travers la vie des saints. Anne Bernet livre ici une sélection de trois albums de qualité, tant sur le fond que la forme.
Après guerre, l’abbé Gaston Courtois lança, à l’intention des jeunes, la fameuse collection Belles Histoires, Belles Vies. C’était, et tout l’audace de l’affaire tenait à cela, des vies de saints ou de bienheureux, présentées sous forme de bande dessinée à l’ancienne, autrement dit sans phylactères ni bulles mais avec un vrai texte, littéraire et dense, sous chaque case, illustrée, en noir et blanc, avec beaucoup de sérieux dans la reconstitution historique par de très bons dessinateurs. On ne saura jamais de ce côte-ci de la réalité le bien que ces petits albums ont fait, le nombre de vocations et de fidélités qu’ils auront suscitées, les fois vacillantes qu’ils auront revigorées ou sauvées, la popularité qu’ils auront conférée à certains bienheureux, alors presque inconnus, tels Théophane Vénard ou Kateri Tekakwita.
Les éditions Clovis ont racheté les droits de quelques titres ; je ne saurais trop encourager à les faire découvrir aux nouvelles générations. Le concept est régulièrement revisité par certains éditeurs catholiques, qui sont passés, eux, aux bulles et aux illustrations en couleurs. Les résultats ne sont pas toujours, hélas, à la hauteur. Trois albums récents démontrent cependant que l’on peut arriver à de très bons résultats par ce moyen.
Deux saints dévoués au Sacré Cœur
Marguerite Alacoque aimait le Christ au point de lui avoir, enfant, voué sa virginité, mais elle se jugeait indigne de la vie religieuse et de santé trop fragile pour le couvent.
Claude La Colombière voulait faire son salut mais avait des ambitions mondaines et la seule idée d’entrer en religion le révulsait.
Pourtant, l’un et l’autre, au terme de parcours bien différents, semé de malheurs, de difficultés, de persécutions et de maladies pour Mlle Alacoque, de réussites et de succès susceptibles de l’arracher à l’attraction divine pour La Colombière, finissent par répondre à l’appel divin : Marguerite entre à la Visitation de Paray-le-Monial, Claude chez les jésuites à Lyon. Ils ignorent que le Ciel les réserve pour mener à bien ensemble une mission extraordinaire : faire connaître au monde, et à l’Église, alors en proie au jansénisme, l’amour du Cœur de Jésus.
Transcrire en bande dessinée les révélations du Sacré Cœur, et raconter les parcours croisés de la visionnaire et de son directeur de conscience, n’avait rien d’aisé. Christophe Hadevis a relevé le défi dans un scénario intelligent, qui se concentre sur l’essentiel, et fait comprendre la mystique cordicole. Jean-Marie Woehrel est un illustrateur historiquement scrupuleux, qui rend avec talent une époque et son atmosphère, ce qui ne l’empêche pas de glisser ici ou là un clin d’œil au lecteur, en prêtant par exemple à un second rôle les traits de Louis de Funès. Rien de mièvre dans son trait. Le résultat est assez remarquable. Adolescents ou adultes se plongeront avec intérêt dans l’histoire, et se découvriront peut-être l’envie d’en savoir davantage, en même temps que grandira en eux la dévotion au Cœur qui a tant aimé les hommes. (Apôtres du Cœur de Jésus, Sainte Marguerite-Marie et saint Claude La Colombière, Christophe Hadevis, Jean-Marie Woehrel, Véronique Gourdin, Éd. Emmanuel, 64 p., 18 €).
Une famille de saints
Les chemins du Seigneur sont impénétrables : Il conduit en religion ceux qui voulaient rester dans le monde, et y maintient parfois ceux qui se croyaient appelés au cloître …
À la fin des années 1840, Louis Martin doit quitter l’hospice du Grand Saint Bernard où il pensait prononcer ses vœux ; faute de maîtriser le latin, il devra renoncer à sa vocation monastique et regagner Alençon. À la même époque, dans cette ville, Azélie Guérin, jeune dentellière, est refusée, pour cause de santé fragile, chez les Filles de la Charité. La Providence va les guider l’un vers l’autre. En 1858, ils se marient mais décident de conserver la continence, choix que leur directeur de conscience ne tarde pas à leur reprocher. Enfin convaincus qu’ils doivent vivre leur foi dans la voie ordinaire du mariage, les Martin auront neuf enfants. Les épreuves ne vont pas leur manquer : mort de quatre de bébés, difficultés de toutes sortes, santé fragile de leurs filles survivantes, et, en 1876, découverte du cancer du sein qui, l’année suivante, emportera Zélie, laissant Louis seul avec des enfants dont la dernière, Thérèse, a quatre ans. Tout dévoué à l’éducation de ses filles, Louis Martin, père et chrétien exemplaire, acceptera sans une plainte de les laisser l’une après l’autre entrer au couvent, se disant « honoré que Dieu se choisisse des épouses dans sa maison. » Atteint d’artériosclérose cérébrale, maladie que l’on confond alors avec la démence, il finit ses jours en 1894 dans une apparente déchéance.
C’est à travers les écrits de leur benjamine, Thérèse qui, dans son Histoire d’une âme, donnera à ses parents « plus dignes du Ciel que de la terre », la place prépondérante qui leur revient dans sa vocation et son fulgurant chemin de sainteté, que le monde a découvert ce couple en apparence ordinaire. Canonisés ensemble, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, en 2015, les Martin apparaissent, au milieu de la crise de la famille, un modèle à suivre et un phare dans les ténèbres de la société actuelle. Leur popularité ne cesse de grandir.
C’est en remerciement d’une grâce obtenue par leur intercession que Marie et Olivier Malcurat ont voulu cet album d’une très bonne tenue historique et spirituelle, qui s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants. Le dessinateur italien Marco Greselin a donné, dans des teintes sépia évoquant les clichés d’époque, une illustration soignée et sensible de cette double biographie. (Louis et Zélie Martin, Artège, 52 p., 14,90 €).
Après les parents, la fille En 1898, Mgr Hugonin, évêque de Bayeux, reçoit la supérieure du carmel de Lisieux, venue lui soumettre, avant d’envisager de la publier, l’Histoire d’une âme écrite, quelques mois avant sa mort survenue l’année précédente, par sœur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. D’abord très réticent, le prélat, qui se souvient de la jeune Thérèse Martin, si décidée à « entrer au carmel à quinze ans », contre tous usages et tout bon sens, et se méfie des engouements d’une supérieure qui est aussi la sœur aînée de la défunte, accepte de se plonger dans ce manuscrit, découvrant l’itinéraire spirituel de la carmélite et la grandeur de sa petite voie.
Coline Dupuy aborde avec beaucoup de délicatesse et de cœur cette transposition de la vie de sainte Thérèse de Lisieux en bande dessinée. Le trait tendre, délicat, presque transparent, de Davide Perconti et Francesco Rizzato, les deux illustrateurs italiens, très classiques et qui assument, ce qui est devenu rare, le choix de la beauté, donne toute sa profondeur à cet album. Certes moins dense que pouvait l’être en son temps le sainte Thérèse de Lisieux de la collection Belles Histoires, Belles Vies, cet album délicieux constitue cependant une excellente façon d’aborder la figure et la pensée de Thérèse. Petits et grands ne le regretteront pas ( Thérèse de Lisieux, aimer, c’est tout donner, Artège, 50 p., 14,90 €).