La publication cette année de deux inédits de Céline a été précédée de polémiques sur la propriété des manuscrits et de débats récurrents sur un écrivain qui sent le soufre. Mais que sont ces mystérieux textes perdus en 1944 et réapparus à l’été 2021, à la fin d’un itinéraire tortueux ? Explications. Quand parut Voyage au bout de la nuit, en 1932, Bernanos écrivit que c’était « un grand mouvement de poésie », mais qu’il n’en « recommanderait pas la lecture à sa femme, et moins encore à sa fille ». Mauriac répliqua : « Il ne faut en recommander la lecture à personne. » Qu’auraient-ils dit de Guerre et de Londres ! Ces deux romans (composés en 1934), Céline les avait abandonnés, manuscrits, en fuyant Paris (juin 1944). Ils ont été conservés au fond d’une cave, ils ont surgi d’une malle l’an dernier et sont dans la vitrine des libraires aujourd’hui.
Devenu un classique
Mais revenons à Voyage au bout de la nuit, par quoi tout a débuté. Coup de tonnerre dans la littérature. Un médecin de banlieue de 38 ans raconte à la première personne, dans un style à moitié parlé, à moitié littéraire, mais toujours personnel, toujours poignant, les mésaventures d’un certain Ferdinand Bardamu. Or lui-même se prénomme Louis Ferdinand. C’en est fini du ronron des phrases bien alignées, des belles intrigues amoureuses, etc. Il veut tout dire, jusqu’aux horreurs et aux obscénités (de la guerre de 1914, de l’Afrique, de New York, mais aussi de la banlieue, et de la vie secrète d’un « individu »). « Le Voyage », comme on dit aujourd’hui, est devenu un classique. Quelques élèves en présentent chaque année des extraits à l’oral du « bac de français ». Pas très nombreux, parce qu’en 1933 Céline a publié un premier texte antisémite : une pièce ratée, L’Église (il s’agit de la SDN, l’Onu de l’époque), où figurent encore quelques aventures de Bardamu, et qui plut beaucoup à Jean-Paul Sartre (voir l’exergue de La Nausée). À la fin de 1937, il a récidivé avec Bagatelles pour un massacre : le « massacre », c’est la Seconde Guerre mondiale que les Juifs appellent de leurs vœux, selon lui, et « bagatelles » parce que ce livre mêle toutes sortes de choses, ballets, critique littéraire, récit de voyage à Leningrad (qui l’a rendu très anticommuniste), à des attaques au faciès particulièrement odieuses. Si vous ajoutez deux autres « pamphlets » favorables à l’Allemagne nazie, en 1938 et 1941, vous comprenez que Céline reste un auteur maudit.