D’inspiration dominicaine, la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, établie à Chémeré-le-Roi (Mayenne), poursuit la tradition de l’ordre des prêcheurs par des conférences de carême, des retraites et des enseignements mais aussi par des publications de haute tenue intellectuelle. Deux livres sont sortis cette année sous la plume du supérieur, le père Louis-Marie de Blignières, et sous celle du père Réginald-Marie Rivoire, qui témoignent de l’exigence et de la rigueur des auteurs.
La Fraternité Saint-Vincent-Ferrier nous offre deux ouvrages très différents mais qui peuvent nous éclairer dans la situation de crise que nous connaissons aujourd’hui.
Tout d’abord le père Louis-Marie de Blignières, prieur-fondateur, vient de publier un itinéraire métaphysique, Au jardin de l’être⁎, qui se présente à nous comme une promenade dans un jardin foisonnant de concepts et de raisonnements. Il faut quand même le reconnaître : nous sommes invités à une rude excursion en montagne plutôt qu’à un aimable vagabondage dans une campagne fleurie et reposante.
Mais l’auteur se révèle être un guide hors pair, au sens pédagogique très sûr, ayant à cœur de revenir régulièrement sur le chemin déjà parcouru avant de se lancer à l’assaut de nouveaux sommets. Il accompagne le lecteur en offrant régulièrement des synthèses et des résumés, formellement bien mis en valeur dans un exposé continu et maîtrisé. Une fois arrivé en sa compagnie et grâce à lui au sommet, ce lecteur, épuisé et heureux, peut jouir de la contemplation du réel, même s’il sait que lui est alors ouverte la possibilité d’un nouveau voyage, d’une nouvelle découverte, celle du monde de la foi et de la grâce.
Celui-ci ne rend pas inutile l’ascension d’une intelligence laissée à ses seules forces, parce qu’elle lui donne de découvrir la richesse de la réalité sortie des mains du Créateur et dont l’intelligibilité demeure la grande recherche d’une intelligence humaine à la hauteur de ses exigences et de sa dignité.
Le lecteur est invité non à s’évader dans un monde idéal mais à prendre conscience de ce qui existe et à en comprendre tout à la fois la complexité des différentes manifestations et la radicale simplicité de l’être. La réflexion métaphysique va de pair avec la description du mode propre de l’intelligence humaine dans sa recherche d’intelligibilité.
Ontologie et philosophie de la connaissance ont vraiment partie liée et manifestent ainsi le caractère proprement humain de cette connaissance et de cette sagesse. Logique et anthropologie contribuent aussi, de manière ordonnée et subordonnée, à cette quête exigeante et passionnante. C’est donc l’ensemble de la sagesse philosophique, dans ses différents modes et aspects, qui est ainsi mis à contribution pour la plus grande joie de l’intelligence humaine.
La démarche est progressive, depuis l’appréhension confuse du monde qui nous entoure jusqu’à la contemplation de la nature même de l’être. Les concepts qui permettent au chercheur bien disposé d’en arriver à cette saisie sont décrits, démontrés et explicités et le lecteur en arrive à s’interroger sur l’existence d’une Cause première à tous les étants. La question de Dieu est donc au cœur de la réflexion métaphysique et son oubli, voire sa négation, plonge l’intelligence humaine dans un malaise dont nous n’avons pas fini de mesurer l’étendue et les conséquences sur toute une civilisation.
L’ouvrage du père Louis-Marie de Blignières est exigeant, il suppose une bonne connaissance de la philosophie réaliste, de ses concepts comme de ses principales thèses, mais il permet de vivifier l’héritage de sagesse et de contemplation que nous avons reçu, et qui a été fort négligé ces dernières années, au profit d’approches philosophiques apparemment plus attrayantes, plus clinquantes, mais qui se sont révélées à l’usage bien décevantes et surtout inadéquates pour exprimer la richesse de la Révélation chrétienne, réduite à un humanisme vague et inopérant. Le travail du père de Blignières est donc aussi un ouvrage non de polémique mais de combat, au service d’une juste appréhension de la réalité, cette réalité même que le Christ est venu sauver et récapituler.
Parmi les combats actuels, la question liturgique occupe une place de choix puisqu’elle est au cœur du renouveau spirituel et missionnaire que la crise actuelle rend indispensable. La foule des jeunes catholiques qui ont envahi la route entre Paris et Chartres a donné un témoignage pacifique et lumineux de la fécondité de la liturgie traditionnelle et ils ont réclamé pour celle-ci le droit d’exister et de rayonner au sein de la société chrétienne.
Le père Réginald-Marie Rivoire nous offre donc une réflexion canonique et pastorale qui ne pouvait tomber plus à propos. Cette importante contribution est propre à éclairer les esprits soucieux d’unité et de vérité et elle s’intitule Le motu proprio Traditionis custodes à l’épreuve de la rationalité juridique⁎. Loin de tout esprit polémique, soucieux de rationalité juridique, l’auteur nous offre une exégèse du motu proprio Traditionis custodes d’un point de vue juridique mais aussi doctrinal et historique.
Il rappelle que la loi ecclésiale, comme d’ailleurs toute loi, est l’expression non de la volonté du législateur mais bien de la raison et de la sagesse. Pour ce qui est des lois de l’Église, celles-ci doivent être fidèles à la Révélation, à la Tradition, au service du bien commun de la communauté ecclésiale.
Mais l’auteur ne se contente pas de rappeler les principes du droit de l’Église appliqué à la liturgie, il contribue à une juste évaluation doctrinale et pastorale du missel réformé, permettant aussi de s’interroger sur les différentes manières d’appliquer les lois liturgiques. Dès lors, il paraît illusoire d’en appeler à la nécessaire unité liturgique alors qu’il existe, de fait sinon de droit, mille manières différentes de célébrer selon le nouvel Ordo.
C’est d’ailleurs, de l’aveu même de plusieurs acteurs de la réforme liturgique, le principal acquis de celle-ci (cf. p. 41, le témoignage éloquent du père Joseph Gélineau, jésuite). De ce point de vue, les mesures prises par le pape Benoît XVI apparaissent comme beaucoup plus logiques et conformes à la tradition disciplinaire de l’Église.
Enfin, le père Rivoire, dans un troisième et dernier chapitre, montre comment les principes mêmes de l’ecclésiologie conciliaire (valorisation de l’autorité de chaque évêque, importance des Églises locales, pouvoir de dispense accordé de façon quasi universelle aux pasteurs diocésains, principe de subsidiarité, prise en compte des particularismes des différents groupes de fidèles et de la diversité des situations pastorales concrètes, refus de l’uniformisation administrative), principes qui avaient trouvé une traduction institutionnelle dans le Code de droit canonique promulgué en 1983, sont de fait malmenés ou ignorés par les récentes mesures disciplinaires en matière liturgique.
Toute cette étude montre combien le droit de l’Église, correctement appliqué et interprété à la lumière de la Tradition, peut contribuer à ramener la paix liturgique. Défendre les droits légitimes des fidèles dans la diversité de leurs aspirations, renouer avec la tradition vivante de l’Église, rétablir les principes d’un développement homogène de la prière liturgique, reconnaître la fécondité et le rayonnement apostolique de l’usus antiquior, voilà la mission des pasteurs authentiques, ceux qui ne se préoccupent que du salut des âmes, loi suprême dans l’Église.
⁎ Père Louis-Marie de Blignières, Au jardin de l’être, Société Saint-Thomas-d’Aquin, 272 p., 9,50 e.
⁎ Père Réginald-Marie Rivoire, Le motu proprio Traditionis custodes à l’épreuve de la rationalité juridique, Sedes Sapientiæ/DMM, 110 p., 11,50 e.
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