Comment se fête Pâques en Syrie ?

Publié le 05 Avr 2020
Comment se fête Pâques en Syrie ? L'Homme Nouveau

Archevêque d’Alep (Syrie), Mgr Jean-Clément Jeanbart fut un familier de la guerre pendant de nombreuses années. Sous les bombes, la vie chrétienne continuait. Il insiste sur l’importance de la Semaine sainte dans ce pays si proche de la Judée et sur la confiance en Dieu qui doit l’emporter sur toute crainte.

Comment avez-vous vécu votre ministère au cœur du conflit ?

Maintenant que la situation à Alep, au plan de la sécurité, est devenue convenable, je me retourne vers le passé pour revoir avec étonnement comment j’ai parcouru les longues années terribles des affrontements, sans m’arrêter, ne serait-ce qu’un seul jour. J’ai pu considérer en même temps, tous les dangers qui me harcelaient jour et nuit, semaine après semaine et en permanence, durant le parcours incertain que je devais poursuivre pour être présent auprès de mes fidèles et leur communiquer l’Espérance que je puisais, chaque matin, auprès de Celui qui nous avait promis de ne jamais nous laisser seuls. Je remercie le Seigneur qui m’a accompagné et donné des signes de sa présence, par une protection, évidente pour moi, et tout au cours de mes déplacements, où plusieurs fois Il a tendu sa main pour sauvegarder ma vie d’une mort certaine ou d’un enlèvement probable.

Je le remercie en même temps pour sa Providence qui ne nous a jamais oubliés, mes fidèles, mon clergé et moi-même. Il nous a protégés et permis de prier dans les églises non atteintes par les bombardements. Ces églises ne désemplissaient pas et nos activités paroissiales n’arrêtaient pas de donner aux fidèles, de toutes catégories et de tout âge, la possibilité de se ressourcer spirituellement ou de se socialiser et de se divertir, en un temps où le déchirement social et une dévastation déprimante pouvaient porter les gens à la déprime et peut-être même à un pessimisme morbide sinon au désespoir.

Je dois reconnaître en même temps, que je découvrais chaque jour un peu plus que la main du Seigneur était là pour nous aider et faire fructifier notre action aussi bien humanitaire que pastorale. Nous avons, mes prêtres et moi, travaillé comme jamais nous ne l’avions fait auparavant. Avec les plus engagés de nos fidèles nous avons pu faire de belles choses, au service des plus nécessiteux. En même temps que l’aide spirituelle que nous leur avons assurée sans relâche, des aides humanitaires de toutes sortes ont pu leur être offertes. Nous avons dénombré plus de 20 programmes mis au point pour secourir les plus besogneux et améliorer le quotidien des familles. Ces programmes allaient de l’approvisionnement alimentaire à la restauration des maisons endommagées par les bombardements, sans oublier les subventions de toutes sortes et selon les attentes des différents groupes de fidèles et les besoins des quartiers atteints. 

Cette petite « entreprise domestique » qui a pu fonctionner d’une façon continue et sans arrêt durant ces années de guerre et de privation, nous a occupés et permis d’oublier nos propres préoccupations et malaises pour courir tous ensemble, la main dans la main, auprès des plus éprouvés de nos frères souffrant des affres de la guerre. Je reconnais moi-même que cette action, surprenante par son étendue et disproportionnée à nos modestes moyens, m’a appris à redécouvrir la fidélité indéfectible du Seigneur envers les siens et à me confier tranquillement à sa Providence qui fait des merveilles et ne laisse jamais seuls ceux qui comptent sur sa bonté.

Comment organisiez-vous la Semaine sainte et la préparation à fête de Pâques?

Comme vous le savez déjà, en Orient, la fête de Pâques est la fête des fêtes. Aussi bien le Carême que la grande Semaine sainte représentent, pour ainsi dire, une ascension vers la Résurrection, clef de voûte de toute « l’histoire du Salut », pour ne pas dire de l’histoire tout court. C’est pourquoi nous accordons à cette saison de la vie liturgique la plus grande importance. À partir du samedi de Lazare, prélude de la Résurrection et du dimanche des Rameaux, apothéose de la vie terrestre de Jésus, commencent les célébrations de cet événement apocalyptique qui a pu transfigurer le monde et créer l’Homme nouveau, revêtu du Christ ressuscité. Tous les jours de cette « Grande Semaine », comme nous l’appelons chez nous, sont célébrés des offices relatant les événements préfigurant la progression de l’action rédemptrice du Christ, allant de la dernière Cène, le Jeudi saint, pour passer par la Passion de Jésus le vendredi et aboutir au grand événement de la Résurrection à l’aube du dimanche. Dans notre cathédrale, où les offices de cette semaine sont célébrés, tout le clergé est rassemblé autour de l’évêque et un très grand nombre de fidèles occupe entièrement les trois nefs et les balcons. Dimanche des Rameaux, Vendredi saint, Samedi saint et dimanche à l’aube sont célébrées des processions festives avec la participation de toute l’assistance. 

Que proposez-vous aux fidèles empêchés de se déplacer et restés chez eux? 

Malheureusement, cette année, à cause de la pandémie du coronavirus, nous n’aurons pas la joie de pouvoir célébrer cet événement majeur de notre vie liturgique. Nous avons invité nos fidèles à lire les textes des offices chez eux, à la maison, et à suivre les célébrations présentées sur Internet et sur de nombreuses chaînes de télévision. Cette directive est bien entendu la même que celle que nous donnons en temps normal aux fidèles empêchés, pour différentes raisons, de se rendre à l’église.

Il y a l’organisation pratique des célébrations, mais il y a également la façon de vivre ces fêtes, quel était votre état d’esprit en célébrant la mort et la résurrection du Christ ? 

Levez vous le christ est avec nous

La célébration de l’événement pascal a toujours été pour nous l’occasion de réactualiser l’événement extraordinaire de la Résurrection, fait majeur de l’histoire de l’humanité. Effectivement cela nous permet de rafraîchir notre foi en Celui qui nous libère de la servitude d’une vie, souvent tumultueuse, mais tout compte fait éphémère et absurde sans l’éclairage de la résurrection. Il est vrai que les célébrations pascales revêtent chez nous le faste et la beauté d’une succession de grandes cérémonies liturgiques propres à l’Orient byzantin, chargées de significations théologiques et spirituelles qui alimentent la cognition et le cœur. Cependant, ces célébrations n’auront de sens que dans la mesure où elles s’insinuent dans les méandres de notre vie dans le monde, pour changer notre mode de vie et la praxis de notre relationnel aux autres, à la création et à Celui qui est l’Alpha et l’Oméga et qui est le seul capable de donner un sens à tout ce qui peut exister. Ce sont surtout ces pensées que nous cherchons à communiquer, sans relâche, à nos fidèles tout au long du Temps pascal.

Les différentes communautés catholiques, chrétiennes, se rassemblent-elles à cette occasion ? 

À Alep, les catholiques des différents rites sont proches les uns des autres, ils vivent ensemble et souvent, en plus de leur appartenance commune au Siège apostolique, des liens de parenté par alliance unissent leurs fidèles entre eux et les rapprochent. Les évêques catholiques de la ville se réunissent régulièrement, plusieurs fois par mois, pour échanger entre eux et vous pouvez aisément voir leurs fidèles transiter tranquillement d’une église à l’autre pour participer aux célébrations liturgiques des différents rites. À certaines occasions tous les évêques, avec leurs fidèles, se rassemblent pour prier ensemble aux intentions de l’Église universelle.

Les catholiques qui ont fui la guerre reviennent-ils à Alep?

Effectivement, un très grand nombre des catholiques d’Alep ont fui la ville durant cette guerre qui ne finissait pas. Malheureusement la moitié de nos fidèles grecs melkites catholiques sont partis, le pays les a perdus et c’est un grand malheur, autant pour eux-mêmes que pour l’Église. Un certain nombre d’entre eux, réfugiés dans les pays voisins, nous donnent l’espoir de les revoir un jour rentrer. Ceux qui, le plus souvent, véhiculés par des ONG européennes, sont partis en Occident, ne retourneront que difficilement. Vous comprenez certainement la douleur du pasteur que je suis, d’autant plus que cette communauté chrétienne dont le Seigneur m’a donné la charge est un legs précieux de l’Église des Apôtres et célébrera bientôt son deuxième millénaire d’existence.

Les chrétiens d’Alep sont entrés dans l’Église du Christ depuis le temps des Apôtres et le siège épiscopal que j’occupe existait déjà certainement et dans une structure juridique depuis le IIIe siècle. Pour preuve, l’un de mes prédécesseurs, saint Eusthate, était présent en 325 au concile de Nicée. Je me sens viscéralement porté à faire l’impossible en vue de sauvegarder vivante cette communauté chrétienne témoin de la pérennité de l’Église et de sa résistance à l’usure des siècles. Dans ce but, je ne cesse d’appeler mes fidèles à résister à la tentation de l’émigration et je fais tout ce que je peux pour rendre leur vie convenable chez eux dans le pays. Dans le cadre d’un mouvement que nous avons pu lancer à cet effet, « Bâtir pour Rester », mes collaborateurs et moi-même leur offrons ce que le Seigneur met entre nos mains pour les aider. Nous essayons de leur faciliter l’emploi, l’habitat, les soins médicaux et la nourriture de leurs nouveaux-nés, l’école de leurs petits et la formation professionnelle des jeunes. 

Dernièrement, pour faire face à l’exode meurtrier qui menace notre existence, nous avons lancé deux projets osés et significatifs. Le premier, « Alep vous Attend », pour encourager au retour et aider tous ceux qui auraient le désir de rentrer sans avoir les moyens de le faire. Le deuxième, « Un Logement pour se Marier » : pour cela, un complexe résidentiel d’une centaine de petits appartements, répartis sur trois immeubles, est actuellement en phase de construction. Nous faisons de grands sacrifices en vue de les aider à s’établir pour rester dans le pays. Nos moyens sont modestes, mais nous avons fait confiance à la Providence du Miséricordieux Ami des hommes, Il ne nous a jamais déçus et cela fonctionne ! Il faut dire qu’Il a beaucoup d’amis qu’Il envoie volontiers à notre secours, béni soit son Nom !

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