Les derniers échos de l’attente : la vigile de la Nativité 

Publié le 24 Déc 2023
nativité vigile

Lorenzo Lotto, La Nativité, 1523, National Gallery, Washington

En ce 24 décembre, toute l’Église célèbre la vigile de la Nativité, les dernières heures avant de se recueillir devant l’enfant de la crèche.

 

L’annonce solennelle de la Nativité à Prime 

Nous n’entendrons pas cette année la voix qui crie dans le désert annoncer pour la troisième fois l’avènement du Verbe. Exceptionnellement, la Vigile de la Nativité éclipse le dernier dimanche de l’Avent : de nouveau, le Précurseur s’efface devant Notre-Seigneur. « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (1). Dans un instant, nous entrerons à notre tour dans la crèche pour adorer le Roi des Cieux, manifesté à nos yeux sous son frêle manteau de chair. 

À prime, l’Église, saisie d’une gracieuse impatience, anticipe de quelques heures la naissance du Sauveur qu’elle introduit comme le dénouement, le sommet, la consommation de l’histoire humaine :

« Des siècles sans nombre après la création du monde, quand Dieu au commencement créa le ciel et la terre et forma l’homme à son image ; des siècles et des siècles après le déluge, quand le Très-Haut plaça son arc dans les nues du ciel, en signe d’alliance et de paix ; le vingt-et-unième siècle depuis qu’Abraham, notre père dans la foi, quitta Our des Chaldéens ; le treizième siècle depuis la sortie d’Égypte du peuple d’Israël sous la conduite de Moïse ; environ la millième année depuis le sacre du roi David ; la cent quatre-vingt-quatorzième Olympiade ; la sept-cent-cinquante-deuxième année de la fondation de Rome ; la quarante-deuxième année de l’empire de César Octavien Auguste ; tout l’univers étant en paix, JÉSUS-CHRIST, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant sanctifier le monde par son miséricordieux avènement, ayant été conçu du Saint Esprit, et neuf mois s’étant écoulés depuis sa conception, naît à Bethléem de Judée, fait homme, de la Vierge Marie. C’est la Nativité de notre Seigneur JÉSUS-CHRIST selon la chair » (2). 

Nous pourrions légitimement nous interroger sur le sens de cette énumération chiffrée avec un souci manifeste de minutie et d’exhaustivité. Cette règle chronologique, au nombre des plus remarquables, dénote d’une part un souci louable d’historicité ; elle signale d’autre part l’accomplissement des temps, qui parvenaient enfin à leur pleine maturité prophétique. Notre-Seigneur est venu en ce monde reconquérir l’univers ; il est le point d’équilibre du temps et de l’espace, le principe et la fin, l’alpha et l’oméga. 

 

L’attente patiente et humble du petit Roi de grâce 

Le sublime paradoxe contenu dans le mystère de Noël et qui paraîtra au grand jour lors de la Passion du Sauveur, est que Jésus-Christ n’a pas souhaité régner avec éclat et majesté mais dans la plus extrême pauvreté. L’humilité du Fils éternel signale l’achèvement de l’économie ancienne, mais aussi l’entrée d’un monde précocement vieilli par le péché dans le repos et le silence de Dieu.  

« En ce jour que le Seigneur a fait, écrit saint Grégoire de Nysse, les ténèbres commencent à diminuer et, la lumière prenant accroissement, la nuit est refoulée au-delà de ses frontières. C’est la nature qui, sous ce symbole, révèle un arcane à ceux dont l’œil est pénétrant, et qui sont capables de comprendre cette circonstance de l’avènement du Seigneur. Il me semble l’entendre dire : Ô homme ! Sache que sous les choses que tu vois te sont révélés des mystères cachés. La nuit, tu l’as vu, était parvenue à sa plus longue durée, et tout à coup, elle s’arrête. Songe à la funeste nuit du péché qui était arrivée au comble par la réunion de tous les artifices coupables : c’est aujourd’hui que son cours a été tranché. À partir de ce jour, elle est réduite, et bientôt anéantie. Vois maintenant les rayons du soleil plus vifs, l’astre lui-même plus élevé dans le ciel, et contemple en même temps la vraie lumière de l’Évangile qui se lève sur l’univers entier » (3). 

Quelques heures encore pour condenser au plus intime de notre âme le souvenir des quatre mille ans d’attente qui promirent au monde la renaissance du jour. Mais qu’offrirons-nous à l’Enfant de la crèche ? Ou plutôt, venons-nous à lui avec un cœur de pauvre, les mains vides, l’esprit libre, animés de pieux désirs, conscients de nos infirmités et de nos misères ? Accepterons-nous de nous laisser combler par le petit Roi de gloire, nous enrichissant de sa pauvreté, nous instruisant de son silence, nous édifiant de sa petitesse ?

 

L’esprit des Féries majeures 

À Rome, le solstice d’hiver – que le calendrier julien célébrait le 25 décembre -, était naguère précédé des Saturnales, semaine festive mêlée de crainte et d’espérance où l’on guettait le renouvellement du cycle solaire. L’Église a voulu sanctifier cette antique coutume par l’institution des Féries majeures qui, les sept jours précédant immédiatement Noël, reprennent les grands thèmes de l’attente messianique et acclament le Sauveur sous des noms variés.

Ces antiennes fort solennelles nous enseignent comment nous devons recevoir le Verbe fait chair : il est la « Sagesse féconde du Très-Haut », venue renouveler la face de la terre, renverser les maximes et les devises du monde ; « le Seigneur et le Chef d’Israël », révélé à Moïse sous le signe du buisson ardent car son salut resplendit dans la chair sans pour autant l’entamer ; il est encore « le rejeton de Jessé », germe miraculeux de Juda, fleuron de son royal lignage qui féconde le sang des rois, soulage les pleurs des veuves, accomplit les soupirs des justes ; la « clef davidique, le sceptre d’Israël » qui couronne et parachève en un instant des siècles d’histoire sainte ; le « Levant, éternelle Lumière, Soleil de justice » qui nous réveille de notre somnolence, nous affranchit de notre torpeur native et de nos léthargies coupables ; le « Rois des Nations », réconciliateur de l’histoire humaine et Sauveur universel ; enfin, il se manifeste comme l’Emmanuel, le Dieu avec nous, le salut fait chair. 

 

Saint Joseph, parfait époux de la Vierge et modèle des véritables adorateurs 

À la veille d’un si grand jour, ayons à cœur de laisser reluire en nos vies l’éclat d’un tel mystère ; il faut être tout petit et très simple pour partager l’intimité du divin Enfant de Bethléem. Suivons donc saint Joseph dans son effort de dépouillement. « Marie, mère de Jésus, écrit saint Matthieu, ayant épousé Joseph, se trouva enceinte par l’opération du Saint-Esprit, avant qu’ils eussent vécu ensemble. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulant pas la diffamer, résolut de la quitter en secret » (4). Le comportement du père putatif de Notre-Seigneur interroge. Saint Joseph, note l’évangéliste, était « un homme juste » ; cela signifie, dans le langage biblique, qu’il vivait avec une grande perfection les enseignements de la Loi, attendant dans la simplicité de son cœur et par la pureté de ses mœurs, la consolation d’Israël.

Or, la réaction de saint Joseph, suite à la conception miraculeuse de Notre-Dame, s’apparente à première vue à un refus. Saint Joseph a-t-il, ne serait-ce qu’un maigre instant, suspecté la fidélité de sa chaste épouse ? Cette première explication ne permet pas de saisir le détail évangélique dans toute sa profondeur ; l’Esprit-Saint avance en effet deux nobles motifs pour justifier l’idée de la répudiation : le premier est la sainteté de saint Joseph ; le second, la sainteté de Notre-Dame. 

Le mariage juif comprenait deux phases distinctes : la première, contractuelle, était une promesse de donation mutuelle et équivalait, plus ou moins, aux fiançailles religieuses. La seconde étape correspondait au début de la cohabitation, que l’on fêtait en Orient avec une pompe très relevée. Le mariage contractuel était une affaire privée et n’impliquait pas, surtout au sein des milieux sociaux les plus modestes, l’engagement publique et définitif des secondes noces. En vérité, saint Joseph disposait donc d’une relative marge de manœuvre ; avant qu’il ne prit Marie chez lui, il pouvait librement la renvoyer à ses parents sans pour autant provoquer de scandale. 

Après l’Annonciation, Marie partagea sans nul doute avec son chaste époux le mystère qui s’accomplissait en ses entrailles ; mais, toute de silence et d’humilité, elle ne lui en révéla pas le maître-mot, et la foi du saint homme entra dans la plus obscure pénombre. Quel miraculeux dessein se tramait donc en sa promise ! Elle avait reçu du Ciel les plus insignes bénédictions, conçu miraculeusement : quelle serait l’élévation de l’enfant mis au monde !

Si saint Joseph choisit de rompre son engagement en secret, c’est qu’il avait pressenti l’incroyable mystère qui se tramait dans le cœur et la chair de son auguste épouse. La pureté de Notre-Dame était une source de lumière si intense que nous pouvons supposer, sans grande témérité, que l’humble artisan de Nazareth n’eut point de soupçon au sujet de sa virginité, mais plutôt qu’il se jugea indigne de recevoir sous son toit un tel prodige de la grâce, une telle source de bénédictions. Ainsi, écrit saint Jérôme, « Le témoignage de Marie prouve que Joseph, connaissant la chasteté de son épouse et contemplant ce qui s’était passé en elle, il honora de son silence le mystère qui ne lui avait point été révélé » (5).  

À la veille de Noël, allons à saint Joseph avec une humble confiance et demandons-lui de nous introduire au mystère de l’Incarnation, dans sa prose simple et familière, son langage de signes, de mystères et de grâces. Puissions-nous dans quelques heures offrir au Roi de gloire un palais digne de sa splendeur, puiser dans le dénuement de la crèche les lumières et les forces des conversions nécessaires.

Ô bienheureux Joseph, à cette heure, vous bravez le froid et les intempéries de l’hiver pour conduire votre sainte épouse et son divin enfant jusqu’en Judée. C’est à Bethléem que nous viendrons cette nuit adorer le fruit de la promesse et rendre hommage au Roi des rois. Aidez-nous donc à nous recueillir en sa présence et à préparer, dans le silence et le dénuement de notre cœur, un tabernacle digne d’un don si précieux. 

 

>> à lire également : Saint Jean-Baptiste, la voix qui crie dans le désert

Chanoine Grégoire de Guillebon

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