En l’honneur de saint Michel (Offertoire Stetit du 29 septembre)

Publié le 29 Sep 2017
En l'honneur de saint Michel (Offertoire Stetit du 29 septembre) L'Homme Nouveau

Un ange se tenait à côté de l’autel du Temple ayant dans sa main un encensoir d’or, et de l’encens lui fut donné en abondance ; et le parfum de l’encens monta jusqu’en présence de Dieu, alléluia. (Apocalypse, 8, 3-4)

Thème spirituel : la liturgie

Le texte de l’offertoire de la messe de saint Michel est tiré du livre de l’Apocalypse, et il applique ces deux versets au prince de la milice céleste. Cet ange nous est montré exerçant une sorte d’acte liturgique, et cela nous invite à une réflexion sur les rapports entre la liturgie de l’au-delà et notre liturgie d’ici bas. L’ange de Dieu, en effet, porte un encensoir en or, qui fait monter vers le Seigneur, en volutes d’encens, les prières des saints, tel un parfum précieux et agréable. Ce chant donc établit très clairement une connexion intime entre la liturgie du ciel et celle de la terre. Le livre de l’Apocalypse parle abondamment de la première. Le ciel est le lieu privilégié de la louange, de l’adoration, de l’action de grâces. Les saints et les anges unissent leurs voix pour glorifier le Dieu trois fois saint et l’Agneau immolé, vainqueur de la mort. Il s’agit là d’une liturgie à visage découvert, si l’on peut dire. Le Seigneur est contemplé sans intermédiaire par l’assemblée céleste, et cette vision bienheureuse, dans le face à face et le cÅ“ur à cÅ“ur, comble de joie l’Église-Épouse, symbolisée par la Jérusalem d’en haut. Une telle liturgie produit son effet infailliblement : la gloire de Dieu est célébrée sans ombre ni trêve. Les habitants du ciel sont inondés de grâce et de bonheur. L’éternité tout entière n’est vraiment qu’une liturgie où triomphe et se déploie l’amour, dans sa dimension théologale comme dans sa dimension sociale.

C’est vers ce triomphe paisible que marche l’Église en pèlerinage sur la terre. Car la terre, elle aussi, a sa liturgie. Même si celle-ci est célébrée non plus dans la vision mais dans la foi et sous le voile du mystère, in abscondito, dans le secret, elle a la même valeur aux yeux de Dieu. La raison profonde de cette identification, c’est que dans la liturgie du ciel et de la terre, c’est d’abord le Christ qui célèbre, ici et là, et glorifie son Père. L’Église militante célèbre dans sa liturgie le sacrifice du Fils bien-aimé ; et l’Église triomphante participe en même temps au banquet éternel des noces de l’Agneau. On peut donc dire en vérité qu’il n’y a qu’une liturgie, au ciel et sur la terre. Et l’acte fondamental de cette unique liturgie, c’est l’offrande que le Verbe Incarné a faite de sa vie à son Père des cieux, offrande qui culmine dans le sacrifice de la croix rendu présent sacramentellement dans la célébration de chaque messe.

De ce qui vient d’être dit, on peut déduire que la liturgie est essentiellement célébration du mystère pascal. La mort et la résurrection du Christ représentent le sommet de la vie salvatrice de Jésus. C’est à partir de là qu’on peut proposer, avec le Magistère de l’Église, deux définitions complémentaires de la liturgie, réalité à la fois humaine et divine. La liturgie est un mystère, c’est-à-dire qu’il y a en elle, comme dans le Christ et comme dans l’Église, des éléments humains et des éléments divins. C’est une réalité riche et complexe, et surtout vivante, qu’il est par conséquent difficile d’exprimer adéquatement dans la « crèche des mots humains Â», selon l’expression significative du cardinal Journet.

La première définition est tirée de l’encyclique de Pie XII Mediator Dei du 20 novembre 1947. « La sainte liturgie est le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Église ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son Chef et, par lui, au Père éternel : c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres. Â» Une telle définition est ascendante, c’est-à-dire qu’elle considère la liturgie dans sa fin ultime qui est de rendre gloire à Dieu. C’est l’idée de l’encens qui monte vers le ciel, représentant la prière des fidèles.

Une deuxième définition, descendante celle-là, est proposée par le Concile Vatican II. « C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres. Â» La liturgie a un double but : rendre gloire à Dieu et sanctifier les fidèles.

Commentaire musical

Stetit Angelus Partition

Cet offertoire de la Saint Michel est un 1er mode somptueux qui a servi de modèle à l’offertoire Justórum de la Toussaint. Il est composé de cinq phrases mélodiques, la dernière étant juste constituée par l’alléluia final. Il devra être donné dans un mouvement d’ensemble assez léger, mais susceptible de variations de tempo et d’intensité notables.

L’intonation est légère, presque vive, elle fait penser aux intonations typiques d’un 6ème mode, par exemple celles de l’introït Omnes gentes du 13ème dimanche ordinaire ou du 7ème dimanche après la Pentecôte. Il convient en tout cas de bien lancer l’accent de stetit, dès le début. À partir de ángelus, le mouvement devient tout de suite plus calme. Dom Gajard montre que toute cette première partie (les deux premières phrases mélodiques) est très ornée, très chargée de neumes. Le traitement mélodique de juxta aram templi est admirable, plein de legato, se tenant à l’intérieur de la quinte Ré-La, avec de beaux appuis sur le Do grave, sans aucune précipitation mais avec une grande souplesse. Toute cette première phrase, après l’intonation, doit être menée de façon très égale, dans un tempo plutôt large. C’est, pourrait-on dire, la composition de lieu et de personne : un ange se tient près de l’autel.

La deuxième phrase apporte une précision : cet ange tient dans sa main un encensoir d’or. L’élévation mélodique de habens, le premier mot de cette phrase, produit un effet nouveau, un peu solennel. On pressent que l’action déterminante que chante cet offertoire est imminente. Le Do est atteint pour la première fois dans cette pièce. Toute cette phrase mélodique est enveloppée dans le legato propre au 1er mode, un legato qui laisse planer une sorte de mystère sur cette figure angélique et sur son attribut matériel. Après une descente sur la finale de habens, la mélodie se fixe sur le Fa, puis elle remonte jusqu’au La sur les premières syllabes de thuríbulum, mais redescend bientôt et va alors se camper résolument dans le grave. Ce passage au grave qui touche spécialement les mots áureum in manu sua, est absolument magnifique. Le legato de áureum débouche sur l’élargissement sensible de manu sua, tandis que l’ambitus mélodique se rétrécit.

Et cette impression de grand mystère continue sur la troisième phrase, très courte, très grave, très large et chaude, qui ne va pas dépasser le Fa, et qui reprend les thèmes mélodiques de la fin de la seconde phrase, en particulier la finale qui est répétée purement et simplement, mais qui est encore plus large, encore plus chaude (incénsa multa). Dom Gajard dit qu’il faut commencer alors, tel un organiste, à tirer les jeux expressifs.

Et c’est alors, du fond de ce grand mystère si savamment entretenu, que jaillit l’admirable dernière phrase. Un jaillissement qui exprime au mieux le sens du texte : lorsque l’encens est déposé sur les braises contenues dans l’encensoir, il se produit effectivement un jaillissement de fumée et de parfum (ascéndit fumus arómatum). Écoutons dom Gajard décrire ce merveilleux jaillissement : « Nous voici en pleine floraison vocalique. Après le resserrement et l’ambitus restreint des courbes mélodiques du début, évoluant toujours autour de la tonique, voici que la mélodie s’abandonne, sans aucune contrainte, à sa propre inspiration, à tel point qu’il devient quasi impossible de préciser en quelle modalité on est. Elle agrandit les intervalles, se déploie sur toute l’étendue de la gamme, touche partout, sans se fixer nulle part. Imagine-t-on quelque chose de plus souple, de plus libre ? Tout est lumineux, tout chante. Â»

Le déploiement mélodique de ascéndit, déjà pressenti dans le participe présent habens, où l’on atteignait déjà le Do aigu, doit donc être léger, aérien, il doit exprimer le mouvement de l’encens qui symbolise les prières des élus. Il ne faut pas crier, il ne faut aucune tension, c’est au contraire l’envol d’un parfum qui est exprimé ici. Et pour cela, il faut bien faire sentir les notes au levé, avant les longues notamment. On peut difficilement situer exactement l’apex de cette phrase mélodique. C’est plutôt tout ce passage qui est l’apex de la pièce. Et il ne faudrait pas trop faire sentir les crescendo et decrescendo indiqués par la courbe mélodique. Ce doit être quelque chose de discret, de très uni. On monte en esprit avec la prière et la fumée de l’encensoir, durant tout ce passage. Il s’achève d’ailleurs de façon surprenante, en revenant au grave sur les mots fumus arómatum in conspéctu Dei. On reconnaît là la grâce profonde du chant grégorien qui intériorise toujours et apaise tout dans son art. Le thème mélodique de cette fin de phrase est une reprise de celui de la troisième phrase : áureum in manu sua. C’est magnifique : l’encens parvenu devant le trône de Dieu, n’est plus élevé, mais il est comme tout prosterné, étalé humblement aux pieds du Seigneur. Tout redevient grave, mais aussi paisible et plein de confiance.

C’est d’ailleurs le sens de l’alléluia final qui doit être, lui, très bien envoyé, en grand élan. C’est une acclamation. C’est la signature de cette pièce qui s’achève dans la louange. Le torculus épisématique doit être léger, il ne faut surtout pas s’y arrêter, il nous conduit vers ce qui suit. Tout doit se dérouler toujours dans le grand legato du protus, mais avec un tempo plus rapide que ce qui a précédé. On doit bien faire sentir le contraste. Il ne faut ralentir qu’à la toute extrémité, sur l’accent du mot et la cadence finale qui doit être posée très nettement.

Pour écouter cet offertoire :

Stetit Angelus

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