Euthanasie : « Pierre Simon voulait faire de la vie un matériau à gérer »

Publié le 16 Oct 2025
euthanasie pierre Simon
Alors que le Sénat reporte une nouvelle fois l’examen du projet de loi sur la fin de vie, l’essayiste Charles Vaugirard publie La face cachée du lobby de l’euthanasie (Téqui). En s’appuyant sur les écrits oubliés de Pierre Simon, fondateur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et ancien grand maître de la Grande Loge de France, il dévoile les racines eugénistes et prométhéennes d’une idéologie qui, selon lui, continue d’inspirer les lois bioéthiques contemporaines.

 

| Pourquoi avoir choisi d’écrire cet ouvrage ?

Pierre Simon est une figure qui m’intrigue depuis longtemps. Je l’ai découvert par hasard et j’ai été frappé par sa personnalité. On le connaît comme cofondateur de l’ADMD, mais il fut aussi à l’origine du Planning familial, et proche des grands législateurs de la contraception et de l’avortement : Lucien Neuwirth, Simone Veil, Henri Caillavet…

J’ai fini par me procurer son livre autobiographique, De la vie avant toute chose, publié en 1978, aujourd’hui quasiment introuvable. On ne le trouve plus qu’à la Bibliothèque nationale ou dans quelques brocantes. 

 

| Comment expliquez-vous que ce livre ait disparu de la circulation ?

Il y a une rumeur selon laquelle il aurait été retiré de la vente quelques mois après sa parution, parce qu’il « en disait trop ». Mais je n’ai aucune preuve de cela, donc je m’en tiens aux faits : il n’a jamais été réédité. C’est un texte d’autant plus fascinant qu’il livre, noir sur blanc, la vision du monde de Pierre Simon. 

 

| Quelle est cette vision ?

Pour lui, la vie ne doit plus être considérée comme un don reçu, que ce soit de Dieu ou de la nature, mais comme un matériau que l’homme peut travailler et transmettre. Il va jusqu’à qualifier l’idée de vie comme « don reçu » de « fétichisme ». C’est un renversement complet : il faut maîtriser la vie.

Cette conception entraîne une redéfinition totale de l’anthropologie. L’homme devient gestionnaire du vivant. Et de là découle une cohérence terrible : la contraception, l’avortement, l’euthanasie sont pour lui les étapes d’un même mouvement de « maîtrise de la vie ».

 

| En quoi sa pensée reste-t-elle présente aujourd’hui ?

Elle est toujours là, même si son nom a été effacé. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs cité en 2023, lors de sa visite au Grand Orient, en le présentant comme un « humaniste ayant défendu le droit à mourir dans la dignité ». Ce n’est pas un hasard : Simon fut grand maître de la Grande Loge de France. Sa pensée imprègne encore notre culture politique. On ne parle plus de « vie comme matériau », mais la logique est là : la vie humaine est devenue une donnée modulable, soumise au choix individuel et à la technique. 

 

| Vous dites que cette logique conduit à une pression sociale.

Exactement. La loi sur l’aide à mourir se présente comme une loi « libérale », mais c’est une fausse liberté. Dans les faits, des personnes âgées, dépendantes ou handicapées peuvent se sentir un poids pour leurs proches ou pour la société. C’est une pression morale, diffuse, mais bien réelle : « autant en finir ».

Et pendant ce temps, les soins palliatifs reculent, faute d’investissement. Pourquoi ? Parce qu’il y a une solution moins coûteuse : la mort. Dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie, on le constate partout : les soins palliatifs déclinent. 

 

| Quel est le rôle du médecin dans cette nouvelle société ?

Les médecins sont très divisés. Leur vocation est de soulager et de soigner, non de donner la mort. L’euthanasie bouleverse un principe fondamental de toute civilisation : le suicide n’est pas un droit. Face à quelqu’un qui veut se jeter dans le vide, nous cherchons à le retenir. C’est un réflexe humain, universel. Une société civilisée repose sur ce réflexe.

Si nous commençons à dire que le suicide est un droit, tout est inversé. Et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui : le glissement d’une société qui protège les plus fragiles à une société qui leur propose de disparaître. 

 

| Il est question dans votre ouvrage d’un lien entre contraception, avortement et euthanasie. Pouvez-vous expliquer cette continuité ?

C’est Pierre Simon lui-même qui le fait. Pour lui, contraception et avortement relèvent du même principe : le contrôle des naissances, la maîtrise du vivant. Il distingue à peine la contraception abortive de la non-abortive. Dans sa logique, il faut organiser la vie humaine comme on gère une ressource. La contraception, l’avortement, et plus tard l’euthanasie sont pour lui des instruments de « gestion du matériau humain ». 

 

| Quel rôle la franc-maçonnerie a-t-elle joué dans cette évolution ?

Il faut être précis. Pierre Simon était grand maître de la Grande Loge de France. L’ADMD a été fondée par deux francs-maçons, Simon et le sénateur Caillavet. Et de nombreuses obédiences maçonniques, notamment le Grand Orient et la Grande Loge de France, ont officiellement soutenu la légalisation de l’euthanasie. Ce n’est pas une théorie du complot : ce sont des communiqués publics.

La franc-maçonnerie défend une vision prométhéenne de l’homme qui s’émancipe de toute transcendance et s’érige en maître de la vie. C’est cette anthropologie-là que l’on retrouve dans nos lois dites « sociétales ».

 

| Pierre Simon évoque dans son livre la « stratégie du viscéral ». Qu’entendait-il par là ?

Le « viscéral », c’est l’émotion. Il avait compris qu’une réforme de civilisation ne s’impose pas par la raison, mais par le ressenti : la peur, la compassion, la souffrance. Il faut « peser sur le viscéral », écrivait-il, c’est-à-dire sur les angoisses existentielles, la peur du handicap, de la dépendance, de la douleur.

Cette arme émotionnelle est redoutable. Regardez les campagnes actuelles : elles montrent des cas extrêmes, des personnes en phase terminale, des drames insoutenables. Tout cela vise à faire accepter la transgression morale au nom de l’émotion. 

Mais il faut aussi que nous, chrétiens ou défenseurs de la vie, soyons vigilants à ne pas répondre à l’émotion par l’émotion. Sinon, nous sommes pris dans le même piège relativiste. Il faut restaurer une culture de la raison, du soin, du lien social. La souffrance doit être accompagnée, pas éliminée avec celui qui souffre. 

 

| En définitive, quel choix se pose aujourd’hui à notre société ?

Le choix est clair : voulons-nous d’une société qui protège la vie, ou d’une société qui la sélectionne ?

Nous sommes déjà entrés dans cette nouvelle civilisation où la vie n’a plus de valeur en soi. Le tabou du suicide tombe, la mort devient un « service », et la société s’habitue à l’idée qu’il est plus simple de supprimer les faibles que de les accompagner. Ce basculement est dramatique. Une civilisation qui fait de la mort une solution finit toujours par mourir elle-même. 

 


La face caché du lobby de l’authanasie. L’eugénisme de Pierre Simon, fondateur de l’ADMD, Charles Vaugirard, Téqui, 88 p., 9,90 €.

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>> à lire également : Une nouvelle fille pour les bénédictins du Barroux 

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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