Gilets jaunes : enjeux d’une mobilisation

Publié le 29 Nov 2018
Gilets jaunes : enjeux d’une mobilisation L'Homme Nouveau

Ils se disent hors de tout parti, syndicat ou autre organisation… Les « gilets jaunes » ont occupé routes et ronds-points en novembre, entraînant parfois des incidents comme à chaque manifestation. Ils lancent leur « ras-le-bol » aux gouvernants. Seront-ils plus entendus que ceux de la « Manif pour tous » ?

Les gilets jaunes ont manifesté un peu partout en France les deux derniers week-ends de novembre pour exprimer leur ras-le-bol : protester, entre autres, contre la hausse des taxes sur les carburants sous prétexte de transition écologique. Ils ont laissé éclater leur colère, bloquant des routes, ronds-points ou rocades, des accès aux supermarchés, des entrées et des péages d’autoroutes, ou en organisant des opérations escargot. Plus de 2 000 points de blocage ont été recensés lors de la première manifestation.

À l’origine de cette mobilisation populaire, une jacquerie d’abord numérique (1) : la réaction non concertée de quelques inconnus sur les réseaux sociaux. Le succès d’une pétition de Priscillia Ludosky de Seine-et-Marne « pour une baisse du prix des carburants à la pompe ». Le « buzz » du coup de gueule de Jacline Mouraud du Morbihan contre Macron, l’impôt écologique étant la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La réussite d’un premier blocage réunissant 500 véhicules le 2 novembre, organisé par Fabrice Schlegel du Jura grâce à Internet. La toile et beaucoup d’autres soldats inconnus ou anonymes ont fait le reste, sans besoin de structures ni de chefs affichés, relayant une revendication très ciblée, une indignation d’origine fiscale, mais aussi un malaise beaucoup plus large et profond. Jusqu’à cette déferlante jaune du 17 novembre passée ainsi du virtuel au réel, estimée à quelque 282 000 manifestants par le ministère de l’Intérieur…

Mobilisation surgie donc spontanément, via les réseaux sociaux, du « pays réel » – comme dirait le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux (confondant en l’occurrence Marc Bloch et Charles Maurras !) – ou d’une « France périphérique » – comme dit autrement Christophe Guilluy. Un peuple qui méprise ou ignore en tout cas les représentations politiques, syndicales et médiatiques du « pays légal ». C’est une sorte de populisme français qui se dresse tout à coup en face de l’élitisme mondialiste au pouvoir : « l’élite-kérosène [qui survole la France en avion] en butte au ­populisme-diesel », résume bien le journaliste François Bousquet. Les gilletistes réussissent à incarner au moins provisoirement le slogan sur lequel Marine Le Pen aurait bien voulu surfer électoralement : « Ni droite ni gauche ! », soutenus d’ailleurs aussi bien par le Rassemblement national que par les Insoumis.

« Rassemblés par des mots d’ordre portant sur des questions d’argent, ils sont avant tout des salariés, travailleurs indépendants ou retraités aux revenus situés autour ou en deçà du revenu mensuel médian, qui se situe autour de 1 700 euros après impôts », analyse Jérôme Sainte-Marie dans le Figarovox. Et de commenter : « Ce n’est pas la France de la misère ou de l’exclusion, sans doute, mais bien celle dont le travail s’accompagne d’une insécurité financière permanente. » C’est l’expression unanime – et non pas « corporatiste » ou « poujadiste » cette fois – de la paupérisation des classes moyennes, entre des pauvres de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres et des riches de moins en moins nombreux mais de plus en plus riches. Le mouvement fédère les oppositions à Macron, à commencer par celles à sa politique euro-­mondialiste avec son fameux clivage dialectique entre prétendus « progressistes » et « populistes ».

Le gouvernement s’est bien sûr empressé de minimiser, relativiser, voire diaboliser, l’émergence de cette contestation populaire avec une mauvaise foi éloquente. « Je fais une comparaison simple, a par exemple osé affirmer François de Rugy, le ministre de la transition écolo­gique et solidaire sur Europe?1. Quand François Hollande était président de la République à peu près à la même période de son mandat, il y a eu de très grandes manifestations contre la loi du mariage pour tous, on a été jusqu’à 1?million de personnes dans les rues. » Or c’est ce million (et davantage) revendiqué par les organisateurs de la « Manif pour tous » que la préfecture et le gouvernement n’ont jamais voulu reconnaître justement, donnant un chiffre de 300 000, quasiment celui donné par la police pour les gilets jaunes ce 17 novembre. Sans commentaire ! Reconnaissons tout de même que pour ce premier coup d’essai improvisé à l’échelle nationale, ce fut plutôt un coup de maître. On constate d’ailleurs que les grands mouvements populaires de ces dernières décennies se sont imposés progressivement après de tels galops d’essai, qui révèlent aussi la consistance et la récurrence d’un phénomène : école libre, bonnets rouges, « Manif pour tous »…

« Souvent dans les mandats présidentiels il y a des mobilisations citoyennes qui ne sont pas forcément sociales ou politiques », explique encore François de?Rugy, comme pour laisser entendre que celle-ci retombera comme un soufflé, à cause de son manque de repères structurels. Peut-être. Mais, comme les mouvements évoqués, c’est sans doute aussi cette faiblesse qui fait sa force : réussir à faire descendre dans la rue ceux qui ne manifestent jamais, la France des citoyens bien élevés ou qui se lèvent tôt ! Un peuple en quête solidaire non seulement d’une nouvelle représentation politique mais aussi de nouveaux corps intermédiaires. Quand les institutions deviennent à ce point défaillantes, reste, non sans risque ni sans espoir, le ressort du bon sens populaire. Mouvement à suivre.

1. Jacquerie : du prénom du chef de la première révolte éponyme (en 1358), appelé Jacques Bonhomme parce qu’il n’avait pas de nom ! Révolte spontanée de paysans parmi les plus humbles contre notamment – déjà ! – une hausse des taxes pour payer la rançon du roi Jean.

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