Grégorien : Introit du dimanche de la Passion

Publié le 01 Avr 2017
Grégorien

« Juge-moi, Dieu, défends ma cause contre des gens sans amour ; de l’homme perfide et pervers, délivre-moi. C’est toi le Dieu de ma force : (pourquoi me rejeter ? Pourquoi m’en aller en deuil, accablé par l’ennemi ?) Envoie ta lumière et ta vérité : elles me guideront, me mèneront à ta montagne sainte, jusqu’en tes Demeures.
Et j’irai vers l’autel de Dieu, jusqu’au Dieu de ma joie. J’exulterai, je te rendrai grâce sur la harpe, Dieu, mon Dieu. Qu’as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ? Espère en Dieu: à nouveau je lui rendrai grâce, le salut de ma face et mon Dieu ! »

J’ai voulu vous lire ce beau psaume 42ème en entier, il n’est pas long et il est si suggestif de la confiance d’une âme qui se sait aimée de Dieu, en sûreté sous sa protection, sûre aussi de sa justice en laquelle elle s’abandonne complètement, alors même que le jugement des hommes pèse sur elle. C’est un psaume de la captivité du Peuple de Dieu à Babylone. Le psalmiste se fait l’interprète de tous les exilés qui aspirent à revenir vers Sion, la sainte montagne, vers le Temple qui fait les délices des âmes religieuses. Et ce beau psaume de détresse et de confiance s’applique en tout premier lieu au Seigneur lui-même, exilé au milieu des hommes qui sont devenus ses ennemis, et désirant de toute son âme se plonger dans le sein de son Père, sa demeure éternelle. Il se met aussi à la place de tous les justes persécutés, il assume leur prière, il demande en leur nom et pour eux que justice soit faite. Aujourd’hui encore cette prière du Christ persécuté a toute sa valeur en son Église. Il n’y a qu’à penser à la persécution religieuse qui sévit contre les chrétiens dans tant de pays d’orient ; mais aussi aux horreurs qui sont commises chaque jour, en Occident, contre la vie de l’innocent, contre les enfants dans le sein de leur mère, contre les femmes réduites à l’état d’objet de plaisir pour un pervers qui n’a que faire d’une vie pleine de promesse, pour les hommes exploités dans leur travail, écrasés sous un fardeau trop lourd à porter, pour les personnes âgées isolées de leurs proches et redoutant le pire d’une société sans scrupule. Toutes ces situations concrètes, toutes ces personnes, nous tous enfin qui gémissons d’une manière ou d’une autre loin du bonheur éternel après lequel nous soupirons, le Seigneur les a portées tout au long de sa vie terrestre et particulièrement au jardin des oliviers, au moment terrible de son agonie, dans la solitude et le silence de Gethsémani. Ce chant est le chant d’entrée non seulement de ce premier dimanche de la Passion mais de tout le temps de la Passion qui nous sépare de la résurrection et qui culminera sur le bois de la croix. Avec ce chant et tous ceux qui suivront désormais dans la liturgie de la Passion, on sent un poids plus lourd qui se manifeste dans des textes oppressés, souvent empruntés au prophète Jérémie, ou encore, comme ici, aux passages les plus douloureux des psaumes. Vous savez sans doute qu’une des coutumes des églises, à partir de ce jour, consiste à voiler les crucifix et les images des saints, en souvenir de l’obligation de fuir dans laquelle le Seigneur s’est trouvé, à la suite d’une altercation violente avec les Juifs. L’Église a choisi ce texte comme évangile de ce jour. Il en dit long sur l’atmosphère qui va régner sur ces 15 jours liturgiques à venir. L’angoisse, la souffrance vont se faire sentir avec une acuité que les chants vont souligner de façon très expressive, et cela commence avec notre chant d’entrée. Mais en même temps et c’est cela qui est remarquable et si beau, la confiance, l’espérance, et même une certaine joie ne sont jamais absentes de ces chants, pas plus que de l’âme du Seigneur en ces circonstances, pas plus qu’elle ne doivent l’être de toute âme chrétienne qui souffre pour le royaume des cieux. La certitude qu’au bout du tunnel le plus long de la vie, jaillit la lumière de la vie éternelle, anime l’âme habituellement tournée vers le Seigneur, même s’il ne faut pas minimiser la lutte contre les ténèbres. On peut penser à une sainte Thérèse de l’enfant Jésus ou à une mère Teresa qui se disait elle même appelée à une vocation de sainte des ténèbres. Et pourtant, quel plus grand message que ce sourire permanent de Mère Teresa qui est resté dans tous les cœurs ? La liturgie nous met elle aussi à l’école de la sainteté et le chant grégorien nous apprend tant de choses à travers ces mélodies spirituelles et pleines d’humanité.

Judica me Partition

Si l’on regarde ce chant d’entrée on remarque qu’il s’agit d’un 4ème mode. C’est le mode de la contemplation. Musicalement, ce mode est assez restreint, il se meut habituellement à l’intérieur d’une quinte Mi-Si. On voit que c’est le cas, ici, même s’il s’envole un peu de façon d’ailleurs très expressive tout spécialement sur le cri chargé d’angoisse du passage ab homine iniquo et doloso eripe me. La mélodie se campe au sommet et y demeure jusque sur la cadence, nous laissant une impression très forte de détresse. On l’avait déjà pressenti un peu sur les double Do de causam et de de gente. Dans cet introït, il y a une sorte d’alternance entre des passages très humbles, très méditatifs, très confiants, et des cris de l’âme inquiète et oppressée.

Judica me Deus, c’est un acte d’abandon, une remise entre les mains et la justice de Dieu. Cet abandon est très bien signifié par le si bémol sur Deus qui apporte sa note de tendresse, en nous laissant sur une cadence en mode de Fa qui est le mode de l’enfance spirituelle. Puis la mélodie se charge une première fois d’angoisse avec la montée par un saut de quarte jusqu’au Do de causam. Les intervalles un peu tourmentés de causam meam de gente non sancta avec aussi la retombée en cascade du de gente, introduisent le troisième protagoniste de notre vie spirituelle, après Dieu et nous, il y a les ennemis de notre âme qui cherchent à s’opposer à Dieu. La cadence en Mi de non sancta conclut cette première phrase en lui donnant quelque chose de très méditatif. On demande au Seigneur de bien discerner entre les bons et les méchants, et lui seul peut le faire en vérité. La seconde phrase représente le sommet dramatique de ce chant. Elle est constituée tout entière par un cri de délivrance. On sent la lourdeur qui monte sur ab homine iniquo, puis la détresse qui explose sur et doloso eripe me et qui s’achève en une cadence à l’aigu très expressive, très poignante comme on l’a déjà souligné. Et puis brusquement tout change, le ton redevient tout aimant, plein de tendresse. L’âme s’est détournée de sa redoutable contemplation de l’ennemi, elle se tourne vers son Dieu et son chant redevient un chant d’amour, de tendresse, de confiance et de paix. La paix, elle apparaît notamment sur la cadence en Ré, cette fois, de meus. Le mode de Ré est précisément le mode de la paix. Mais on la sent dès le début avec le tu très enveloppé et amoureux, avec le si naturel, cette fois sur Deus qui met de la lumière et de la certitude, et la descente au grave de meus, après une longue (distropha) pleine de ferveur. La paix de l’âme, sa sécurité absolue en son Dieu est fondée sur la force que Dieu déploie pour ceux qu’il aime. Le mot fortitudo est très beau avec ce bel élan qui nous fait retrouver le si bémol de tendresse du début et cette lente retombée sur la finale du mot qui amène après une dernière note presque en suspens, la douce cadence en Mi de mea, ce possessif si bien mis en valeur à la fin de cette pièce. Cette force qui réalise des merveilles, elle est mienne, elle est à moi, comme Dieu lui même est à moi, c’est mon Dieu, alors tout va bien, peu importent finalement les persécutions d’où qu’elles viennent, le dernier mot est celui de la vie, de l’amour.

Le verset introduit une pensée nouvelle qui fixe encore davantage l’âme dans la certitude. Sous la forme d’une demande, le psalmiste, le Christ, l’âme chrétienne, implorent la lumière et la vérité qui sont les guides sûr vers la sainte montagne, c’est-à-dire l’Église, et vers les demeures éternelles. Au moment d’entrer dans le temps de la passion, fixons nos yeux sur Jérusalem, comme le Seigneur lui-même dont il est dit qu’il affermit son visage au moment de monter une dernière fois vers la ville sainte pour y souffrir. Le calvaire est la source de la lumière pour nous. C’est là que se révèlent l’amour de Dieu pour nous et la promesse de la béatitude éternelle pour le juste. « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. » Laissons-nous attirer par ce mystère de la croix du Christ.

Pour écouter cet introit :

Judica me

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