Grégorien : Introït Exaudi Domine… tibi dixit (7ème dimanche de Pâques, Dimanche après l’Ascension)

Publié le 07 Mai 2016
Grégorien : Introït Exaudi Domine... tibi dixit (7ème dimanche de Pâques, Dimanche après l’Ascension) L'Homme Nouveau

« Écoute ma voix, Seigneur, que j’élève vers toi, alléluia. Mon cœur t’a dit « je cherche ton visage, c’est ton visage que je cherche, Seigneur. Ne détourne pas ta face de moi, alléluia, alléluia. »
V/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ?

Commentaire spirituel

Ce texte tiré du psaume 26 est un des plus beaux passages du psautier, une des plus belles prières de la Bible. Le psaume est lui-même un joyau. Il convient à toutes les âmes qui au milieu des épreuves et souvent même à l’occasion de ses épreuves, raffermissent leur courage, leur confiance en Dieu et se préparent à la vie éternelle dans la vision et l’amour par leurs souffrances silencieuses. C’est le psaume de ceux qui cherchent Dieu et c’est sans doute pourquoi il plaît aux moines. Mais il appartient réellement à tout fidèle dont la vocation est de chercher Dieu. Notre chant d’entrée utilise une image très belle : celle du visage. Quand on aime quelqu’un on évoque son visage dont les traits nous sont familiers. Le visage est le reflet de la personne toute entière et le visage d’un être aimé s’imprime dans notre souvenir de façon privilégiée. Or là, de façon expressive, le psalmiste nous parle du visage de Dieu. Dans l’Ancien Testament c’est ce qu’on appelle un anthropomorphisme, c’est à dire qu’on prête à Dieu des attributs humains, par exemple quand on parle de la main de Dieu, de son bras. On exprime une qualité divine en évoquant ce qu’elle représente dans l’humanité. La main est signe de tendresse, le bras signe de puissance, etc… Le visage, cela évoque une relation personnelle, une certaine intimité. Parler du visage de Dieu c’est utiliser un langage amoureux. C’est une très belle expression de la quête de l’âme éprise du divin et qui cherche à connaître le Seigneur pour mieux l’aimer. Le mot visage revient trois fois dans ce chant d’entrée, deux fois pour évoquer la recherche persévérante de l’homme et une fois pour supplier Dieu de ne pas se dérober à ce désir. Le texte mentionne en outre que cette quête divine procède du cœur. Et le cœur, dans la Bible cela exprime tout l’être, toute la personne, pas seulement son affectivité mais aussi l’intelligence qui veut connaître. C’est donc une démarche totale dans le sujet comme dans l’objet. C’est tout l’homme qui désire posséder la totalité de Dieu. Prière audacieuse, l’audace de l’amour qui suppose une initiative divine. C’est parce que Dieu nous a aimé le premier et a jeté dans notre cœur le désir de le posséder qu’on peut oser lui demander l’impensable récompense de contempler son visage. C’est la prière de Moïse (« fais moi contempler ton visage »), c’est la prière de tout ami de Dieu, de celui qui a fait l’expérience que la contemplation des beautés de la terre ne saurait suffire.

Ajoutons une chose essentielle : depuis l’Incarnation le visage de Dieu est devenu pour nous un visage humain, réel. Le visage du Christ révèle et cache tout à la fois l’infinie richesse de Dieu. Ce visage du Christ est la porte par laquelle nous pouvons entrer dans le mystère. Et voilà pourquoi l’Église a développé le culte de la Sainte Face. Le visage de Jésus n’est pas seulement le visage d’un homme, c’est réellement, pour chacun, le visage de Dieu, le visage du bien aimé dont la beauté, la bonté peuvent seules rassasier toute l’âme qui le cherche.

Alors ne nous étonnons pas si l’Église a puisé ce beau verset dans le psautier en une période liturgique qui commémore l’Ascension, le départ du Christ, de son humanité, vers le monde divin, et la soustraction de son charme à nos yeux de chair. L’Église-Épouse élève la voix comme la colombe, elle laisse parler son cœur, elle cherche le visage du bien aimé, elle le supplie de ne pas se dérober, mais de se révéler à nouveau. C’est tout notre chant d’entrée, un cantique d’amour, une plainte, un immense désir et ce désir exprime toutes les aspirations de l’humanité vers son bonheur.

Commentaire musical

Comme toujours l’inspiration mélodique est à la hauteur d’un tel texte. Nous sommes encore une fois en présence d’une merveille, toute simple, mais qui exprime de façon si délicate l’amour, la joie, une certaine nostalgie, le désir. Il y a tout cela dans ces quelques phrases musicales qui mettent si bien le texte en valeur.

La pièce se décompose assez nettement en trois phrases. La première phrase est introductive. On est dans l’image vocale (troisième mode léger). L’Épouse élève la voix. C’est une pièce humble, mais déjà très aimante. Le premier intervalle de seconde mineure nous place d’emblée dans cette atmosphère (avec le Sib). Le mot Domine, placé dans les hauteurs, et lui aussi avec sa cadence en demi-ton, exprime bien l’élan de l’âme et en même temps la vénération avec laquelle elle s’adresse au Seigneur. Le reste de la phrase est très sobre, très humble, l’alléluia n’a pas du tout l’éclat d’un chant triomphal, c’est une ponctuation de joie, mais d’une joie empreinte de nostalgie, confiance, sérénité, paix, sécurité.

La deuxième phrase exprime l’ardeur du désir. Elle a quelque chose de plus ferme, de plus décidé. Tibi dixit cor meum. Noter la belle courbe descendante puis ascendante de meum qui évoque la tendresse. Le mot cœur n’est rendu que par une petite note, comme le mot voce dans la première phrase qui est aussi syllabique. L’âme s’oublie devant celui qu’elle aime.

Les mots quaesivi vultu tuum sont très beaux. Cela commence avec le même motif mélodique que clamavi, mais cela s’envole en un beau mouvement qui englobe la finale de quaesivi et le mot vultum. Le Fa de vultum donne sa belle petite note mineure qu’on avait déjà entendue sur le Domine de la première phrase. C’est très beau cela. Quant au passage syllabique et presque à l’unisson qui suit, il est très expressif de la persévérance de l’âme. Il faut le mener en crescendo et en accelerando vers l’accent de requiram, très bien mis en valeur avec le podatus au grave qui demande une interprétation très appuyée. Il y a un grand amour qui passe dans ces quelques notes où la mélodie s’efface presque devant le texte et le sentiment qu’il exprime.

La troisième phrase reprend le thème de la supplication avec encore plus d’insistance. Tous les accents de cette phrase sont fermes (avertas, faciem, tuam). Il faut donner ce membre de façon très appuyée, très large pour bien rendre le désir intense et presque le désarroi de l’âme à l’idée que Dieu pourrait s’éloigner d’elle et lui refuser ce qui fait son délice : le rassasiement du visage bien aimé.

Pour finir, voici quelques données pratiques d’interprétation :
Mouvement modéré, les voix doivent être douces et souples, dans l’ensemble.
Exaudi Domine : Légèreté, élan avec des accents bien enveloppés.
Vocem meam : très léger.
Qua clamavi ad te, alleluia : accent au posé bien net de clamavi. Toujours léger.
Tibi dixit cor meum : plus chaud dès l’accent de tibi sur le podatus de quarte. Dixit accent au levé.
Meum : assez large et chaud dans un beau balancement.
Quaesivi vultum tuum : insistant. Accents au posé fermes.
Vultum tuum Domine : accelerando et crescendo. Tous les accents au posé.
Requiram : très appuyé.
Ne avertas faciem tuam a me : podatus très fermes.
1er alléluia : très léger, lumineux.
2ème alléluia : bien enroulé, très serein. Atmosphère de 1er mode.
Verset léger. Un beau jaillissement.

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