« Ils ont volé le mot « art » ! »

Publié le 06 Juil 2015
« Ils ont volé le mot "art" ! » L'Homme Nouveau

Entretien avec Aude de Kerros, artiste et auteur de Sacré art contemporain

Propos recueillis par Clémence Gidoin

Depuis le 9 juin, la réalisation d’Anish Kapoor est installée dans les jardins du château de Versailles : le « Vagin de la Reine » fait beaucoup parler de lui, et a même été dégradé récemment. D’aucuns considèrent cela comme une atteinte à la liberté d’expression, alors que certains dénoncent l’atteinte au patrimoine français. Aude de Kerros nous éclaire sur l’art contemporain et sa légitimité controversée.

Que pensez-vous du « Vagin de la Reine »en lui-même, et de son nom ?

C’est un piège, comme d’habitude. C’est un chef-d’œuvre dans son genre puisque son but est de piéger les médias et le spectateur. Cela implique de générer un scandale, de créer de l’événement et un intérêt médiatique : le « Vagin de la Reine » fonctionne très bien. Lorsqu’une œuvre contemporaine est fabriquée, l’artiste pense « les Français seront blessés si l’on s’attaque à leur patrimoine ». Celle-ci a été faite il y a longtemps, et elle a changé de nom pour l’occasion, afin qu’elle ait un rapport avec son contexte.
Chaque réaction augmente la valeur de cet objet, qui n’est en réalité qu’un produit financier. L’art contemporain se résume à ça. C’est la septième année consécutive que des pièges de ce type sont exposés en France. Ils fonctionnent plus ou moins puisque l’on s’y habitue. Cette fois il a fallu y aller très fort ! Anish Kapoor a réussi à rendre la foule furieuse.

Trouvez-vous légitime de l’exposer dans un contexte aussi décalé ?

C’est pour l’artiste la seule manière de créer un produit financier : il faut choquer. Lorsque je suis allée à Versailles, j’ai vu des Veilleurs, venus pour protester. Je leur ai dit qu’ils feraient mieux d’aller dire leur chapelet devant la préfecture ! Le scandale ne réside pas dans le « Vagin » lui-même, mais dans la complicité de l’État français. L’art contemporain n’en est pas un : il est conceptuel, et veut profiter de son contexte, mais l’œuvre en soi est sans intérêt.
Tout cela constitue un vaste montage financier et mondain entre le grand collectionneur, les institutions et l’artiste, ou devrais-je dire le producteur car en lui-même et sans les autres acteurs il n’existe pas. Il n’a aucune autonomie.

L’artiste dit lui-même qu’il voulait mettre du « chaos » dans l’ordre : la provocation est-elle une caractéristique de l’art contemporain ?

L’art contemporain est effectivement un mécanisme provocateur et financier. Le but est de fabriquer de la médiatisation pour avoir de la cote. Lorsque les gens l’auront compris, ils pourront faire la différence avec l’Art. Les dessins préhistoriques sont encore aujourd’hui qualifiés de fabuleux ! C’est que l’art est beau, universellement et intemporellement, même si les artistes n’en ont aucune notion conceptuelle. C’est magnifique, tout simplement. Cela fait des années que je dénonce cette machination, et pourtant tout le monde continue à tomber dans le piège.

Il semble que l’art contemporain ait toujours besoin d’être justifié et légitimé : pourquoi ?

Bien sûr qu’il est justifié puisqu’il n’a aucune valeur ! Si le « Vagin » a pris un nouveau nom, c’est parce qu’il devait être reconceptualisé, sans quoi il n’y aurait pas eu de scandale.
Ce mécanisme, dont je parle dans mon livre Sacré art contemporain, est peu connu et reconnu. Même les églises sont ornées par ces œuvres, payées par l’État : c’est pour en démonter le sens. Et si l’œuvre n’atteint pas ce but, ce n’est plus de l’art contemporain, mais seulement un objet perdu, que personne ne comprend. Tout cela relève d’une entreprise de destruction de la civilisation, au sein d’un marché financier gigantesque. Et ça continuera aussi longtemps que les gens ne voudront pas comprendre.
Le piège est bien ficelé, et la réaction des Veilleurs était prévue : ils font exactement ce que l’on attend d’eux ! Le problème est qu’il faudrait démonter intégralement le système, et se tourner vers le gouvernement : il doit se justifier ! Combien est-ce que cela coûte aux contribuables ? Pourquoi les artistes français ne sont-ils pas sollicités, si ce n’est parce que leurs œuvres n’atteignent pas le million de dollars ? Nous devons leur demander des comptes. Et pourquoi Anish Kapoor a-t-il eu droit à la légion d’honneur ? Pourquoi lui a-t-on livré Versailles sur un plateau d’argent ?

Peut-on parler d’une atteinte au droit moral de Le Nôtre sur ses œuvres ?

C’est effectivement un bon angle d’attaque, en théorie du moins. Nous, artistes, sommes des va-nu-pieds : mais nous sommes autonomes ! Notre statut est celui que l’artiste a conquis il y a plus de 2 000 ans. Avec l’art contemporain, ce statut est perdu ! L’artiste n’est qu’un producteur noyé dans une « industrie culturelle » qui véhicule des millions d’euros. Avec l’œuvre, il produit des petits formats, des porte-clés, des cartes postales,… Donc il n’a plus aucun droit d’auteur. Le droit moral ne fait pas du tout partie de la conception anglo-saxonne, cela ne correspond pas à la culture dominante. Mais en France, il est un droit antique toujours en vigueur, et nous pourrions demander à nos institutions d’observer les lois !
En revanche, il faut arrêter d’alimenter le scandale : chaque fois que l’on réagit à tort et à travers, on renforce le système.

Sacré art contemporain, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 224 p., 18,50 €.

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