Martin Dumont est un jeune historien français discret. Trop ! Docteur en histoire, il est aussi l’auteur d’un remarquable livre, Le Saint-Siège et l’organisation politique des catholiques français aux lendemains du Ralliement. 1890-1902. Fruit d’années de recherche, de travail dans les archives, cet ouvrage, unique en son genre, permet de saisir avec précision l’évolution du monde catholique français après le Ralliement promu par le pape Léon XIII. Loin des idées toutes faites, des raccourcis faciles ou des interprétations trop rapides, cette étude apporte une vision renouvelée de l’histoire du Ralliement et de ses conséquences et elle est, sans aucun doute possible, un passage obligé pour la compréhension du catholicisme contemporain.
C’est dire si celui qui est aujourd’hui secrétaire général de l’Institut de recherche pour l’étude des religions (Université Paris-Sorbonne), était particulièrement bien placé pour aborder, en historien, les liens entre la France et la papauté depuis la Révolution française.
Loin de la thèse que représente son premier ouvrage, La France dans la pensée des papes est un petit livre de synthèse, facilement accessible, mais qui porte en lui les qualités du premier : précision, clarté, respect de la méthodologie historique, sens des nuances.
Qu’évoque-t-il précisément sous son titre très générique ? Non seulement le regard personnel porté par chaque Pape sur la France, mais encore les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et notre pays, la sainteté et la culture française, la mission et la laïcité. Il en ressort que la France est toujours considérée comme la « fille aînée de l’Église » (titre dont l’historien rappelle qu’il est post-révolutionnaire), mais une fille infidèle.
Le livre commence d’ailleurs par la réponse éloquente du pape François à la question « Qu’évoque pour vous la France ? » : « La fille aînée de l’Église… mais pas la plus fidèle ! ». Un propos direct, bien dans la manière du Souverain Pontife régnant, mais qui entre aussi en écho avec cette question plus ancienne de Jean-Paul II : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? ». Comme on le sait, certaines questions portent souvent en elles leur réponse…
« Le dernier pape français », rappelle Martin Dumont, « est Grégoire XI, né Pierre Roger de Beaufort, mort en 1378 à Rome. » Depuis, les papes ont eu une relation indirecte avec la France, soit personnellement, soit à travers les relations diplomatiques.
Malgré l’infidélité de la France à l’Église, on reste frappé à la lecture de ce livre par l’influence de notre pays. Le pape François, par exemple, a cité à plusieurs reprises des écrivains français et on lui doit la redécouverte inattendue de l’œuvre de Joseph Malègue. On a beaucoup parlé de sa prédilection pour Léon Bloy, mais on découvre ici qu’il lui préfère Péguy et Bernanos, bien que cela soit toujours à travers l’approche quasi mythique du concept de « peuple ».
Étonnant aussi de voir qu’un Allemand comme Joseph Ratzinger-Benoît XVI n’hésite pas à déclarer que l’apport de « la culture théologique et philosophique de la France (…) a été réellement décisif pour le développement de ma pensée ». Même chose finalement pour Paul VI, traducteur de Jacques Maritain en Italie, auquel il remettra au moment du Concile le Message aux intellectuels. Le même Pape, remarque par ailleurs Martin Dumont, fut « également sensible aux questions pastorales françaises ».
Au-delà des rapports des papes avec la France, soit personnellement, soit comme Souverain Pontife, ce qui traverse ce petit livre est la rupture systémique causée par la Révolution française. Rappelant rapidement au début de son livre les grandes lignes des relations franco-pontificales, Martin Dumont conclut : « La Révolution devait brutalement bouleverser cet ordre des choses, qui avait fonctionné, bon an mal an, des siècles durant. » Il le redit, d’une autre manière, indirecte cette fois, à la fin de son ouvrage, quand il estime que « deux siècles après la Révolution », la France est devenue aux yeux du pape François « une périphérie à évangéliser ».
L’avenir ? Par vocation, la matière de l’historien se situe dans le passé. Mais, cela n’empêche pas beaucoup d’entre eux, en s’appuyant sur les leçons du temps écoulé, de tenter de cerner l’avenir. « Si les relations entre le Saint-Siège et la France, écrit ainsi Martin Dumont, ont traversé une période délicate ces dernières années, ce moment est-il appelé à durer ? Rien n’est moins sûr, tant les deux puissances ont intérêt à conserver des liens constructifs. » Plus profondément encore, il estime que si la papauté tient compte désormais de la situation minoritaire du catholicisme français aujourd’hui, elle considère toujours la France comme la fille aînée de l’Église, à l’aune de son baptême et de sa longue histoire.
La France dans la pensée des papes, Martin Dumont
Éd. du Cerf, 188 pages, 16 €.