La fête de la musique, née en 1982 dans le grand délire festif des commencements de l’ère mitterrandienne, célébrée depuis chaque solstice d’été, a-t-elle jamais eu d’autre vocation, dans l’idée de ses inventeurs, que d’éclipser par une cérémonie laïque et populaire largement relayée par les médias et bientôt exportée dans toute l’Europe, les anciennes célébrations de la Saint Jean d’été ?
Il est loisible d’en douter. Force est d’admettre que la manœuvre a bien réussi. Il ne reste rien, sinon quelques survivances folkloriques, des grands bûchers qui, depuis des millénaires, illuminaient la nuit la plus courte de l’année et que l’Église avait sanctifiés en les plaçant sous la protection du Baptiste dont elle célèbre, le 24 juin, la naissance. Quant au cousin du Christ, qui, parmi les badauds abrutis de musique techno, de bière et d’autre chose errant dans les rues cette nuit-là, serait capable de l’identifier ?
Dans ces conditions, lire Dominique Ponnau, venu au monde un 24 juin et attaché en proportion au saint du jour, qui consacre un magnifique essai, La gloire de l’effacement (Salvator. 172 p. 18,50 €) à Jean-Baptiste, est un moment de grâce.
Jean le Baptiste, « le plus grand parmi les enfants des femmes », si souvent représenté dans l’art chrétien, nous semble familier. Les évangiles qui nous parlent de lui font si étroitement partis de notre culture religieuse que nous pourrions les réciter par cœur. Peut-être est-ce là, justement, le piège … Nous connaissons si bien Jean, et depuis si longtemps, que nous ne le voyons plus, et ne nous intéressons plus à lui ni à son message.
À lui ? Peu importe, dirait Dominique Ponnau qui a mesuré combien, pour le plus grand et le dernier prophète, devenir invisible est une vocation plus encore qu’une nécessité. Jean ne veut pas que l’on s’arrête à lui. « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » dit-il à ses disciples, ceux du moins qu’il n’a pas encore envoyés lui-même à Jésus et regardé partir sans une plainte, tant il sait urgent de rendre à l’Époux, dont il ne fut que le héraut, ceux qui lui appartiennent.
En a-t-il moins souffert pour autant ? Savoir qu’il n’était là que pour disparaître et se taire quand viendrait le Messie lui a-t-il rendu le sacrifice plus léger ? N’a-t-il pas eu, dans sa geôle de Machéronte, ses heures d’angoisse, de doute et de déréliction ?
Dans des méditations d’une haute profondeur spirituelle, M. Ponnau ose poser la question, restituant au Baptiste dont la rude grandeur effraie parfois, la douceur immense de son humanité.
Jean se soucie peu d’être oublié ; mais comment tolérerait-il, en revanche, que son message le soit, puisqu’il n’y parle pas de lui mais du Seigneur qui vient et dont il n’est pas digne de dénouer la courroie de la sandale ?
Il y a gros à parier, aujourd’hui comme hier, que le Baptiste, défenseur de la famille et du mariage, scandaliserait nos contemporains comme les siens ; et qu’il se trouverait peut-être même un émule d’Hérode pour offrir sa tête aux danses lascives d’une fillette perverse. Cette certitude ne l’empêcherait pas de tenir l’unique langage de la parole divine : « Je suis la voix qui crie dans le désert. »
Les nôtres sont-ils pires que les siens ?
En cette Saint Jean d’été, la seule grâce à réclamer au Baptiste n’est-elle pas d’oser, à son exemple, clamer la vérité, à n’importe quel prix, à la face des puissants, d’apprendre, surtout, à ne pas la garder pour nous, quand même elle serait notre seul réconfort ?