La liberté scolaire n’est pas un acquis définitif. La vigilance est de mise. Concernant le projet de loi Gatel, voté le 21 février au Sénat, Adélaïde Pouchol, notre rédactrice en chef adjointe, a interrogé Lionel Devic, président de la Fondation pour l’Ecole.
Quels sont les contours du projet de loi actuellement en débat et qui pourrait restreindre encore la liberté scolaire ?
Ce texte de loi, aujourd’hui porté par les sénateurs centristes, n’est pas nouveau puisqu’il est la reprise du texte d’un amendement déposé en 2016 dans le cadre de la discussion sur la loi « Égalité et citoyenneté », une loi un peu fourre-tout dans laquelle il y avait notamment un article issu du gouvernement et qui visait à modifier le régime de création des écoles et le faisant passer d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation préalable. A l’époque, la Fondation pour l’École s’était battue contre ce texte et avait obtenu que des parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel, qui avait déclaré cette disposition inconstitutionnelle en janvier 2017. Nous pensions que ce texte avait été mis aux oubliettes et avons été très surpris que le groupe centriste au sénat n’ait eu d’autre texte à proposer pour sa niche parlementaire du 21 février. Cet amendement pose de vraies difficultés puisque la modification du régime d’autorisation constitue un obstacle à la liberté de l’enseignement. Nous ferraillons depuis le début de l’année contre ce texte, mais en réalité, cette proposition de loi arrange bien le gouvernement et en particulièrement Emmanuel Macron qui souhaite un texte sur la sécurisation des école hors-contrat, dans le contexte de radicalisation que l’on sait. Les élus locaux se plaignent de ne pas avoir de marge de manœuvre pour s’opposer à la création ou surveiller une école musulmane, car c’est bien cela qui est en toile de fond. Nous essayons donc, avec des parlementaires et avec le gouvernement, de modifier dans le bon sens cette proposition de loi.
Vous parlez des écoles musulmanes, mais pensez-vous que la lutte contre la radicalisation soit la seule motivation du gouvernement ?
C’est un point très difficile à discerner. Le ministre de l’Éducation nationale passe bien auprès des Français parce qu’il a un discours qui sent bon l’école traditionnelle, un discours anti-pédagogiste qui rassure. Jean-Michel Blanquer s’était, en outre, montré plutôt favorable à la liberté de l’enseignement et à la liberté scolaire. On peine donc à se faire une opinion sur la volonté de ceux qui sont au ministère. Ce qui est certain, c’est que quelques personnes, issues en particulier du gouvernement de Najat Vallaud-Belkacem, sont très hostiles au secteur libre. Je pense qu’il y a une volonté du gouvernement de donner plus de garanties aux élus locaux sur les modalités de contrôle des écoles qui se créent et, en ce sens, nous n’y sommes pas hostiles. Nous sommes prêts à ce que le délai pour que les maires puissent s’opposer à la création d’une école soit étendu à deux ou trois mois là où il est aujourd’hui d’un mois. Nous avons également proposé qu’une inspection des écoles hors-contrat par l’Éducation nationale soit obligatoire dès la première année d’existence, quitte à ce qu’il y ait également des membres du ministère de l’Intérieur qui soient présents pour poser un éventuel diagnostic de radicalisation. Ce qui, d’ailleurs, était déjà parfois le cas… On savait très bien que des membres des RG étaient présents, quoiqu’incognito, lors de certaines inspections ! Quoiqu’il en soit, il ne faudrait pas que la prise en compte des soucis des élus locaux donne à ses adversaires l’occasion de restreindre la liberté scolaire.
Ces restrictions à la liberté scolaire sont effectivement présentées d’abord comme un moyen de lutter contre la radicalisation mais également d’assurer une harmonie de l’enseignement dans l’ensemble du territoire et de garantir un certain niveau aux élèves, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose…
Quand on regarde les débats parlementaires, on voit effectivement qu’il s’agit de lutter contre la radicalisation mais aussi de s’assurer que les enfants sont formés. En filigrane, ces débats font allusion à certaines écoles avec des pédagogies très particulières, comme les écoles « démocratiques » ou les écoles Steiner-Waldorf, où l’enfant est laissé très libre, sans grand sens de l’effort, etc. Pour certains, aussi, l’école libre est, par définition, illégitime puisqu’elle est financée par des dons et donc, indirectement, par l’état. Bref, la question de l’école libre suscite des arguments assez nombreux et divers.
Reste que dans la tête du groupe centriste et du rapporteur du projet de loi, il y a clairement une volonté de restreindre la liberté scolaire, notamment en exigeant la production d’un certain nombre de pièces complémentaires dans le dossier de déclaration d’école, en particulier un descriptif très précis de la pédagogie qui sera mise en œuvre et des financements. En outre, le texte de loi veut remplacer le motif d’opposition à l’ouverture d’une école qui était traditionnellement l’hygiène et l’ordre public par la « protection de l’enfance et de la jeunesse », ce qui pour nous est un concept beaucoup trop large, un concept qui n’est pas éprouvé juridiquement et se mesure difficilement de manière objective.
Est-on capable aujourd’hui d’évaluer le niveau des élèves des établissements hors-contrat et, par là, de mesurer la valeur ajoutée de ces écoles par rapport à l’enseignement public ?
Les seuls moments qui permettent d’apprécier le niveau des élèves sont le brevet et le baccalauréat. Il n’existe pas d’autres moyens objectifs de mesurer leur niveau à échelle nationale. Mais nous plaidons justement depuis longtemps pour la mise en place d’une instance d’évaluation indépendante de l’Éducation nationale !
Nous avons connu une succession de ministres qui ont cassé l’école, les acteurs de l’éducation comme les parents ont aujourd’hui une grande défiance envers l’Institution. En France, c’est un vrai problème puisque l’école n’est pas vue comme un service parmi d’autre, c’est la deuxième église, la matrice de la république… Il était donc évidemment nécessaire de rassurer tout le monde, au moins dans le discours et dans les thématiques. En même temps, une proposition comme celle contre laquelle nous nous battons en ce moment semble prouver le contraire.
Et tout cela au nom, d’abord, de la lutte contre la radicalisation alors que les écoles hors-contrat sont peu nombreuses et, parmi elle, les écoles confessionnelles le sont encore moins. Bref, n’est-ce pas une mesure qui concerne une minorité dans la minorité ?
En effet, les écoles confessionnelles (toutes religions confondues) représentent seulement 39 % des écoles hors-contrat et, à l’échelle du pays, l’enseignement libre représente quelques 65 000 élèves pour, en gros, un milliers d’écoles. Il est vrai que l’on assiste ces dernières années à une explosion des écoles libres (122 nouveaux établissements pour la seule année 2017!) mais elles restent vraiment minoritaires par rapport à l’enseignement public et à l’enseignement privé sous contrat.