La messe de Paul VI dans l’esprit de l’abbé Nadler ? (3/3)

Publié le 12 Oct 2023
Paul VI messe réforme communion nadler

La communion des Apôtres, Luca Giordano (XVIIe), Boston.

Prêtre de la communauté de l’Emmanuel dans le diocèse de Vannes, le Père Jean-Baptiste Nadler a publié en mai dernier son deuxième ouvrage sur la messe, L’esprit de la messe de Paul VI, chez Artège. Cyril Farret d’Astiès nous propose une analyse de cet ouvrage. Il a lui-même publié un essai intitulé Un heureux anniversaire ? : Essai sur les cinquante ans du missel de Paul VI en 2021 aux Presses de la Délivrance.
Retrouvez les deux premières parties de cet article sur notre site : La messe de Paul VI dans l’esprit de l’abbé Nadler ? (1/3) et La messe de Paul VI dans l’esprit de l’abbé Nadler ? (2/3)

 

La position du prêtre à l’autel. 

Nous ne pouvons que souscrire pleinement à l’appel de l’abbé Nadler à retrouver l’orientation de la célébration de la messe pour une raison essentielle qu’il évoque et que nous reproduisons à nouveau : le prêtre ne s’adresse pas à l’assemblée, mais à Dieu le Père. Et nous enfonçons le clou immédiatement en ajoutant que si la messe peut tout à fait se passer de la présence de fidèles pour produire ses fruits, elle ne peut pas se passer du prêtre. Nous n’avons donc rien à ajouter sur ce chapitre même si des arguments complémentaires pourraient être développés en appui de l’appel de l’auteur. 

Nous voudrions cependant apporter un bémol à son enthousiasme. L’abbé Nadler, comme d’autres, veut se persuader que la célébration orientée est la norme pour le rit de Paul VI. Rien de plus illusoire. Certes, Sacrosanctum concilium ne parle pas de la célébration face au peuple ; certes, la célébration orientée demeure possible ; certes les papes depuis Paul VI ont parfois (de bien rares fois) célébré ad orientem. Mais ce n’est absolument pas l’esprit ni la lettre du missel de Paul VI. La célébration face au peuple est tout à fait conforme et cohérente avec le besoin d’échange et de participation active de la réforme, d’une assemblée « célébrante » qui fait cercle. Il est curieux que l’abbé Nadler ne perçoive pas cette évidence.  

Pour tenter de revenir à une célébration orientée, un argument fondé sur les prescriptions que semble donner la Présentation générale du Missel romain (PGMR) est souvent avancé. À plusieurs reprises la PGMR indique que le prêtre se « tourne » vers les fidèles : « 146. Revenu ensuite au milieu de l’autel, le prêtre, en se tournant vers le peuple, (…). » ; « 154. Ensuite le prêtre, les mains étendues, dit à haute voix la prière (…) puis joint les mains et il dit, tourné vers le peuple (…). » ; « 157. Cette prière terminée (…) tourné vers le peuple, il dit : Ecce Agnus Dei, (…). » ; « 158. Ensuite, en se tournant vers l’autel, le prêtre dit à voix basse : Que le Corps du Christ me garde pour la vie éternelle (…) » ; « 185. (…) Lorsque le prêtre a donné la bénédiction, le diacre envoie le peuple en disant, les mains jointes et tourné vers lui : Ite, missa est.» Ce qu’indique plus probablement la PGMR c’est à qui s’adresse le prêtre (ou le diacre) et non pas l’orientation corporelle du célébrant. Dans chacun des exemples précités on pourrait remplacer « tourne » par « s’adresse » car les précisions apportées par la PGMR marquent à chaque fois un déplacement de l’attention du célébrant qui passe d’une prière adressée à Dieu (ou qui fait quelque chose à l’autel, comme le lavement des mains) à une formule adressée aux fidèles. Notons que la PGMR utilise le mot « tourner » et non « retourner ». Mais il y a davantage. La PGMR indique à plusieurs reprises que les fidèles doivent voir ce que fait le prêtre comme au n° 307 : « Les chandeliers (…) seront placés (…) de manière à réaliser un ensemble harmonieux, et sans que les fidèles soient gênés pour bien voir ce qui se fait à l´autel ou ce que l’on y dépose. » 

Un seul point en réalité spécifie clairement que la messe peut être célébrée orientée en raison des nécessités architecturales : « 277. (…) Si l´autel est placé contre le mur, le prêtre encense en passant d´abord le long du côté droit, puis du côté gauche. » Mais il s’agit en quelque sorte d’un « accident » lié à l’histoire de l’art puisque le n° 299 précise on ne peut plus clairement qu’il « convient, partout où c’est possible, que l’autel soit érigé à une distance du mur qui permette d´en faire aisément le tour et d´y célébrer face au peuple (…) » Et le n° 303 est encore plus directif qui demande que « dans les églises déjà construites, lorsque la situation de l’ancien autel rend difficile la participation du peuple et qu’on ne peut le déplacer sans porter atteinte à sa valeur artistique, on édifiera un autre autel fixe, bâti avec art et qui sera dédicacé ; et c’est seulement sur cet autel que s’accompliront les célébrations liturgiques. Pour éviter que l’attention des fidèles ne soit distraite du nouvel autel, on ne donnera pas à l’ancien d’ornementation particulière. » 

Un événement est particulièrement éclairant sur cette question. Dans son discours à la troisième conférence internationale Sacra Liturgia qui se tenait en Angleterre en 2016, le cardinal Sarah, alors préfet de la Congrégation pour le Culte Divin, évoquait une éventuelle réforme de la réforme et formulait une intention qui fit l’effet d’une bombe : « Je veux lancer un appel à tous les prêtres. (…) il est de première importance de retourner aussi vite que possible à une orientation commune des prêtres et des fidèles, tournés ensemble dans la même direction (…) Aussi, chers frères dans le sacerdoce, je vous demande de mettre en œuvre cette pratique partout où cela sera possible, (…) Chers frères dans le sacerdoce, prêtons l’oreille aux lamentations de Dieu proclamées par le prophète Jérémie : Car ils m’ont tourné le dos (Jr 2,27). Tournons-nous à nouveau vers le Seigneur ! »

Très rapidement et après avoir reçu le cardinal, le pape François par l’intermédiaire du directeur du Bureau de presse, faisait rectifier les propos prononcés par le préfet du Culte Divin en s’appuyant et citant le n° 299 de la PGMR : « Si le cardinal Sarah s’est toujours justement préoccupé de la dignité de la célébration de la messe (…) certaines de ses expressions ont toutefois été mal interprétées, comme si elles annonçaient de nouvelles indications différentes de celles données jusqu’à maintenant dans les normes liturgiques et dans la parole du pape sur la célébration face au peuple et sur le rite ordinaire de la messe. » 

Comment donc l’abbé Nadler peut-il écrire que la célébration ad orientem « est même considérée comme la position de référence » ou encore que « la célébration face au peuple (…) n’est qu’une permission (…) » ? Mystère. 

 

La concélébration. 

Sans grande surprise l’abbé Nadler défend et promeut la concélébration. Il estime qu’elle « fait grandir la vie communautaire des prêtres et, à partir d’elle, la dimension fraternelle de toute l’Église ». Il nous semble là encore, et sans mettre en doute la foi profonde de l’auteur et sa connaissance de la théologie de la messe et des sacrements, qu’est parfaitement démontrée la priorité communautaire et participative de tout la nouvelle liturgie qui supplante la finalité première et essentielle qui est cultuelle. Ce qui compte avant tout c’est la communauté rassemblée qui fait quelque chose ensemble.

La justification de la concélébration développée depuis Vatican II réside dans l’apparence de l’unité autour de l’évêque, puis entre confrères (ce qui masque la manifestation de la structure hiérarchique de l’Église au profit du seul lien d’égalité) sans aucune autre considération théologique dont l’époque se soucie d’ailleurs bien peu. Ainsi, c’est bien à un souci pastoral que l’on a cédé, ouvrant la porte à une multiplication illimitée de cette pratique. 

L’abbé présente comme seul argument opposé à la concélébration (pour le rejeter) la diminution du nombre d’horaires de messes. Cet argument pratique est en vérité très secondaire. Présentons quelques inconvénients majeurs à la concélébration : 

  • L’amenuisement de la compréhension du rôle du prêtre. En effet, au plus profond de la réalité sacramentelle de ce qui se déroule à l’autel, c’est bien le Christ lui-même qui le réalise, qui s’offre à son Père, c’est ce qui s’exprime par les paroles folles prononcées à la première personne : « ceci est mon corps… ». Le prêtre n’est, en quelque sorte, que le factotum, l’instrument animé du Souverain Prêtre.
  • Autre inconvénient le manque d’attention et de recueillement des concélébrants qui n’ont qu’une part restreinte et distante avec l’ensemble des rites de la messe. Plus encore dans les grands rassemblements.
  • On peut aussi indiquer que par la concélébration, la centralité est donnée à l’unité matérielle et immédiate du peuple de Dieu, ce qui est une réalité, mais au détriment de la réalité sacramentelle et du corps mystique que nous formons, bien au-delà de la célébration par ce sacramentum unitatis et que la concélébration voile malheureusement.
  • Enfin se pose naturellement la question des fruits et des grâces répandues par ce sacrifice, que l’abbé Nadler élude un peu vite selon nous. 

 

La communion : sommet de la participation. 

Le titre du chapitre choisi par l’abbé dit déjà beaucoup et nous retrouvons encore une fois la participation.  

L’abbé invite justement à retrouver la pratique d’une communion côte à côte à la table qui marque le seuil entre le sanctuaire et la nef. Il préconise également la communion sous les deux espèces, non sans reconnaître les difficultés pratiques qui sont la raison essentielle de son abandon en Occident mais en cherchant par tous les moyens à trouver la solution la moins hasardeuse possible. 

L’abbé Nadler rappelle une préconisation romaine de 2004 en faveur du maintien de l’usage du plateau de communion dont on ne voit vraiment plus l’usage à l’heure de la communion dans la main généralisée (et même obligatoire à l’époque du COVID). Communion dans la main que l’abbé n’aborde pas. Rappelons qu’elle fut extorquée de manière plus que malhonnête par les épiscopats profitant de la grande faiblesse de l’autorité romaine. Memoriale Domini publié en 1969, rappelait avec force et insistance la pratique traditionnelle, pour apporter immédiatement une dérogation à la règle prenant acte de la pratique généralisée. 

 

Le chant grégorien et le latin. 

L’abbé Nadler s’interroge en tête de ce chapitre ; l’un des plus grands mystères de l’application de Vatican II écrit-il en préambule, concerne le chant grégorien. En effet Vatican II rappelait que le grégorien est le « chant propre de la liturgie romaine ». 

Bien. Mais ceci étant écrit, il faut également rappeler que dans toute la PGMR (84 pages au format A4), on trouve une fois, une seule malheureuse fois mention du chant grégorien au n° 41. Jusqu’au n° 399 qui clôt la Présentation générale, on ne reparlera plus jamais du grégorien. Ce n’est en réalité pas très étonnant car le chant grégorien s’adapte mal à la nouvelle messe. Le grégorien c’est l’anti-choix, son exigence rebute l’homme moderne, tout comme son intériorité et son orientation. Sa technique vocale nécessite une exécution par un chœur dédié et cette spécificité va donc à l’encontre de l’esprit participatif ; pourtant, par son âme, le grégorien favorise la véritable participation, l’union intérieure de l’assemblée. Si la liturgie n’est pas orientée vers Dieu mais vers l’homme, il est malheureusement logique que le « chant propre » de l’Église n’y trouve plus sa place ; ni la « première », ni même un simple strapontin. 

Et il y a un lien avec le latin qui a été sacrifié. L’abbé Nadler ne défend le latin qu’à l’usage du grégorien. Il fait sienne la pensée désolante de Paul VI dans son fameux discours de 1969 quand il présentait la nouvelle messe : « (…) Et c’est là, bien sûr, que l’on constatera la plus grande nouveauté : celle de la langue. Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. (…) Il s’agit là d’un sacrifice très lourd. Et pourquoi ? Que peut-il y avoir de plus précieux que ces très hautes valeurs de notre Église ? La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce que humaine et apostolique. (…) Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui, qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane. (…) ». 

Voilà : plus de latin au nom de la participation. Donc plus de grégorien non plus, excepté dans quelques lieux privilégiés. On ne peut pas tout vouloir. Choisir c’est renoncer. 

 

Pour conclure cette présentation

Quand l’abbé Nadler en conclusion de son ouvrage estime que « l’un des éléments qui sera le plus déterminant pour mener à son terme la réforme liturgique conciliaire est l’orientation » on se pince un peu. La réforme conciliaire est totalement à l’œuvre depuis plus de cinquante ans à présent. Partout. Elle est totalement appliquée. Ce que ne semble pas saisir l’abbé Nadler c’est que l’effondrement que nous constatons en toute chose n’est pas due à une application partielle mais au contraire à une pleine et entière application. 

L’abbé Nadler estime également dans sa conclusion que deux écueils empêchent la réforme liturgique de porter ses fruits : « Premièrement en l’ignorant », c’est la posture des catholiques de tradition qui ne l’ignorent pas, la connaissent bien, mais effectivement ne la pratiquent pas. Deuxièmement, en « accommodant ses normes avec l’esprit du moment. » Mais l’esprit du moment c’est l’esprit de la réforme elle a été faite pour parler aux « homme de ce temps » dans la langue des « hommes d’aujourd’hui » c’est précisément Sacrosanctum concilium (n°4) qui le dit en expliquant le but de la réforme : réviser entièrement les rites « et qu’on leur rende une nouvelle vigueur en accord avec les circonstances et les nécessités d’aujourd’hui. »

Et la PGMR au n° 352 indique très clairement que « l’efficacité pastorale de la célébration sera certainement accrue si les textes des lectures, des prières et des chants correspondent bien, (…) à la mentalité des participants. C’est ce qu’on obtiendra au mieux si l’on profite des multiples possibilités de choix qui vont être énumérées ci-dessous. » 

L’incapacité volontaire ou involontaire à cerner l’édifice liturgique réformé et à tirer un bilan de ce demi-siècle d’application est réellement problématique car elle interdit tout diagnostic et donc tout remède. Il nous semble que deux raisons principales expliquent cette cécité : approche volontariste de la loi et compréhension maximaliste de l’autorité pontificale. Oubliant la relation intrinsèque entre bien commun et autorité, l’abbé Nadler, comme tant d’autres, est probablement paralysé par ce qu’il entrevoit pourtant et prend le parti d’un papisme qui ne nous semble pas fondamentalement juste.

Certains ont dit récemment dans une formule incompréhensible : je préfère avoir tort avec le pape que raison contre lui. Nous disons pour notre part que la décision de Paul VI, pour un motif pastoral escompté, de bouleverser totalement l’édifice liturgique n’était probablement pas légitime. Nous disons aussi que Traditionis custodes qui souhaite l’éradication de la liturgie traditionnelle est certainement un abus d’autorité. Disant cela nous n’en prions pas moins pour le pontife régnant et nous n’en chantons pas moins le credo. 

Puisque la réforme a été essentiellement voulue pour deux motifs majeurs qui sont la pleine efficacité pastorale (Sacrosanctum concilium n° 49) et la clarté des réalités saintes qui sont célébrées (Sacrosanctum concilium n° 21), est-il réellement outrageant de poser la question du résultat de cette réforme plus de cinquante ans après alors que la pratique s’est effondrée et que le peu qui reste ne sait plus à quoi il croit ? 

Il nous semble que l’abbé Nadler comme beaucoup d’autres, propose une vision personnelle et fantasmée de la messe de Paul VI. Dire que la messe qu’il propose n’existe pas serait trop dire. Elle existe, mais comme une anecdote non représentative, parmi tant d’autres interprétations d’un missel qui a été créé pour être interprété dans l’objectif illusoire que la participation qui en résulterait favoriserait la pratique et souderait les communautés. 

Il n’empêche que l’abbé Nadler et les catholiques observants ont soif d’une liturgie qui soit conforme à sa raison d’être. L’abbé Nadler propose avec son essai quelques pistes marquées d’une véritable piété liturgique. Nous en convenons tout à fait. Et nous faisons nôtres une partie de ses préconisations. Il nous semble en effet, même si ce n’est pas le plus important du point de vue de la théologie de la messe, que l’orientation de l’autel est probablement l’hameçon qui permettrait de remettre l’édifice liturgique à l’endroit (un important colloque du Centre international d’études liturgiques s’est tenu à Rome en début d’année sur ce sujet). Mais nous constatons aussi avec regret et tristesse combien les pages de l’abbé Nadler sont imprégnées de cette idée biaisée de priorité pastorale et participative.

Nous voudrions témoigner que c’est la primauté cultuelle de la liturgie traditionnelle qui, par surcroît, par conséquence, produisent les bons fruits pastoraux que nous constatons dans nos communautés traditionnelles. Nous voudrions donc l’inviter à découvrir ou redécouvrir l’immense patrimoine de la liturgie traditionnelle et les trésors qu’elle contient qui sont le bien commun de l’Église latine. 

Comme le disait un groupe de théologiens en 1969 : «  On est fondé à craindre que, ne mettant plus en évidence le Sacrifice de Jésus, l’ordo Missæ ne le voue en fait à l’oubli  ; car ce Sacrifice est une réalité trop surnaturelle pour que l’homme puisse, sans signe, s’en souvenir et en vivre. » [1]

 


[1] La pensée Catholique n°122, 1969.

 

 

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Cyril Farret d’Astiès

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