Plus tard, lorsqu’un professeur du lycée leur conseilla la lecture du Monde, l’infatigable combattant lui prêta Le Monde tel qu’il est du courageux Michel Legris qui paya son cri d’indignation de vingt ans de chômage alors que le correspondant du « quotidien de référence » qui avait salué la « libération » de Phnom Penh et trouvé « normale » la déportation de ses habitants était récompensé par un poste de correspondant à Washington… Il ajouta une citation de Theodor Haecker qu’il aimait particulièrement : « Il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher que les coquins commandent le monde, mais Dieu merci, il y a quelque chose dont je puis me défendre si faible que je sois, c’est qu’ils m’expliquent le monde : là je ne suis pas impuissant ».
L’explication du monde par les « coquins », les ignorants ou pire les demi-savants (les « primaires exaltés » comme il disait) ne concernait pas que l’Histoire ou la politique, le « Posthume » s’intéressait aussi aux sciences. Il datait de 1927, première synthèse de la mécanique quantique, une immense révolution qui aurait dû mettre fin au règne du matérialisme classique et du scientisme en montrant que la matière n’avait pas d’existence propre et que ces morceaux de matière minuscules et invisibles – par lesquels les matérialistes prétendaient expliquer l’univers depuis le XVIIIe?siècle – n’étaient que des abstractions mathématiques non locales et sans déterminisme. Hélas, le triomphe de la physique quantique qui est à la base de toute l’électronique n’a pas fait reculer d’un pouce, pour le grand public, l’obscurantisme matérialiste scientiste alors qu’il remet pourtant radicalement en cause la notion de matière et prouve que tout n’est qu’interférences… « À chaque découverte des merveilles de la Création, on devrait chanter un Te Deum » concluait invariablement l’infatigable lecteur.
Tout cela était très abstrait pour Antoine « V » et son bisaïeul constata vite qu’il était plus attiré par l’Histoire que par les sciences. Il lui suggéra « pour plus tard » un beau sujet d’étude que son grand âge ne lui permettait plus de mener à bien mais sur lequel il avait accumulé des notes : la destruction des cités cosmopolites au XXe siècle à travers les exemples de Smyrne, d’Alexandrie et de Constantinople (avec une conclusion sur Beyrouth). Comment ces villes brillantes (Smyrne était le « petit Paris »), prospères, paisibles (le Liban n’était-il pas « la Suisse du Proche-Orient » ?) avaient disparu, parfois dans un bain de sang effroyable (massacre de 99,2 % des hommes chrétiens de Smyrne âgés de 16 à 45 ans en septembre 1922), sans que l’Occident bouge et sans que l’on en tire le moindre enseignement notamment sur les risques d’une immigration incontrôlée.
À suivre…