La maison d’édition La Onzième Heure a été fondée en 2024 afin de rééditer les indispensables de la pensée catholique sociale. Leur premier ouvrage proposé en souscription était une réédition du Retour de Don Quichotte de Chesterton (1927). Entretien avec Jacques de Guillebon, son cofondateur.
| Une nouvelle maison d’édition voit le jour. Quelle est sa ligne éditoriale et qui l’incarne avec vous ?
La Onzième Heure, puisque c’est son nom, est née d’un désir qui nous habitait depuis longtemps, celui de faire revivre les grands auteurs « catholiques sociaux », pour simplifier.
C’est-à-dire ces hommes et femmes qui, depuis la Révolution française et la Révolution industrielle dont la concomitance a bouleversé l’humanité, notamment dans ses rapports sociaux, ont tenté au nom de leur foi, de l’évangile et de la tradition de l’Église, de penser les termes nouveaux de « l’enfer de l’histoire contemporaine » et surtout d’y porter remède. Dans le même sac et pêle-mêle, nous jetons donc des romanciers et des essayistes, des politiques et des clercs, des Français et des étrangers.
Le nous que j’évoque est, pour répondre à votre seconde question, composé de quatre personnes : Rémi Carlu, jeune journaliste et spécialiste de René de la Tour du Pin ; Nicolas Pinet, graphiste et directeur artistique ; Sylvain de Mullenheim, consultant dans un grand groupe français ; et enfin moi-même.
| Vous avez publié dans une version améliorée une traduction du Retour de Don Quichotte de Chesterton. Une manière de vous battre contre des moulins à vent ou un pas posé pour qu’advienne une autre société fondée sur la justice sociale ?
Il s’agit très certainement de la même chose : il n’y a pas de honte à se battre contre des moulins à vent, comme nous l’a enseigné Cervantès, et comme Chesterton nous l’a réappris dans ce magnifique livre, que nous avons en effet réédité en novembre dernier. Il n’y a pas de honte ni d’erreur, car souvent le méchant ne vaut guère plus à la fin qu’un moulin à vent, ou qu’un tigre de papier, comme disait le regrettable Mao.
Aujourd’hui, il lance des fusées dans l’espace et raconte des bobards sur les réseaux sociaux, mais ses jours sont comptés. La vérité, qui erre inconnue parmi les hommes (et qui nous a cependant été révélée), reste et triomphe à la fin.
Aussi, pour redescendre à notre modeste entreprise, nos tout petits moyens tendent en effet à participer à l’immense lutte pour la justice sociale que l’Église catholique mène depuis la venue du Christ : option préférentielle pour les pauvres, destination universelle des biens, condamnation de la richesse, libération de tous les esclavages, voilà des buts qui nous requièrent et vers lesquels Chesterton nous aide à tendre.
Nous ne pourrons pas ici ne pas signaler en passant combien la connaissance que nous avons de Chesterton doit au travail consciencieux et lumineux du directeur de L’Homme Nouveau, qui a été son grand réintroducteur en France.
| Le Retour de Don Quichotte est un roman politique et un roman d’amour où s’entrecroisent l’apologie de la chevalerie, dans son double versant des vertus guerrières et de l’amour galant, et la lutte contre le escroqueries modernes ancrées dans le culte de l’argent et du rendement à tout prix. Qu’est-ce qui vous séduit le plus dans ce Chesterton-là ?
Tout nous plaît dans ce merveilleux roman que nous avons demandé à Camille Dalmas, autre éminent spécialiste de Chesterton, de préfacer et dont il a révisé la traduction qui datait de 1927.
Que montre l’écrivain anglais ? Que le merveilleux, le féerique sont présents, si on veut bien les chercher, autour de nous, mais qu’ils doivent tout à la Révélation, et que leur présence est un rappel de ce que ce sont les pauvres et les faibles que Jésus est venu sauver. Que la grâce du Salut éternel, pour tous et par Lui seul, a des répercussions immédiates dans notre nature humaine et donc dans notre civilisation.
| Mettant vos idées en pratique, vous osez l’aventure d’un financement autrement pour cette nouvelle maison d’édition et ce premier livre. Est-ce un moyen d’incarner le distributisme cher à Chesterton ? Et, surtout, comment est-ce que cela marche exactement ?
Bien entendu, nous cherchons à être à la hauteur des idées que nous reprenons et, nains sur des épaules de géants, nous mettons cela en oeuvre dans nos vies : ainsi, La Onzième Heure qui n’est pour le moment qu’une association, a vocation à devenir une entreprise coopérative, où le capital ne sera détenu que par les travailleurs, et dont la vocation sera aussi sociale. Ainsi, il est stipulé que dix pour cent de nos éventuels bénéfices doivent aller à une association caritative.
Et le fonctionnement actuel est le suivant, puisque nous nous sommes élancés dans cette aventure sans un sou : après une petite levée de dons en partenariat avec Credofunding, nous vendons nos ouvrages par souscription sur le site Tipeee et ne les imprimons qu’une fois qu’un certain nombre a été vendu. Ce qui nous permet de fonctionner sans apport de capital extérieur.
| Le premier coup de la Onzième heure a donc sonné. Quels seront les prochains ?
Après Le Retour de Don Quichotte (toujours disponible sur notre site), nous avons lancé la souscription des Prophètes du passé, de Barbey d’Aurevilly. Le grand « connétable des lettres » y décrit à travers quatre portraits de contre-révolutionnaires la grande catastrophe de la Révolution française et les moyens de s’en sortir. Sa langue est somptueuse et ses idées baroques. Sautez sur ce livre, immédiatement !
| Si vous êtes réglé sur la Onzième heure, vous aimez aussi les Premières nouvelles. Un mot sur cette autre aventure éditoriale ?
Merci de le signaler. Première nouvelle est un média d’un genre nouveau que j’ai lancé, une newsletter que l’on peut trouve sur la plateforme Substack.
Là encore, c’est un essai d’échapper à l’argent, au capital et à tout ce qui abâtardit la presse pour tenter de la changer en valet des puissants. Quelques expériences passées m’ont appris qu’il ne fallait en la matière, si on veut demeurer libre de chercher la vérité, et assez proche de la vérité pour devenir libre, avoir aucun maître humain, et certainement pas l’argent ou l’esprit de parti. Péguy avait déjà dit tout ça, on aurait dû mieux le lire.
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