L’autre Action française de Gérard Leclerc

Publié le 23 Jan 2025
autre Action française

Nous avons déjà signalé dans L’Homme Nouveau le très intéressant travail mené par les éditions de Flore, à travers la publication d’ouvrages de taille modeste mais souvent de grand intérêt politique, philosophique, historique ou littéraire. S’inscrivant dans la tradition intellectuelle et politique de l’Action française, pratiquant des prix de vente (très) abordables (10 € le volume), ces éditions proposent des rééditions, accompagnées d’introductions et de préfaces originales ainsi que des véritables nouveautés.

C’est dans ce dernier cadre que s’inscrit Une autre Action française de Gérard Leclerc. Fort de plus de 250 pages, ce livre constitue, en fait, un recueil d’articles principalement publiés dans La Nouvelle Revue Universelle et offre un retour en arrière sur l’itinéraire politique de l’auteur, l’héritage intellectuel de l’Action française, principalement après guerre, avec les figures de Pierre Boutang, de Pierre Debray et, dans une moindre mesure, de Gustave Thibon, lesquelles ont marqué fortement la pensée du jeune Gérard Leclerc.

Celui-ci n’esquive pas certaines difficultés liées à l’Action française comme la condamnation papale de 1926 ni les dissensions internes et ruptures qu’a traversées ce mouvement politique.

Confidences et réflexions

Le ton du livre relève essentiellement de celui du souvenir, presque de forme orale, mêlant confidences et réflexions. Du fait qu’il s’agit d’un ensemble d’articles publiés à différentes occasions, les redites sont nombreuses et le lecteur se prend parfois à regretter que le travail éditorial ne les ait pas gommées pour proposer un ouvrage plus construit. Visiblement, l’auteur ne l’a pas souhaité, n’intervenant quasiment pas dans les nombreuses notes que contient l’ouvrage et qui se veulent une aide à sa compréhension.

Autre Maurras bandeau action françaiseUne autre Action française renvoie bien évidemment, comme le signale Frédéric Rouvillois dans sa préface, à un livre beaucoup plus ancien de Gérard Leclerc. En 1974, alors qu’une partie des adhérents de la Restauration nationale (le mouvement politique qui poursuit alors l’Action française) a quitté bruyamment la vieille maison pour fonder une Nouvelle Action Française (NAF), le jeune Gérard Leclerc publie un essai intitulé Un autre Maurras. Il s’agit à la fois de faire le point sur l’apport de Maurras et de le dépoussiérer au lendemain des changements liés à mai 1968 afin de lui rendre tout son sens révolutionnaire.

Les jeunes gens de la NAF y gagnent l’appellation de « mao-maurrassiens » tant finalement ils se sentent proches des questions et des aspirations des jeunes gauchistes de leur âge, même s’ils récusent l’étiquette-accusation. Si Gérard Leclerc conclut son Autre Maurras en qualifiant celui-ci de « révolutionnaire positif», il évoque, le concernant personnellement,  sa propre « entreprise politique révolutionnaire ».

Où en est Leclerc par rapport à Maurras ?

En ouvrant Une autre Action française, je pensais trouver un bilan de cette « entreprise politique révolutionnaire » et d’abord apprendre clairement comment Gérard Leclerc se situe aujourd’hui par rapport à Maurras et à l’Action française. Deux raisons principales m’y poussaient.

D’abord Gérard Leclerc est une figure intellectuelle du monde catholique. Auteur de nombreux ouvrages, il est chroniqueur à Radio Notre-Dame et éditorialiste à France catholique. Son travail et son œuvre méritent une vraie attention.

En même temps, je ne cache pas mon interrogation fraternelle sur le fait de le savoir éditorialiste d’un hebdomadaire appartenant au groupe Bolloré alors qu’il fut un critique consciencieux, et parfois visionnaire, du libéralisme au temps des débuts de la NAF ; laquelle NAF s’en prenait à l’époque à Hersant et à son groupe de presse, dans des termes très durs, moindres cependant que ceux utilisés aujourd’hui contre le groupe Bolloré. Depuis, il est vrai que la NAR a vu plusieurs de ses membres dont l’un de ses principaux fondateurs, Bertrand Renouvin, être intégrés complètement au système et la NAR s’inscrire dans la perspective démocratique.

L’autre raison, plus personnelle, tient au fait que j’ai beaucoup lu Gérard Leclerc, non seulement son Autre Maurras qui m’avait passionné étant adolescent par son ambition de renouveau intellectuel, mais aussi son Bernanos ou encore ses chroniques d’idées dans Royaliste. Il y montrait une ouverture d’esprit assez rare, une capacité de dialogue intellectuel par-delà les chapelles, un a priori sympathique envers tout ce qui peut nourrir l’intelligence du réel. Par la suite, je confesse avoir été moins convaincu par ses ouvrages portant plus strictement sur l’Église.

Ces raisons concomitantes m’ont donc conduit à lire son dernier opus, reçu très tardivement après sa parution. Si Leclerc fait montre d’un véritable esprit de piété naturelle, principalement à l’égard de Boutang et de Debray, il n’apporte aucunement de réponses à mon interrogation initiale.

logo couleur a30c0 action françaiseEn transformant la Nouvelle Action Française en Nouvelle Action Royaliste en 1978, les dirigeants de ce mouvement avaient voulu rompre avec l’héritage de l’Action française et principalement avec Maurras. En 2024, l’un d’eux est revenu sur Maurras et l’Action française et il faudrait beaucoup de perspicacité au lecteur ignorant son parcours pour savoir en quoi exactement il ne se reconnaît plus en Maurras et avec une certaine idée de l’Action française. En quoi et jusqu’où l’éditorialiste de France catholique est-il donc maurrassien aujourd’hui ? La question demeure.

Qu’est-ce que l’Action française exactement ?

Cette absence de réponse évidente en entraîne une autre : qu’est-ce que l’Action française exactement ? Présentée injustement comme un épouvantail par ses adversaires, elle apparaît, à lire Gérard Leclerc, essentiellement comme un mouvement politique royaliste et une école de pensée.

C’est à ce dernier aspect qu’il s’intéresse surtout. À aucun moment, par exemple, la question de la prise du pouvoir (à part l’éloge répété du livre de Boutang, Reprendre le pouvoir) n’est évoquée une seule fois comme si l’Action française n’avait été au fond qu’un cénacle d’érudits, entretenant la flamme du retour à la monarchie sans jamais déterminer comment celle-ci pourrait advenir dans les circonstances présentes.

large.webp action françaiseIl y a là comme une sorte de confirmation indirecte de la récente thèse d’Anne-Catherine Schmidt-Trimborn, La Ligue d’Action française (1905-1936), dans laquelle elle montre que celle-ci a évolué, après la Première Guerre mondiale, de l’activisme au conservatisme. Plus qu’une réelle volonté de changer de régime, l’Action française a surtout exercé un magistère intellectuel qui fut, paradoxalement, l’occasion de sa perte.

Inquiet de cette influence, Pie XI décida, en 1926, de la briser en la condamnant. La levée de la condamnation par Pie XII, en 1939, arriva trop tard pour changer vraiment le cours des choses.

Une critique de la « partitocratie »

Avec justesse, Leclerc note que la critique de la démocratie par Maurras est essentiellement une mise en cause de la partitocratie qu’il estime en partie levée par la Ve République. Mais à aucun moment, l’auteur n’aborde la question de l’origine du pouvoir qui ne devrait pas laisser indifférent un catholique. L’apport de Maurras lui semble surtout d’avoir repensé entièrement le royalisme après l’échec du Ralliement de Léon XIII, le dégageant de son assise religieuse et lui apportant un fondement rationnel et séculier en recourant à Auguste Comte.

On reste un peu surpris par la présentation par Leclerc de cette transformation. À le lire, Maurras aurait instrumentalisé Comte, comme si cette « instrumentalisation » n’avait eu aucun effet sur la pensée même de Maurras.

L’honnêteté foncière de Gérard Leclerc le conduit toutefois à tempérer son propos en écrivant que « Si Maurras reste cependant attaché à Auguste Comte, c’est qu’à ses yeux, la société française, saccagée par les destructions révolutionnaires, peut trouver dans le positivisme les principes rationnels permettant de la restaurer. » Aurait-il pu les trouver ailleurs ? Existent-ils ailleurs ? Le catholique Leclerc ne semble pas se poser la question.

La réponse de Maurras
195910 Pierre Boutang action française

Pierre Boutang

Indirectement, Maurras y a, pourtant, répondu lui-même. On pourrait citer sa belle lettre à Pierre Boutang où ces principes apparaissent, en quelque sorte, en creux :

« Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies – où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté, et, par-delà tous les espaces, la papauté. »

Ils sont, toujours en creux, dans le conseil donné, semble-t-il à la fois à Jean Madiran et à Jean Ousset : « si vous êtes catholiques, ne le soyez pas à moitié. » Ils sont encore là dans l’hommage de Maurras à l’édifice thomiste que l’on trouve dans sa lettre-préface à La Philosophie politique de saint Thomas de Jean-Louis Lagor qui deviendra plus tard Jean Madiran.

Madiran et Ousset ? Ils sont généralement les grands absents quand on évoque l’héritage de l’Action française. Pour sa part, Gérard Leclerc cite deux fois Madiran et jamais Ousset, mais on peut imaginer que c’est parce que ni l’un ni l’autre n’ont compté dans sa formation.

Madiran, un militant ?

L’auteur des notes du livre (qui n’est pas Gérard Leclerc) présente Jean Madiran comme « un jeune militant» d’Action française qui a rompu des lances avec Pierre Debray sur le « politique d’abord » et qui est revenu ensuite à Maurras « en réactivant la théorie (maurrassienne) des quatre états confédérés».

Pour le moins, c’est un peu court. Plus qu’un « jeune militant », le futur Jean Madiran écrivit notamment dans L’Étudiant français, dans La Nouvelle Revue universelle et dans L’Action française, y compris en première page. Dans sa célèbre rubrique « La Politique », Charles Maurras le salue à plusieurs reprises. Il n’hésitera pas, selon l’historien Yves Chiron, a le nommer, ainsi qu’Ousset, comme « un des continuateurs possibles » de son œuvre. (Yves Chiron, La vie de Maurras, réédition Godefroy de Bouillon, 1999, p. 437).

En fait, la séparation entre Maurras et Madiran interviendra après la guerre, non sur le « politique d’abord » mais sur la question de l’épuration, Madiran étant alors l’éditorialiste de l’hebdomadaire maurrassien L’Indépendance française, dans lequel il se solidarisait avec toutes les victimes de la répression. On lira à ce sujet ce qu’en écrit Yves Chiron dans sa récente biographie de Jean Madiran (notamment les pages 80 à 86) ainsi que la longue lettre du 12 avril 1948, adressée par Maurras au futur Madiran (Lettres de prisons, Flammarion, 1958, p. 112 à 116 mais aussi la lettre à sa nièce du 30 octobre 1948 où il dresse l’éloge du futur Madiran).

Plus globalement, Madiran n’a pas eu à revenir à Maurras car il ne l’a jamais quitté, entretenant avec sa pensée et son œuvre un dialogue critique constant qui est loin de se limiter à une réactivation de la théorie des quatre états confédérés.

En 1968, Madiran consacre, par exemple, un numéro entier d’Itinéraires au centenaire de la naissance de Maurras. Deux ans auparavant, il a publié Pius Maurras, l’un des plus beaux textes d’hommage adressé à travers le temps à l’auteur de La démocratie religieuse, livre réédité en 1978 avec un « avis au lecteur » de Jean Madiran.

9782723311274 1 75 action françaiseEn 1956, il avait certes confié à Marcel Clément une enquête sur le nationalisme dans la revue Itinéraires parce qu’ils avaient pris au sérieux une condamnation explicite du nationalisme par Pie XII. Tant Madiran que Clément cherchaient alors à déterminer si cette condamnation recouvrait le nationalisme français d’origine barrésienne et maurrassienne. Ils interrogèrent des intellectuels et des politiques et se tournèrent vers les responsables de l’Action française qui refusèrent alors d’y participer. 

Pour sa part, en avril 1986, dans le numéro 302 d’Itinéraires, Madiran opère un changement de cap, en se réappropriant le terme de « nationalisme » tout en restant en partie critique de la formule du « politique d’abord » comme il l’explique dans son Maurras (NEL, 1992). Outre cet ouvrage, Madiran reviendra encore sur le maître de l’Action française dans Maurras toujours là (Consep, 2004). Livres à propos desquels on reste étonné, vu du dehors, que les réflexions qu’ils contiennent ne soient jamais prises en compte par ceux qui, de l’intérieur de l’Action française, postulent une nécessaire adaptation de la pensée maurrassienne.

Une réflexion laissée sur le chemin

Gérard Leclerc, lui-même, n’échappe pas à ce travers. À la mort de Madiran, il lui consacre un article dans France catholique. Pas un mot sur son rapport à Maurras et sur la compréhension-adaptation de son œuvre mais une réflexion assez basique sur l’antijudaïsme catholique. Le catholique Leclerc ne semble pas intéressé par la réflexion du catholique Madiran sur l’œuvre de Maurras, ne serait-ce que pour la critiquer ?

Ce n’est pas un reproche, tant il est vrai qu’il est impossible à un seul homme de tout aborder. C’est plutôt un étonnement qui me semble aussi être un indice de nos mœurs intellectuelles. Pourtant, dès 1951, Henri Massis, dans le tome II de Maurras et notre temps insiste sur l’apport catholique au maurrassisme opéré par le futur Madiran et la réaction de Maurras à cet effort (p. 183 à 186).

À juste titre, on rétorquera qu’il ne s’agit nullement là du sujet d’Une autre Action française, davantage recueil d’articles que livre-bilan sur des années de militantisme et de réflexion à l’ombre de l’Action française. Donc acte !

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Pierre Debray. © Lallementwiki, CC BY-SA 4.0

On saura donc gré à Gérard Leclerc d’avoir remis en avant la figure de Pierre Debray, même si le personnage est certainement plus complexe que ce qui s’en dégage à la lecture de l’ouvrage. Son caractère particulièrement trempé, sa personnalité, capable d’emportements, étaient loin de susciter l’unanimité, y compris auprès des maurrassiens les plus fervents. En revanche, c’était un devoir de justice de relever toute sa réflexion sur la bureau-technocratie ou encore ses réflexions pour l’an 2000. Pour l’avoir lu à l’époque dans le mensuel Je suis Français, j’en garde un souvenir particulièrement vif. 

Ce devoir de justice, il conviendrait d’ailleurs de l’étendre à Louis Daménie (1911-1972), fondateur de L’Ordre français, qui avait œuvré à la restauration de l’intelligence politique en puisant aux sources conjuguées du catholicisme et de Maurras, tout en intégrant notamment le grand travail d’Augustin Cochin, bien avant que François Furet s’en empare. Mais ceci, comme disait Kipling, est une autre histoire…

 


Gérard Leclerc, Une autre Action française, éditions de Flore, 273 pages, 10 €.

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>> à lire également : Notre quinzaine : Arius toujours vivant !

 

Philippe Maxence

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