La pause liturgie | Alleuia Dominus regnavit (3e dimanche ordinaire, 3e dimanche après l’Épiphanie)

Publié le 22 Jan 2022
La pause liturgie | Alleuia Dominus regnavit (3e dimanche ordinaire

Traduction : Alléluia ! Le Seigneur est roi, que la terre exulte, que la multitude des îles se réjouisse. Alléluia !
(
Psaume 96, 1)

Thème spirituel

Il y a trois alléluias Dóminus regnávit : celui de la messe de l’aurore, à Noël ; celui du dimanche qui suit la fête de l’Ascension, au Temps Pascal, et celui-ci. On pourrait les appeler les alléluias du règne de Dieu.

Le premier chante la beauté et la force de ce règne :

« Dóminus regnávit decórem índuit ; índuit Dóminus fortitúdinem et præcínxit se virtúte. » (Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de beauté ; le Seigneur s’est revêtu de force, il s’est entouré de puissance.) (Psaume 92, 1)

Le second chante l’universalité et la transcendance de ce règne :

« Regnávit Dóminus super omnes gentes ; Deus sedet super sedem sanctam suam. » (Le Seigneur a régné sur toutes les Nations ; Dieu siège sur son trône sacré.) (Psaume 46, 9)

Et notre alléluia célèbre quant à lui la joie, l’allégresse de ce règne :

« Dóminus regnávit exsúltet terra ; læténtur ínsulæ multæ. » (Le Seigneur est roi, que la terre exulte, que la multitude des îles se réjouisse) (Psaume 96, 1)

Ces trois alléluias empruntent leur texte au Psautier. Ils s’appliquent tout naturellement au Christ qui accomplit les prophéties en sa personne. Le Christ est Roi et la liturgie ancienne en témoigne abondamment, bien avant même l’institution récente de la fête du Christ-Roi. Noël, l’Épiphanie, Pâques, l’Ascension, comme aussi la Transfiguration, sont autant de fêtes de la royauté du Seigneur Jésus. Il est Roi, il règne au ciel, dans le royaume de son Père, mais en s’incarnant, il a fait également de la terre son royaume. L’Église qu’il a fondée, est son royaume, le règne qu’il est venu instituer, règne universel et définitif, « règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce, règne de justice, d’amour et de paix », comme le chante la belle préface du Christ-Roi.

Notre alléluia ajoute une note à cette énumération des qualités du royaume de Dieu, c’est-à-dire de l’Église, et cette note est la joie. Quelle autre société chante comme le fait l’Église ? Le chant n’est pas pour elle un plaisir qu’elle prend ou qu’elle donne à ses heures, ni même un devoir toujours prescrit et fidèlement accompli, mais un besoin car il est l’expression de son amour. On a toujours chanté dans l’Église et l’on chantera toujours, par amour. Telle est la joie de l’Église qui la fait chanter à toute heure du jour et de la nuit dans la liturgie, et qui lui vient directement du cœur du Christ. Elle est belle,notre joie chrétienne, elle est féconde, c’est elle qui nous sauvera de la tristesse et de la laideur de ce monde qui passe. C’est cette joie du Christ qui nous sauve et nous habite, pour que nous la portions, par notre chant, jusqu’aux confins de la terre, et jusqu’aux îles lointaines que mentionne notre alléluia, dans le grand mystère de la communion des saints.

Commentaire musical

L’alléluia Dóminus regnávit utilise une des mélodies types les plus fréquentes dans le répertoire grégorien. On la retrouve au premier dimanche de l’Avent, à la messe de minuit de Noël, à l’Ascension. Empruntée au 8ème mode, le mode de la plénitude, elle se revêt pourtant d’une exquise douceur qui transparaît partout, comme on va le voir. Deux longues phrases constituent le corps de cet alléluia au jubilus plutôt bref, mais très expressif, à lui seul, de l’atmosphère spirituelle de toute la pièce.

L’intonation part de la sous-tonique Fa, et par degrés conjoints, s’élève avec légèreté jusqu’à la dominante Do, autour de laquelle la mélodie module très harmonieusement, soit au-dessus du Do (on entend une seule fois le Ré) soit en dessous, grâce au Si naturel ou au La. Un bel élan traverse cette montée légère et intense, à mesure qu’elle nous porte vers l’accent du mot alléluia, lequel est pris avec douceur et netteté. La retombée du mot, sur la syllabe finale, est très gracieuse, notamment avec son premier mouvement ternaire qui précède les deux notes longues binaires, très bien posées, très fermes, amenant la première cadence en Sol de la pièce. La suite du jubilus alterne très heureusement les élans et les retombées, alliant la grâce et la fermeté, le tout dans une atmosphère très lumineuse. La cadence finale, très fréquente en 8ème mode (c’est notamment la finale de l’alléluia de la vigile pascale) est très appuyée, très rythmée, et elle demande une chaleur vocale qui doit être bien maintenue jusqu’au bout.

Le verset se déploie lui aussi dans la belle luminosité du mode de Sol. Il convient de bien lancer le mouvement dès l’attaque sur le Do de Dóminus, puis de l’amplifier un peu sur la montée de l’accent de regnávit dont le double Ré est bien appuyé. La finale de ce verbe qui exprime la royauté du Christ est très souple et très liée, elle s’achève sur une cadence provisoire en Si naturel. Le verbe exsúltet est heureusement mis en valeur avec un accent chaleureux qui constitue le premier sommet mélodique de la pièce. La descente qui suit, affectant la syllabe finale, doit être prise d’abord piano, puis se renforce par un léger crescendo qui permet d’aller cueillir la bivirga épisématique très ferme de terra. La formule type qui ,enveloppe la retombée mélodique de terra est extraordinaire de douceur. Son merveilleux balancement rythmique doit s’accompagner d’un decrescendo expressif qui permet de déposer tout en douceur la cadence en Sol qui conclut cette première phrase.

La seconde phrase contient elle aussi une formule type qui se déploie avec un rare bonheur sur le deuxième verbe qui exprime la joie : læténtur. Quelle admirable formule, si longue, si contemplative, si bien déroulée, sans aucune coupure et sans aucun martèlement de notes, dans le plus absolu legato ! C’est vraiment du grand art. Les crescendos et decrescendos s’enchaînent subtilement, donnant à cette vocalise beaucoup de vie, de chaleur. Les Sib qui se rencontrent tout au long de la formule mélodique, contribuent pour leur part à lui donner une douceur remarquable. Le verbe læténtur traduit normalement une exultation plutôt sensible et manifeste, mais ici, il s’agit vraiment d’une joie parfaitement maîtrisée. C’est le triomphe de la paix rayonnante, sans qu’aucun éclat vienne déflorer la beauté de ce sentiment très pur né dans les cœurs de la foi en la royauté du Seigneur. Le sommet de cette deuxième phrase se situe au beau milieu de la vocalise et il est très bien amené par le crescendo de la tristropha qui le précède, en sorte qu’on le cueille avec douceur et largeur. Le deuxième membre de phrase nous offre une dernière formule type, très heureuse également, sur ínsulæ multæ, très liée toujours, très souple, mais peut-être plus vive et plus élancée que la précédente qui brillait surtout par sa valeur contemplative. Ici, on sent une nette et continuelle progression vers l’ultime double Do de la pièce qui arrive juste avant la cadence finale. Un crescendo doit donc accompagner cette formule d’un bout à l’autre. À l’inverse de la précédente, son sommet ne se situe pas au milieu mais à la fin. Cela se sent : elle est davantage en tension vers cette fin, sans qu’aucun relâchement ne se fasse sentir : c’est la plénitude de la joie des îles, c’est-à-dire des régions les plus éloignées qui s’exprime ici pour traduire l’universalité du règne de Dieu.

Cet alléluia est une merveille et il est très typique de l’art grégorien, capable d’exprimer des sentiments forts dans une parfaite maîtrise de sa ligne mélodique. La joie est grande durant le chant de cette pièce, mais elle est calme et paisible, souveraine comme le royaume qu’elle chante. On devine qu’elle évoque alors la joie de l’éternité que jamais rien ne pourra plus atteindre.

Vous pouvez écouter cet Alleluia ici.

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