La richesse des homélies de Carême

Publié le 25 Fév 2016
La richesse des homélies de Carême L'Homme Nouveau

L’Église romaine qui, depuis le Ve siècle environ, lisait l’Écriture à l’office de nuit, introduisit au XVIe siècle, pour les féries dotées d’un évangile propre, l’extrait d’une homélie d’un docteur de l’Église. En Ca­rême, ces homélies remplacèrent la lecture suivie du Pentateuque.
Ces prochains jours on lira, dans les deux formes, deux évangiles sur la conversion : le fils prodigue (samedi 27 fév. [f. extra.] et dim. 6 mars [f. ord.]) et la femme adultère (sam. 5 mars et dim. 13). Voyons ce que nous enseignent les Pères sur ces passages célèbres.
Le fils prodigue (Lc 15, 11-32). « En demandant sa part, affirme saint Ambroise (Comm. sur l’Év. de saint Luc), le jeune homme se jugeait capable de la gérer. » L’évangile dit alors que le fils partit « pour un pays lointain ». Et notre commentateur ne voit pas de « pire éloignement que de s’éloigner de soi-même (…) et d’être en divorce avec les saints par la barrière brûlante de la luxure mondaine ». Puis l’évêque de Milan explique ainsi le manque : « C’est après avoir déserté la maison paternelle qu’il commença à manquer. »

Tous des fils indignes

Le fils dilapide ensuite ses biens : « On a bien raison de dire qu’il a dissipé son patrimoi­ne, celui qui s’est éloigné de l’Église. » Pour autant, Ambroise ne considère pas ce fils comme une exception : « nous aussi, nous avons vécu dans une région lointaine, comme l’enseigne Isaïe : “Pour ceux qui demeuraient dans la région de l’ombre de la mort, une lumière s’est levée” (Is 9, 1) ». Le fils eut faim, car « celui qui s’écarte de la Parole de Dieu est affamé », puis revient à lui, car « revenir au Seigneur, c’est se retrouver et qui s’éloigne du Christ se renie ».
« Je me lèverai, et j’irai vers mon Père. » « Le Christ a choisi ceux qui sont debout, commente Ambroise. Debout donc, courez à l’Église : là est le Père, là est le Fils, là est l’Esprit Saint. À votre rencontre vient Celui qui vous entend converser dans le secret de votre âme ; et quand vous êtes encore loin, Il vous voit et accourt. (…) Il accourt, pour que nul ne vous retarde ; Il embrasse aussi. (…) Le Christ se jette à votre cou, pour dégager votre nuque du joug de l’esclavage et suspendre à votre cou son joug suave. (…) Telle est la manière dont Il vous étreint, si vous vous convertissez. »
La femme adultère (Jn 8, 1-11). Saint Augustin, dans son Traité 33 sur saint Jean, voit dans cet épisode la « mansuétude admirable » du Seigneur. Interrogé par les scribes et pharisiens, Jésus ne leur dit pas de ne pas lapider la pécheresse « pour n’avoir pas l’air de parler contre la loi », ni non plus de la lapider, mais : « Que celui qui n’a pas péché lan-ce la premiè-re pier­re ». « Comme il les remettait bien à leur place ! Au dehors, ils portaient contre une femme une accusation passionnée et ils ne rentraient pas au-dedans d’eux-mêmes pour y scruter l’état de leur âme. » Et la leçon doit porter jusqu’à nous : « Que chacun d’entre nous se considère lui-même, qu’il rentre au-dedans de lui ! ». « Va, et ne pèche plus » : Jésus « a condamné, le péché, et non le pécheur ». Et tout en admirant la miséricorde de Dieu, Augustin met en garde : « Ceux qui aiment le Seigneur doivent se souvenir de sa mansuétude, sans oublier de craindre son immuable vérité ».
« Puissiez-vous aujourd’hui entendre la voix du Seigneur :
“N’endurcissez pas votre cœur !”» (Ps 94, 7-8). Ce verset du psaume invitatoire des matines, choisi comme antienne pour la fin du Carême, ne nous invite-t-il pas à nous attendrir devant la parole et l’exemple de Jésus, en cette année où le Pape nous invite à être miséricordieux comme le Père ?

L’homélie de saint Ambroise (Traité sur l’évangile de Luc, Livre VII, n° 212-243)

La parabole du fils prodigue

N’ayons pas peur si nous avons gaspillé en plaisirs terrestres le patrimoine de dignité spirituelle que nous avions reçu ; car le Père a remis au Fils le trésor qu’il avait, la fortune de la foi ne s’épuise jamais. Aurait-on tout donné, on possède tout, n’ayant pas perdu ce que l’on a donné. Et ne redoutez pas qu’il ne vous accueille pas : car « Dieu ne prend pas plaisir à la perte des vivants » (Sag., I, 13). Voici qu’il vient à votre rencontre : Il se penchera sur votre cou — car « le Seigneur redresse ceux qui sont brisés » (Ps. 145, 8) — Il vous donnera le baiser, qui est gage de tendresse et d’amour, Il vous fera donner robe, anneau, chaussures. Vous en êtes encore à craindre un affront, Il vous rend votre dignité ; vous redoutez un supplice,

Il vous donne un baiser ; vous craignez des reproches, Il apprête un festin . Mais il est temps d’expliquer la parabole même. . « Un homme avait deux fils ; et le plus jeune lui dit : donnez-moi ma part de fortune. »

Vous voyez que le patrimoine divin se donne à ceux qui demandent. Et ne croyez pas que le père soit en faute pour avoir donné au plus jeune : il n’y a pas de bas âge pour le Royaume de Dieu, et la foi ne sent pas le poids des ans. En tout cas celui qui a demandé s’est jugé capable ; et plût à Dieu qu’il ne se fût pas éloigné de son père ! il n’aurait pas éprouvé les inconvénients de son âge. Mais une fois parti à l’étranger — c’est donc justice que l’on gaspille son patrimoine quand on s’est éloigné de l’Église — après, dit-Il, qu’ayant quitté la maison paternelle il fut parti à l’étranger, dans un pays lointain… . Qu’y a-t-il de plus éloigné que de se quitter soi-même, que d’être séparé non par les espaces, mais par les mœurs, de différer par les goûts, non par les pays, et les excès du monde interposant leurs flots, d’être distant par la conduite ? Car quiconque se sépare du Christ s’exile de la patrie, est citoyen du monde. Mais nous autres « nous ne sommes pas étrangers et de passage, mais nous sommes citoyens du sanctuaire, et de la maison de Dieu » (Éphés., II, 19) ; car « éloignés que nous étions, nous avons été rapprochés dans le sang du Christ » (Ib., 13). Ne soyons pas malveillants envers ceux qui reviennent du pays lointain, puisque nous avons été, nous aussi, en pays lointain, comme l’enseigne Isaïe ; vous lisez : « Pour ceux qui résidaient au pays de l’ombre mortelle, la lumière s’est levée » (Is., IX, 2). Le pays lointain est donc celui de l’ombre mortelle ; mais nous, qui avons pour souffle de notre visage le Seigneur Christ (Lam., IV, 20), nous vivons à l’ombre du Christ ; et c’est pourquoi l’Église dit : « J’ai désiré son ombre, et je m’y suis assise » (Cant., II, 3). — Donc celui-là, vivant dans la débauche, a gaspillé tous les ornements de sa nature : alors vous qui avez reçu l’image de Dieu, qui portez sa ressemblance, gardez-vous de la détruire par une difformité déraisonnable. Vous êtes l’ouvrage de Dieu ; ne dites pas au bois : « Mon père, c’est toi » (Jér., II, 27) ; ne prenez pas la ressemblance du bois, puisqu’il est écrit : « Que ceux qui font les (idoles) leur deviennent semblables » (Ps. 113, 2, 8) !

« Il survint une famine en cette contrée » : famine non des aliments, mais des bonnes œuvres et des vertus. Est-il jeûnes plus lamentables ? En effet, qui s’écarte de la parole de Dieu est affamé, puisque « l’on ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu » (Lc, IV, 4). S’écartant de la source on a soif, s’écartant du trésor on est pauvre, s’écartant de la sagesse on est stupide, s’écartant de la vertu on se détruit. Il était donc juste qu’il vînt à manquer, ayant délaissé les trésors de la sagesse et science de Dieu (Col., II, 3) et la profondeur des richesses célestes. Il en vint donc à manquer et à sentir la faim, parce que rien ne suffit à la volupté prodigue. On éprouve toujours la faim quand on ne sait se combler des aliments éternels. Il alla donc s’attacher à un des citoyens : celui qui s’attache est pris au filet, et il semble que ce citoyen soit le prince de ce monde. Bref il est envoyé à sa ferme — celle dont l’acheteur s’excuse du Royaume (Lc, XIV, 18 et ci-dessus) — et il fait paître les porcs : ceux-là sans doute dans lesquels le diable demande à entrer, ceux qu’il précipite dans la mer de ce monde (Matth., VIII, 32), ceux qui vivent dans l’ordure et la puanteur. Et il souhaitait, est-il dit, se garnir le ventre de glands : car les débauchés n’ont d’autre souci que de se garnir le ventre, leur ventre étant leur dieu (Phil., III, 19). Et quelle nourriture convient mieux à de tels hommes que celle qui est, comme le gland, creuse au-dedans, molle au-dehors, faite non pour alimenter, mais pour gaver le corps, plus pesante qu’utile ?. Il en est qui voient dans les porcs les troupes des démons, dans les glands la chétive vertu des hommes vains et le verbiage de leurs discours qui ne peuvent être d’aucun profit : par une vaine séduction de philosophie et par le tintamarre sonore de leur faconde ils font montre de plus de brillant que d’utilité quelconque.

Mais de tels agréments ne sauraient durer : aussi « personne ne les lui donnait » : c’est qu’il était dans la région où il n’y a personne, parce qu’elle ne contient pas ceux qui sont. Car « toutes les nations sont comptées pour rien » (Is., XL, 17) ; mais il n’y a que Dieu pour « rendre la vie aux morts et appeler ce qui n’est pas comme ce qui est » (Rom., IV, 17). « Et revenant à lui, il dit : que de pains ont en abondance les mercenaires de mon père ! » Il est bien vrai qu’il revient à lui, s’étant quitté : car revenir au Seigneur, c’est se retrouver, et qui s’éloigne du Christ se renie. Quant aux mercenaires, qui sont-ils ? N’est-ce pas ceux qui servent pour le salaire, ceux d’Israël ? Ils ne poursuivent pas ce qui est bien par zèle pour la droiture ; ils sont attirés non par le charme de la vertu, mais par la recherche de leur profit. Mais le fils, qui a dans le cœur le gage du Saint-Esprit (II Cor., I, 22), ne recherche pas les profits mesquins d’un salaire de ce monde, possédant son droit d’héritier. Il existe aussi des mercenaires qui sont engagés pour la vigne. C’est un bon mercenaire que Pierre ? Jean, Jacques ? à qui on dit : « Venez, je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (Matth., IV, 19). Ceux-là ont en abondance non les glands, mais les pains : aussi bien ont-ils rempli douze corbeilles de morceaux. O Seigneur Jésus, si vous nous ôtiez les glands et nous donniez les pains ! car vous êtes l’économe dans la maison du Père ; oh ! si vous daigniez nous engager comme mercenaires, même si nous venons sur le tard ! car vous engagez même à la onzième heure, et vous daignez payer le même salaire : même salaire de vie, non de gloire ; car ce n’est pas à tous qu’est réservée la couronne de justice, mais à celui qui peut dire : « J’ai combattu le bon combat » (II Tim., IV, 7 ssq.). Je n’ai pas cru devoir me taire sur ce point, parce que certains, je le sais, disent qu’ils réservent jusqu’à leur mort la grâce du baptême ou la pénitence. D’abord comment savez-vous si c’est la nuit prochaine qu’on vous demandera votre âme (Lc, XII, 20) ? Et puis, pourquoi penser que n’ayant rien fait tout vous sera donné ? Admettons qu’il y ait une seule grâce, un seul salaire : autre chose est le prix de la victoire, celui auquel tendait, non sans raison, Paul qui, après le salaire de la grâce, poursuivait encore le prix pour le gagner (Phil., III, 14), sachant que si le salaire de grâce est égal, la palme n’appartient qu’au petit nombre.

Et puisque nous sommes arrivés à la vigne du Seigneur, n’en repartons pas les mains vides ; car il est bon d’en cueillir les fruits, d’en voir les mercenaires. Quelle est en effet la signification de ces ouvriers engagés aux diverses heures d’un même jour, sinon que « mille ans, aux yeux du Seigneur, sont comme la journée d’hier, qui est passée, et comme une heure dans la nuit » (Ps. 89, 4) ? Quelle est cette nuit, sinon celle qui est venue d’abord, pour que le jour se fît proche (Rom., XIII, 22) ? Et c’est vraiment une heure dans la nuit, puisque mille ans sont comme un jour. Il savait la portée de ce jour, celui qui a dit : « Jésus-Christ est le même hier, et aujourd’hui, et pour les siècles » (Hébr., XIII, 8). Il savait que ce jour est multiple, celui qui a écrit : « C’est le jour de la naissance du ciel et de la terre, lorsqu’ils furent créés ; jour où Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs » (Gen., II, 4). Ayant en effet décrit auparavant sept jours, il résume ensuite en un seul jour tout ce qui s’est fait, montrant que toute la durée du monde est aux yeux du Seigneur comme un jour unique : attendu que du chaos et des ténèbres le visage du monde s’est dégagé à la clarté de l’œuvre divine. Si donc toute la durée du monde est un seul jour, il compte certainement ses heures par siècles : autrement dit les siècles mêmes sont ses heures. Or « il y a douze heures dans le jour » (Jn, XI, 9). Donc au sens mystique, le jour, c’est bien le Christ : Il a ses douze Apôtres, qui ont resplendi de la lumière céleste, en qui la grâce a ses phases distinctes. Le père de famille est donc venu engager dès la première heure des ouvriers : peut-être ceux qui depuis le commencement du monde jusqu’au déluge ont obtenu d’être justes, et dont il est dit : « Je vous ai parlé avant le jour, et je vous ai envoyé mes serviteurs les Prophètes avant le jour » (Jér., XXV, 3 ssq.). La troisième heure commence après le déluge : elle renferme l’époque de Noé et des autres qui, comme de bons ouvriers, sont envoyés à la vigne : aussi Noé s’est-il enivré pour ainsi dire au repas de midi. La sixième et les suivantes sont relevées par les mérites des patriarches Abraham, Isaac et Jacob. À la neuvième, le monde étant déjà sur son déclin et la lumière de la vertu pâlissant, la Loi et les Prophètes ont dénoncé l’altération des mœurs humaines. Le saint avènement fait paraître la onzième et le restant du jour : aussi dit-Il lui-même dans l’Évangile : « Marchez, tandis que vous avez la lumière » (Jn, XII, 35).

Mais il est temps de revenir au père. Sans doute je ne crains pas qu’à l’exemple de celui qui fit pénitence nous ayons l’air de nous être longtemps absentés : car nous n’avons jamais été absents, puisque nous demeurions dans la vigne ; s’il y était resté, lui aussi, il ne se serait pas éloigné de son père. Prenons garde cependant de ne pas retarder sa réconciliation, que le père n’a pas fait attendre. Il se réconcilie volontiers, lorsqu’on l’implore avec instance.

Alors apprenons par quelle supplication il faut aborder le Père. « Père, dit-il » : quelle miséricorde, quelle tendresse, chez celui qui, même offensé, ne refuse pas de s’entendre donner le nom de père ! « Père, dit-il, j’ai péché contre le ciel et à votre face. » . Tel est le premier aveu, à l’auteur de la nature, au maître de la miséricorde, au juge de la faute. Mais bien qu’il connaisse tout, Dieu cependant attend l’expression de notre aveu ; car « c’est par la bouche que se fait la confession en vue du salut » (Rom., X, 10), attendu qu’on allège le poids de son égarement quand on se charge soi-même ; et c’est couper court à l’animosité de l’accusation que prévenir l’accusateur en avouant : car « le juste, dès le début de son discours, est son propre accusateur » (Prov., XVIII, 17). D’autre part, il serait vain de vouloir dissimuler à Celui que vous ne tromperez sur rien ; et vous ne risquez rien à dénoncer ce que vous savez être déjà connu. Avouez plutôt, afin que pour vous intervienne le Christ, que nous avons pour avocat auprès du Père (I Jn, II, 1) ; que l’Église prie pour vous, que le peuple pleure sur vous37. Et ne redoutez pas de ne pas obtenir : l’avocat vous garantit le pardon, le patron vous promet la grâce, le défenseur vous assure la réconciliation avec la tendresse paternelle. Croyez, car Il est vérité ; soyez en repos, car Il est force. Il a sujet d’intervenir pour vous, afin de n’être pas inutilement mort pour vous. Le Père aussi a sujet de pardonner, car « ce que veut le Fils, le Père le veut » (Gal., II, 21). « J’ai péché contre le ciel et à votre face. » Ce n’est assurément pas pour mentionner un élément, mais pour signifier que le péché de l’âme diminue les dons célestes de l’Esprit, ou qu’il n’eût pas fallu se détourner du sein de cette mère, Jérusalem, qui est au ciel. « Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils » : car le déchu ne doit pas s’exalter, afin de pouvoir être relevé grâce à son humilité. « Traitez-moi comme un de vos mercenaires » : il sait qu’il y a une différence entre les fils, les amis, les mercenaires, les esclaves : on est fils par le baptême, ami par la vertu, mercenaire par le travail, esclave par la crainte. Mais les esclaves mêmes et les mercenaires deviennent amis, ainsi qu’il est écrit : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande ; je ne vous appelle plus serviteurs » (Jn, XV, 13 ssq.).

Ainsi se parlait-il ; mais ce n’est pas assez de parler, si vous ne venez au Père. Où le chercher, où le trouver ? Levez-vous d’abord : j’entends vous qui jusqu’ici étiez assis et endormis ; aussi l’Apôtre dit-il : « Debout, vous qui dormez, et levez-vous d’entre les morts » (Éphés., V, 14). L’iniquité est assise sur un talent de plomb (Zach., V, 7) ; mais il est dit à Moïse : « Pour toi, sois debout ici » (Deut., V, 31) : le Christ a choisi ceux qui sont debout. Debout donc, courez à l’Église : là est le Père, là est le Fils, là est l’Esprit Saint. À votre rencontre vient Celui qui vous entend converser dans le secret de votre âme ; et quand vous êtes encore loin, Il vous voit et accourt. Il voit dans votre cœur ; Il accourt, pour que nul ne vous retarde ; Il embrasse aussi. Sa rencontre, c’est sa prescience ; son embrassement, c’est sa clémence, et les démonstrations de son amour paternel. Il se jette à votre cou pour vous relever gisant, et, chargé de péchés et tourné vers la terre, vous retourner vers le ciel pour y chercher votre auteur. Le Christ se jette à votre cou, pour dégager votre nuque du joug de l’esclavage et suspendre à votre cou son joug suave (Matth., XI, 30). Ne vous semble-t-il pas s’être jeté au cou de Jean, lorsque Jean reposait sur la poitrine de Jésus, la tête renversée en arrière ? Aussi a-t-il vu le Verbe chez Dieu, étant dressé vers les hauteurs. Il se jette à votre cou, lorsqu’il dit : « Venez à moi, vous qui peinez, et je vous réconforterai ; prenez mon joug sur vous » (Matth., XI, 28 ssq.). Telle est la manière dont Il vous étreint, si vous vous convertissez. Et Il fait apporter robe, anneau, chaussures. La robe est le vêtement de la sagesse : les Apôtres en couvrent la nudité du corps ; chacun s’en enveloppe. Et ils reçoivent la robe pour revêtir la faiblesse de leur corps de la force de la sagesse spirituelle. De la sagesse en effet il est dit : elle « lavera dans le vin sa robe » (Gen., XLIX, 11). La robe donc est l’habillement spirituel et le vêtement des noces. L’anneau est-il autre chose que le sceau d’une foi sincère et l’empreinte de la vérité ? Quant à la chaussure, c’est la prédication de l’évangile. Aussi a-t-il reçu la première sagesse — car il en est une autre, qui ignore le mystère — il a reçu le sceau en ses paroles et en ses actes, et comme la sauvegarde de sa bonne intention et de sa course, de crainte qu’il ne heurte du pied contre une pierre (Ps. 90, 12), et, renversé par le diable, ne délaisse l’office de prêcher le Seigneur. La « préparation de l’évangile » (Éphés., VI, 15), qui envoie à la course aux biens célestes ceux qu’il a préparés, c’est de ne pas marcher selon la chair, mais selon l’esprit (Rom., VIII). On tue encore le veau gras : ainsi, rendu par la grâce du sacrement à la communion aux mystères, on pourra se nourrir de la chair du Seigneur, riche de vertu spirituelle. Nul ne peut en effet, s’il ne craint Dieu, ce qui est le commencement de la sagesse (Ps. 110, 10 ;Prov., IX, 10), s’il n’a gardé ou recouvré le sceau de l’Esprit, s’il n’a confessé le Seigneur, prendre part aux mystères célestes. Quant à l’anneau, l’avoir c’est avoir et le Père et le Fils et l’Esprit Saint, car Dieu a mis sa marque (cf. Jn, VI, 28), Lui dont le Christ est l’image (II Cor., IV, 4), et Il a déposé comme gage l’Esprit dans nos cœurs (Ib., I, 22), pour nous faire savoir que telle est l’empreinte de cet anneau qui est mis à la main, par qui sont marqués l’intime de nos cœurs et le ministère de nos actions. Nous avons donc été marqués, comme nous le lisons : « En croyant, est-il dit, vous avez reçu le sceau de l’Esprit Saint » (Éphés., I, 13). C’est justement d’ailleurs que le Fils nous décrit le père festoyant avec la chair du veau, victime sacerdotale que l’on offrait pour les péchés : Il a voulu montrer que la nourriture du Père, c’est notre salut, et que la joie du Père, c’est la rédemption de nos péchés. Et ici, si vous attribuez au Père que le Fils soit victime pour les péchés, le Père prend sa joie au retour du pécheur ; plus haut le Fils prend sa joie à la brebis retrouvée : vous reconnaissez ainsi que le Père et le Fils n’ont qu’une même joie, qu’une même activité pour fonder l’Église. Or le père est joyeux de ce que son fils était perdu et s’est retrouvé, était mort et a repris vie. Celui-là est mort, qui était : on ne peut en effet mourir si on n’a pas été. Ainsi les Gentils ne sont pas, le chrétien est, comme il a été dit plus haut : « Dieu a choisi ce qui n’est pas pour détruire ce qui est » (I Cor., l, 28). On peut cependant voir ici en un seul l’image du genre humain. Adam a été, et en lui nous avons tous été ; Adam est mort, et en Lui tous sont morts. L’homme donc est reformé dans l’homme même qui était mort, et celui qui fut fait à la ressemblance et image de Dieu est restauré par la patience et magnanimité de Dieu. Que signifie donc « Dieu a choisi ce qui n’est pas pour détruire ce qui est » ? Ceci : Il a choisi le peuple des Gentils, qui n’était pas, pour détruire le peuple des Juifs. On peut aussi appliquer à celui qui fait pénitence cette parole, qu’on ne meurt pas si l’on n’a une fois vécu ; aussi les Gentils ne meurent pas, mais sont des morts : car qui n’a pas cru au Christ, est toujours mort. Et tandis que les Gentils, une fois qu’ils ont la foi, sont vivifiés par la grâce, celui qui est tombé revit par la pénitence.

Le passage suivant veut nous rendre favorables à la rémission des péchés après la pénitence, de peur qu’en trouvant mauvais le pardon d’autrui, nous ne l’obtenions pas pour nous-mêmes du Seigneur. Qui donc êtes-vous pour contester au Seigneur le droit de remettre sa faute à qui bon Lui semble, quand vous pardonnez à qui vous voulez ? Il veut être prié, Il veut être imploré. Si tous sont justes, où sera la grâce de Dieu ? Qui êtes-vous, pour en vouloir à Dieu ? Et c’est pourquoi le frère est ici censuré, au point qu’il est dit venir de la ferme, c’est-à-dire occupé des œuvres de la terre, ignorant ce qui est de l’Esprit de Dieu (I Cor., II, 11), et finalement se plaignant qu’on n’ait jamais tué pour lui-même un chevreau : car ce n’est pas pour l’envie, mais pour le pardon du monde, que l’Agneau a été immolé. L’envieux réclame un chevreau ; l’innocent désire que l’Agneau soit immolé pour lui. On dit qu’il était plus âgé : c’est que l’envie fait vieillir vite. S’il reste au-dehors, c’est que la malveillance de son âme jalouse l’exclut. Il ne peut pas entendre le chœur et la symphonie, non pas de celles qui excitent les passions au théâtre, ni le son dès flûtes accordées, mais l’harmonie du peuple qui chante et fait retentir sa douce et suave allégresse de voir le pécheur sauvé. Donnez-moi un de ceux qui se croient justes, qui ne voient pas la poutre dans leur œil et ne peuvent supporter la paille du défaut d’autrui : comme il s’indigne, lorsqu’ayant avoué sa faute et longtemps imploré son pardon, quelqu’un obtient grâce ! comme ses oreilles ne peuvent supporter le concert spirituel du peuple ! Car il y a concert, lorsque dans l’église l’accord sans dissonance des âges et vertus diverses, telles des cordes variées, alterne le psaume, dit Amen. C’est le concert que connaissait également Paul ; aussi dit-il : « Je chanterai en esprit, je chanterai par mon intelligence » (I Cor., XIV, 15). Tel est l’exposé que nous avons cru devoir faire de la parabole présente. Mais nous ne trouvons pas mauvais que tel veuille reconnaître dans ces deux frères les deux peuples, le plus jeune étant le peuple des Gentils, autre Israël à qui le frère aîné envie le bienfait de la bénédiction paternelle. C’est ce que faisaient les Juifs, en se plaignant que le Christ prît son repas avec les Gentils (Lc, V, 50) ; aussi réclamaient-ils le chevreau, sacrifice de mauvaise odeur. Le Juif réclame le chevreau, le chrétien l’Agneau ; aussi on leur délivre Barabbas, pour nous l’Agneau est immolé. Dès lors c’est chez eux la puanteur des crimes, chez nous la rémission des péchés, douce en son espérance, suave en son fruit. Demander le chevreau, c’est attendre l’antéchrist ; car le Christ est la victime de bonne odeur. Cette plainte à propos du chevreau semble dire que les Juifs ont perdu les rites des sacrifices anciens, ou que le sang de personne ne leur a profité comme celui du Christ à l’Église : car ils n’ont pu être rachetés par le sang des Prophètes. Or il (l’aîné) est impudent et semblable à ce Pharisien qui se rendait justice en sa prière présomptueuse, qui pensait n’avoir jamais manqué au commandement de Dieu parce qu’il observait littéralement la Loi (Lc, XVIII, 11 ssq.) ; sans cœur, en accusant son frère d’avoir gaspillé la fortune paternelle avec des courtisanes : il aurait dû prendre garde qu’il fut dit à son intention : « Les courtisanes et les publicains passeront avant vous dans le Royaume des cieux » (Matth., XXI, 31). Il demeure à la porte : il n’est pas exclu, mais il n’entre pas, méconnaissant la volonté de Dieu d’appeler les Gentils, de fils devenu maintenant serviteur ; car « le serviteur ne sait pas ce que fait son maître » (Jn, XV, 14). Lorsqu’il l’apprend, il jalouse, il est torturé par le bonheur de l’Église, et il demeure au-dehors. Du dehors, en effet, Israël entend le chant et la symphonie, et il s’irrite de l’accord réalisé par la grâce du peuple, le joyeux concert de la foule. Mais le père, qui est bon, eût voulu le sauver. « Tu as toujours été avec moi », disait-il : soit en tant que Juif sous la Loi, soit comme juste par notre commun accord ; mais de plus, si tu cesses d’envier, « tout ce que j’ai est à toi » : comme Juif vous possédez les mystères de l’Ancien Testament, comme baptisé ceux également du Nouveau.

L’homélie de saint Augsutin (Traité 33 sur l’évangile de saint Jean)

La femme adultère

1. Votre charité s’en souvient : dans le discours précédent, et à l’occasion de la lecture qu’on avait faite dans l’Évangile, nous vous avons parlé du Saint-Esprit. Le Sauveur avait invité ceux qui croyaient en lui à s’abreuver à cette source d’eau vive; au moment où il parlait ainsi, il se trouvait au milieu d’ennemis qui pensaient à se saisir de lui et désiraient le faire mourir, mais n’y parvenaient point, parce qu’il ne le voulait pas. Lorsqu’il leur eut adressé ces paroles, il se produisit dans la foule un dissentiment prononcé entre les uns et les autres: ceux-ci soutenaient qu’il était le Christ, ceux-là disaient que le Christ ne sortirait pas de la Galilée. Pour ceux que les Pharisiens avaient envoyés afin de mettre la main sur lui, ils se retirèrent sans avoir commis le crime qu’on leur avait commandé, mais dans le sentiment de la plus vive admiration. Ils rendirent, en effet, témoignage de la divinité de sa doctrine, car à cette question de ceux qui les avaient envoyés: « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené? » ils répondirent que jamais homme n’avait ainsi parlé devant eux. «Jamais personne n’a parlé comme lui ». Pour lui, il avait ainsi parlé, parce qu’il était Dieu et homme. Cependant, les Pharisiens ne voulurent point recevoir leur témoignage; aussi leur dirent-ils: « Auriez-vous été séduits vous-mêmes? » Il est facile de voir que ses discours vous ont charmés. « Aucun des princes des prêtres et des Pharisiens a-t-il cru en lui ? Mais cette foule qui ne connaît pas la loi est maudite ».

Les hommes qui ne connaissaient pas la loi croyaient en Celui qui l’avait donnée; et ceux qui l’enseignaient en méprisaient l’Auteur. Par là s’accomplissait ce qu’avait dit le Sauveur lui-même : « Je suis venu, afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles (Jean, IX, 39) ». Les Pharisiens étaient instruits, et ils se sont aveuglés, tandis que les rayons de la vérité ont éclairé les peuples auxquels la loi n’était pas connue, mais qui croyaient en Celui de qui émanait la loi.

2. Toutefois, « parmi les Pharisiens se trouvait Nicodème, qui était venu vers Jésus durant la nuit » ; ce n’était pas un incrédule, mais un homme timide, car, en s’approchant de la lumière durant la nuit, il avait voulu s’éclairer, et, sans néanmoins se faire connaître, il répondit aux Juifs : « Notre loi juge-t-elle un homme avant de l’avoir entendu et d’avoir connu ce qu’il a fait? » ils étaient effectivement assez mal disposés pour vouloir le condamner avant de le connaître. Quant à Nicodème, il savait, ou plutôt il s’imaginait que si seulement ils voulaient l’écouler avec patience, ils feraient, sans doute, ce qu’avaient fait leurs émissaires qui, au lieu de s’emparer de sa personne, avaient préféré croire en lui. « Ils lui répondirent », en préjugeant les dispositions de son cœur d’après les leurs: « Serais-tu aussi Galiléen ? » c’est-à-dire en quelque sorte infatué par le Galiléen. Le Sauveur portait le nom de Galiléen, parce que ses parents étaient de la ville de Nazareth. Quand je dis ses parents, j’entends parler seulement de Marie, et ne veux point dire qu’il ait eu un père selon la chair; il avait déjà, dans le ciel, un Père; aussi n’a-t-il eu ici-bas besoin que d’une mère. Ses deux naissances ont été merveilleuses : sa naissance divine s’est effectuée sans le concours d’une mère; comme homme, il n’a pas eu de père. Que répondirent donc à Nicodème tes docteurs de la loi? « Lis les Écritures et vois que nul prophète ne s’est levé en Galilée ». Malgré cela, le Seigneur des Prophètes est sorti de ce pays-là. « Et chacun d’eux », dit l’Évangéliste, « s’en alla en sa maison ».

3. « De là, Jésus vint à la montagne ». C’était la montagne « des Oliviers », fertile en parfums et en huile. De fait, en quel endroit, sinon sur la montagne des Oliviers, le Christ pouvait-il se trouver mieux pour enseigner? L’étymologie du mot Christ, c’est fonction, car le nom grec Xisma se traduit en latin par celui d’onction. Il nous a oints, parce qu’il nous a destinés à lutter contre le démon. Au commencement du jour, « il parut de nouveau dans le temple, et tout le peuple vint vers lui ; et, s’étant assis, il les enseignait ». Et l’on ne mettait pas la main sur lui, parce qu’il ne jugeait pas encore à propos de souffrir.

4. Mais voyez quel moyen ses ennemis employèrent pour mettre à l’épreuve la douceur de Jésus. « Les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme prise en adultère, et, l’ayant placée au milieu d’eux tous, ils lui dirent : Maître, cette femme a été prise en adultère; et, dans la loi, Moïse nous a commandé de lapider les adultères. Toi donc, que dis-tu? Ils parlaient ainsi pour le tenter, afin de pouvoir l’accuser ». L’accuser de quoi? L’avaient-ils surpris lui-même en quelque faute, ou bien, cette femme passait-elle pour avoir eu avec lui quelque rapport? Que veut donc dire l’Évangéliste en s’exprimant ainsi : « Pour le tenter, afin de pouvoir l’accuser ? » Il nous est facile, mes frères, de comprendre à quel suréminent et admirable degré le Sauveur a montré de la douceur. Ses ennemis remarquèrent en lui une trop grande douceur, une trop grande bonté ; car, longtemps auparavant, le Prophète avait dit de lui : « Armez-vous de votre glaive, ô le plus puissant des rois; revêtez-vous de votre gloire et de votre éclat; et, dans votre majesté, marchez à la victoire montez sur le char de la vérité, de la clémence et de la justice (Ps. XLIV, 4, 5) ». En qualité de docteur, il a apporté sur la terre la vérité; comme libérateur, la douceur; en tant que sondant les consciences, la justice. Voilà pourquoi Isaïe avait annoncé d’avance qu’il régnerait dans l’Esprit-Saint (Isa. XI). Quand il parlait, la vérité se reconnaissait dans ses discours, et s’il ne s’élevait pas contre ses ennemis, on ne pouvait qu’admirer sa mansuétude. En face de ces deux vertus de Jésus-Christ, de sa vérité et de sa douceur, ses ennemis se sentaient tourmentés par l’envie et la malignité jalouse; mais sa troisième qualité, la justice, fut pour eux un véritable sujet de scandale. Pourquoi ? Parce que la loi faisait un commandement exprès de lapider les adultères, et, sans aucun doute, elle ne pouvait prescrire ce qui était injuste ; dire autre chose que ce qu’ordonnait la loi, c’était se mettre en flagrant délit d’injustice. Ils se dirent donc à eux-mêmes: On a foi en sa véracité, on le voit plein de mansuétude; cherchons-lui querelle sous le rapport de la justice, Présentons-lui une femme surprise en adultère, et disons-lui ce que la loi ordonne de faire à cette malheureuse. S’il nous commande aussi de la lapider, il perdra sa réputation de douceur; s’il déclare la renvoyer sans la punir, sa justice sera mise en défaut, Pour ne rien perdre de cette bienveillance qui l’a rendu si aimable aux yeux du peuple, il se prononcera évidemment pour le renvoi de cette femme; ce sera, pour nous, la plus belle occasion de l’accuser lui-même. Nous le forçons à violer la loi et à devenir coupable; nous lui disons : Tu es ennemi de la loi; ta réponse est en contradiction avec le commandement de Moïse; tu vas même contre les ordres de Celui qui nous a dicté ses volontés par le ministère de Moïse; tu es donc digne de mort; tu seras toi-même lapidé avec cette adultère. Par de telles paroles et de tels raisonnements, ils pourraient surexciter l’envie, chauffer l’accusation et faire prononcer la sentence. Mais qu’était-ce que cette lutte? La lutte entre la méchanceté et la droiture, entre la fausseté et la vérité, entre des cœurs corrompus et un cœur pur, entre la folie et la sagesse. Pouvaient-ils jamais lui tendre des pièges sans y tomber les premiers, tête baissée? Aussi, dans sa réponse, verrons-nous le Sauveur conserver toute sa justice et ne rien perdre de sa mansuétude. Au lieu de le prendre au piège qu’ils lui tendaient, les Juifs y furent pris les premiers, parce qu’ils ne croyaient pas en Celui qui pouvait les préserver de toute embûche.

5. Que leur répondit donc le Sauveur? Que leur répondit la vérité, la sagesse, et cette justice elle-même qu’ils se préparaient à attaquer injustement? Il ne leur dit point : Ne la lapidez pas, pour n’avoir pas l’air de parler contre la loi. Il se garda bien aussi de leur dire : Elle doit être lapidée, car il n’était point venu pour perdre ce qu’il avait trouvé, mais pour chercher ce qui était perdu (Luc, XIX, 10). Quelle réponse leur fit-il donc? Voyez combien elle fut admirable de justice, de mansuétude et de vérité! « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre! » Quelle sagesse dans ces quelques mots! Comme il les remettait bien à leur place! Au dehors, ils portaient contre une femme une accusation passionnée; et ils ne rentraient pas au-dedans d’eux-mêmes pour y scruter l’état de leur âme; ils jetaient les yeux sur une adultère, et ne portaient point leurs regards sur leur propre conscience. Prévaricateurs de la loi, ils prétendaient la faire accomplir, même en se servant de la fourberie; et, de fait, c’était de leur part de la fourberie, car en condamnant la femme adultère, ils faisaient semblant d’obéir à un sentiment de pudeur, et ils n’étaient eux-mêmes que des libertins. Juifs, vous avez entendu; vous aussi, Pharisiens; docteurs de la loi, vous avez entendu le gardien de la loi, mais vous n’avez pas encore compris votre Législateur. A-t-il voulu vous faire entendre autre chose, en écrivant avec son doigt sur la terre? La loi a été effectivement écrite par le doigt de Dieu; mais elle a été écrite sur la pierre à cause de la dureté du peuple d’Israël (Exod. XXXI, 18). Mais, pour le moment, le Seigneur écrivait sur la terre, parce qu’il cherchait à recueillir du fruit. Il vous a dit : Que la loi soit accomplie; qu’on lapide la femme adultère; mais, pour accomplir la loi des hommes qui méritent d’être eux-mêmes punis, ont-ils le droit de punir cette malheureuse ?

Que chacun d’entre vous se considère lui-même, qu’il rentre au-dedans de lui; qu’il s’assoie sur le tribunal de sa conscience; qu’il comparaisse en présence de ce juge intérieur; qu’il s’oblige à faire l’aveu de ses propres torts; car il sait qui il est, et personne, parmi les hommes, ne sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui (I Cor. II, 11). On se trouve dans l’état de péché dès qu’on se considère soi-même: tous en sont là, et il n’y a pas le moindre doute à élever à ce sujet. Par conséquent, de deux choses l’une: ou renvoyez cette femme, ou subissez la peine que la loi édicte aussi contre vous. Si le Sauveur disait: Ne lapidez pas cette adultère, il serait par là même convaincu d’injustice. S’il disait : Lapidez-la, il mentirait à sa douceur habituelle; qu’il dise donc ce qu’il doit dire pour rester doux et juste : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Voilà bien la sentence de la vraie justice. Une pécheresse doit être punie, mais pas de la main de gens qui ont la conscience souillée; la loi doit être accomplie, mais non par ceux qui la foulent eux-mêmes aux pieds. Oui, c’était la justice même qui s’exprimait par la bouche de Jésus; aussi, frappés par ces paroles comme par un trait énorme, ils se regardèrent mutuellement, et se reconnaissant coupables, « ils se retirèrent tous l’un après l’autre », et il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse. Après avoir ainsi blessé ses ennemis du dard de la justice, le Seigneur ne daigna pas même faire attention à leur chute, mais, détournant d’eux ses regards, et « se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre ».

6. Les Juifs s’étaient donc tous éloignés et l’avaient laissé seul avec la femme adultère: Jésus leva alors les yeux vers elle. Nous l’avons entendu tout à l’heure parler le langage de la justice; nous allons maintenant l’entendre parler celui de la bonté. À mon avis, la coupable avait ressenti une terreur moins vive à entendre ses accusateurs qu’à écouter ces paroles du Sauveur : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Dès que ceux-ci eurent reporté sur eux-mêmes leur attention, ils se reconnurent fautifs et en donnèrent la preuve en s’éloignant: ils laissèrent donc cette femme, souillée d’un grand crime, en présence de celui qui était sans péché. Elle lui avait entendu dire: « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Aussi s’attendait-elle à une punition de la part de celui en qui l’on n’avait jamais découvert aucun péché. Pour lui, après avoir écarté ses ennemis par le langage de la justice, il leva vers elle des regards pleins de douceur et lui adressa cette question: « Personne ne t’a condamnée ? — Personne, Seigneur », répondit-elle. — Et il ajouta: « Je ne te condamnerai pas non plus ». Parce que tu n’as pas trouvé de péché en moi, tu as craint sans doute de me voir prononcer ta condamnation : eh bien, « je ne te condamnerai pas non plus ». Eh quoi, Seigneur, approuveriez-vous le péché ? Non certes, il ne l’approuve pas; car, écoute ce qui suit: « Va, et ne pèche plus à l’avenir ». Le Sauveur a donc prononcé une condamnation; mais ce qu’il a condamné, c’est le péché, et non le pécheur. S’il avait donné son approbation au crime, il aurait dit : Je ne te condamnerai pas non plus; va, conduis-toi comme tu voudras, et sois sûre de mon indulgence; tant que tu pèches, je te préserverai de toute punition, même du feu et des supplices de l’enfer. Mais le Sauveur ne s’est pas exprimé ainsi.

7. Ceux qui aiment le Seigneur doivent se souvenir de sa mansuétude, sans oublier de craindre son immuable vérité; car « le Seigneur est plein de douceur et d’équité (Ps. XXIV, 8. — 2) ». Tu aimes en lui la bonté; redoute aussi sa droiture. La douceur lui a fait dire: « Je me suis tu »; mais sa justice lui a fait ajouter: « Toutefois, garderai-je toujours le silence (Is. XLII, 14 selon les Sept.)? Le Seigneur est miséricordieux et compatissant ». Évidemment, oui. Ajoute qu’il est « patient » : ne crains pas de dire qu’il est « prodigue de miséricorde », mais que cette dernière parole du Psalmiste t’inspire une crainte profonde : « Il est plein de vérité (Ps. LXXXV, 15)». Aujourd’hui, il supporte ceux qui l’offensent; plus tard, il jugera ceux qui l’auront méprisé. « Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance? Ignores-tu que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence ? » Et pourtant, par ta dureté et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres (Rom. II, 4-6) ». Le Seigneur est rempli de douceur, de longanimité et de miséricorde; mais aussi il est plein de justice et de vérité. Il t’accorde le temps de te corriger; pour toi, tu préfères ce répit à ton amendement. Hier, tu as été méchant? Sois bon aujourd’hui. Tu as consacré au mal la journée présente ? Puisses-tu, du moins, te convertir demain. Tu attends sans cesse sans cesse tu te promets des merveilles de la bonté divine, comme si celui qui a promis le pardon à ton repentir s’était engagé à prolonger encore ton existence. Sais-tu ce que te réserve la journée de demain? Tu parles avec justesse, en disant dans le fond de ton cœur: Quand je me corrigerai, Dieu me pardonnera tous mes péchés. Nous ne pouvons, en effet, le nier : il a promis le pardon aux pécheurs corrigés et convertis; mais le Prophète, dont les paroles te servent à me prouver que Dieu nous a promis son pardon pour le cas où nous viendrions à nous convertir, ce Prophète ne t’annonce, nulle part, qu’il doive t’accorder une longue vie.

8. La présomption et le désespoir, voilà deux sentiments bien opposés l’un à l’autre, deux mouvements de l’âme tout contraires; ils mettent, néanmoins, également en danger le salut des hommes. Qui est-ce qui devient la victime d’une folle confiance? Celui qui dit : Dieu est bon et miséricordieux; libre à moi de faire ce qu’il me plaît, d’agir à ma guise : je lâche donc la bride à mes passions; je veux satisfaire tous les désirs de mon âme. Pourquoi cela ? Parce que Dieu est riche en miséricorde, en bonté, en douceur. On peut donc périr, même en espérant. De même en est-il du désespoir : en effet, lorsqu’un homme est tombé en de grandes fautes, et qu’il se désespère, il s’imagine que, malgré son repentir, il ne pourra jamais en obtenir le pardon; il se regarde comme fatalement réservé à la damnation; il raisonne à la manière des gladiateurs destinés à périr dans l’arène, et il se dit à lui-même s Me voilà dès maintenant damné ! Pourquoi ne pas faire ce que je désire? Les hommes livrés au désespoir sont redoutables, car ils ne craignent plus rien, et leur société est singulièrement dangereuse. Le désespoir tue donc les uns, comme la présomption tue les autres : l’esprit flotte incertain entre ces deux sentiments si divers. Oui, il est à craindre pour toi de trouver dans cette présomption un germe de mort, et de tomber entre les mains du souverain Juge, au moment même où tu attendras encore beaucoup de la miséricorde divine : tu dois concevoir des craintes non moins vives à l’égard du désespoir; car, en t’imaginant qu’il est impossible d’obtenir le pardon des grandes fautes que tu as commises, tu pourrais bien ne pas faire pénitence et te condamner à avoir pour juge la Sagesse qui a dit: «Moi, je me rirai de votre ruine (Prov. I, 26)». Que fait le Seigneur à l’égard de ceux qui sont atteints de l’une ou de l’autre de ces dangereuses maladies? À ceux dont la présomption compromet l’avenir, il adresse ces paroles : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour; car sa colère viendra soudain, et, au jour de la vengeance, il te perdra (Eccli. V, 8, 9)».Il dit aussi aux malheureux que ronge le désespoir « Quel que soit le jour où l’impie se convertisse, j’oublierai toutes ses iniquités (Ezéch. XVIII, 21, 22, 23) ». Aux hommes désespérés, il montre le port du pardon; pour ceux dont une aveugle confiance met le salut en péril, et qui se laissent tromper par d’interminables délais, il a rendu incertaine l’heure de la mort. Quand viendra ton dernier jour, tu n’en sais rien; et tu es un ingrat, puisqu’ayant, pour te convertir, le jour présent, tu n’en profites pas. Aussi, quand le Sauveur dit à la femme adultère: Et « moi, je ne te condamnerai pas non plus », il donna à ses paroles cette signification Sois tranquille sur le passé, mais prends garde à l’avenir. « Moi, je ne te condamnerai pas non plus ». J’ai effacé tes fautes, observe mes recommandations, et tu entreras en possession de ce que je t’ai promis.

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