Dans un curieux retournement de ses aspirations de jeunesse, le philosophe Friedrich Nietzsche déclare la guerre au christianisme, l’accusant d’inviter à la fuite du monde réel, de promouvoir une compassion débilitante, de déviriliser les hommes. Accusations non étayées et particulièrement injustes qu’il faut démonter. Deuxième volet de notre présentation de la philosophie nietzschéenne *.
Nietzsche n’a pas toujours été hostile au christianisme ; adolescent, il se destinait à être pasteur : « J’ai pris la ferme décision de me consacrer à Son service. Que le Seigneur me donne la force nécessaire à mon dessein […] » (1). Mais à la fin de l’adolescence, il abandonna ce projet et rejeta dès lors le christianisme (2) pour lequel il exprima ad nauseam sa haine, le conduisant à une condamnation sans appel : « GUERRE À MORT CONTRE : LE VICE. LE VICE EST LE CHRISTIANISME » (3). Pourquoi une telle haine ? Trois chefs d’accusation paraissent la provoquer. D’abord, la fuite du monde, incarnée par l’ermite du Prologue de Zarathoustra (4). En effet, prolongeant, à ses yeux, la tradition socratique et platonicienne (5), le christianisme pose un arrière-monde (6) immuable, éternel, transcendant – celui de Dieu et des idées divines, des anges et des bienheureux – qui est le fondement ultime des valeurs. Considérant le monde qui nous est immédiatement donné comme celui des apparences et du changement, le christianisme invite l’homme à fuir ce monde phénoménal, alors qu’il est, lui et lui seul, le monde réel : « Le “monde des apparences” est le seul réel : le “monde-vérité” est seulement ajouté par le mensonge […] » (Le Crép., c. 3, § 2). Négateur du monde réel, le christianisme s’oppose ainsi au devenir et à la vie, manifestations, on l’a déjà vu, de la volonté de – ou vers la – puissance qui n’est autre que la réalité même de l’homme et du monde. Religion de l’ascèse, négatrice de l’instinct et des passions (Le Crép., c. 5, § 1 et 2), le christianisme est, par là-même, – deuxième grief majeur – la religion des faibles et des petits qui, las de la vie en raison de la faiblesse de leur corps et de leur caractère, ne peuvent que lui être radicalement hostiles et chercher à s’en venger par l’adoption et la promotion de valeurs condamnant la force et la puissance, telle, par exemple, la compassion. « Qu’est-ce qui est plus pernicieux…