Pour commémorer le centenaire de Maximum illud de Benoît XV, la Rerum Novarum des missions, qui porta l’attention sur les efforts à accomplir pour permettre une pénétration plus profonde et plus durable de l’Evangile parmi les païens, le Pape a eu une heureuse initiative. Il décrète le mois d’octobre 2018 mois missionnaire, pour que les membres de l’Église prennent davantage conscience non seulement de l’importance mais encore de la nécessité absolue de la missio ad gentes. Celle-ci paraît inutile à trop de nos contemporains alors qu’elle correspond à la demande expresse du Christ qui ordonna d’évangéliser toutes les nations et de baptiser au nom de la Sainte Trinité. Comment expliquer cet abandon et cette erreur capitale de pastorale ? Benoît XV en rappelant la nécessité de l’évangélisation avait ouvert une voie royale que suivirent tous ses successeurs, en particulier Pie XI appelé le pape des missions. Mais les « fumées de Satan» ont pénétré au sein de l’Église au lendemain du décret conciliaire Ad Gentes consacré aux missions. Et l’hiver arriva. Pourtant avec une inlassable persévérance, Paul VI et ses successeurs cherchèrent à relancer l’activité missionnaire minée par un faux œcuménisme, le matérialisme athée et le marxisme léninisme, tout autant que par les fausses théologies missionnaires, en particulier celle des chrétiens anonymes, du soi-disant yoga chrétien ou du salut hors de l’Église.
Il serait trop long de citer tous les textes pontificaux de Maximum illud sur la nécessité de la mission ad gentes. Tel n’est pas d’ailleurs notre propos, mais force nous est de reconnaître qu’il y a un fossé entre l’enseignement d’Evangelii nuntiandi par exemple et la pastorale missionnaire en vogue au moins dans les pays occidentaux et nantis. Et pourtant chacun de nous devrait répéter avec les papes qu’« évangéliser, c’est la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde ». « Malheur à moi si je n’évangélise pas », disait déjà saint Paul qui recommandait aussi aux Philippiens d’avoir en eux les mêmes sentiments qui étaient dans Notre Seigneur Jésus Christ. Le Pape François le rappelle opportunément, car l’Église ne peut marcher dans l’Esprit Saint que sur la voie que le Christ lui-même a choisie, c’est-à-dire la voie de la pauvreté, de l’obéissance, du service, en un mot de la Croix. Et c’est pourquoi l’Église honore particulièrement les saints missionnaires martyrs, car par leur sang ils rendirent fertiles d’immenses champs encore en friches. L’enseignement de Benoît XV est donc loin d’être devenu caduc. Le Pape François l’avait déjà rappelé dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium. La tâche missionnaire reste bel et bien la tâche primordiale de l’Église et le grand défi auquel elle doit répondre de peur de trahir l’enseignement et l’ordre même de Jésus. Aujourd’hui encore, malgré toutes les voies discordantes, la cause missionnaire doit conserver la première place. Le Pape ne mâche pas ses mots en ce domaine. Et il invite tous les membres de l’Église à employer tous les moyens nécessaires à commencer par la conversion pour avancer sur ce chemin.
Le mois d’octobre est aussi le mois du Rosaire. Puisse l’enseignement missionnaire des papes de Benoît XV au Pape François nous aider à bien réciter cette prière en tout temps, pour que les âmes du monde entier se sauvent, car le Fils de Marie, le Verbe de Dieu, « est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». C’était la grande intuition de Pauline Jaricot et plus que jamais, en cette année centenaire de Fatima, le recours à l’étoile de l’évangélisation est capital.
La lettre du Pape
Le 30 novembre 2019 aura lieu le centenaire de la promulgation de la Lettre Apostolique Maximum illud, par laquelle Benoît XV a voulu donner un nouvel élan à la responsabilité missionnaire d’annoncer l’Évangile. C’était en 1919, à la fin d’un terrible conflit mondial qu’il a défini lui-même « massacre inutile » [Lettre aux Chefs des peuples belligérants, (1er aout 1917) : AAS 9 (1917), 421-423], que le Pape avait senti la nécessité de requalifier de manière évangélique la mission dans le monde, afin qu’elle soit purifiée de toute collusion avec la colonisation et se tienne loin des visées nationalistes et expansionnistes qui avaient causé tant de désastres. « L’Église de Dieu est universelle, nullement étrangère à aucun peuple » [Benoît XV, Lettre apostolique Maximum illud, (30 novembre 1919) : AAS 11 (1919), 445], a-t-il écrit, en exhortant aussi à refuser toute forme d’intérêt, puisque seule l’annonce et la charité du Seigneur Jésus, diffusées avec la sainteté de la vie et les bonnes œuvres, sont la raison d’être de la mission. Benoît XV a ainsi donné un élan spécial à la missio ad gentes, en s’employant, avec les outils conceptuels et de communication en usage à l’époque, à réveiller, en particulier auprès du clergé, la conscience du devoir missionnaire.
Cela répond à l’invitation permanente de Jésus : « Allez dans le monde entier et proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16,15). Adhérer à cet ordre du Seigneur n’est pas une option pour l’Église : c’est sa « tâche obligatoire », comme l’a rappelé le Concile Vatican II, [Décret sur l’activité missionnaire de l’Église Ad gentes, (7 décembre 1965), n. 7 : AAS 58 (1966), 955] puisque l’Église « par nature, est missionnaire ». [Ibid., 2: AAS 58 (1966), 948]. « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser ». [Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, (8 décembre 1975), n. 14: AAS 68 (1976), 13]. Pour correspondre à une telle identité et proclamer Jésus crucifié et ressuscité pour tous, le Sauveur vivant, la Miséricorde qui sauve, « il est nécessaire – affirme encore le Concile – que l’Église, toujours sous la poussée de l’Esprit du Christ, marche par la même voie qu’il a suivie, c’est-à-dire par la voie de la pauvreté, de l’obéissance, du service et de l’immolation de soi jusqu’à la mort » [Décret Ad gentes, n. 5: AAS 58 (1966), 952], afin qu’elle communique réellement le Seigneur, « modèle de l’humanité rénovée, pénétrée d’amour fraternel, de sincérité, d’esprit pacifique, à laquelle tous aspirent ». [Ibid., n. 8 : AAS 28 (1966), 956-957].
Manifester la charité de Dieu pour tous
Ce qui tenait à cœur à Benoît XV il y a presque cent ans, et que le Document conciliaire nous rappelle depuis plus de cinquante ans reste pleinement actuel. Aujourd’hui comme alors « l’Église, envoyée par le Christ pour manifester et communiquer la charité de Dieu à tous les hommes et à toutes les nations, a conscience qu’elle a à faire une œuvre missionnaire énorme ». [Ibid., n. 10: AAS 58 (1966), 959]. A ce propos, saint Jean-Paul II a observé que « la mission du Christ Rédempteur, confiée à l’Église, est encore bien loin de son achèvement » et qu’« un regard d’ensemble porté sur l’humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service ». [Lettre encyclique Redemptoris missio, ( 7 décembre 1990), n. 1 : AAS 83 (1991), 249]. C’est pourquoi, avec les paroles que je voudrais reproposer à l’attention de tous, il a exhorté l’Église à « renouveler son engagement missionnaire », avec la conviction que la mission « renouvelle l’Église, renforce la foi et l’identité chrétienne, donne un regain d’enthousiasme et des motivations nouvelles. La foi s’affermit lorsqu’on la donne ! La nouvelle évangélisation des peuples chrétiens trouvera inspiration et soutien dans l’engagement pour la mission universelle ». [Ibid., n. 2: AAS 83 (1991), 250-251].
Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, recueillant les fruits de la XIIIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, qui a été convoquée pour réfléchir sur la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, j’ai voulu présenter de nouveau à toute l’Église cette vocation urgente : « Jean-Paul II nous a invités à reconnaître qu’il “est nécessaire de rester tendus vers l’annonce“ à ceux qui sont éloignés du Christ, “car telle est la tâche première de l’Église”. L’activité missionnaire “représente, aujourd’hui encore, le plus grand des défis pour l’Église” et “la cause missionnaire doit avoir la première place”. Que se passerait-il si nous prenions réellement au sérieux ces paroles ? Nous reconnaîtrions simplement que l’action missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église ». [N. 15: AAS 105 (2013), 1026].
Ce que je voulais exprimer me paraît encore urgent : « [Cela] a une signification programmatique et des conséquences importantes. J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont. Ce n’est pas d’une “simple administration” dont nous avons besoin. Constituons-nous dans toutes les régions de la terre en un “état permanent de mission” ». [Ibid., n. 25: AAS 105 (2013), 1030] Ne craignons pas d’entreprendre, avec confiance en Dieu et beaucoup de courage, « un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation. La réforme des structures, qui exige la conversion pastorale, ne peut se comprendre qu’en ce sens : faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires, que la pastorale ordinaire en toutes ses instances soit plus expansive et ouverte, qu’elle mette les agents pastoraux en constante attitude de “sortie” et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux auxquels Jésus offre son amitié. Comme le disait Jean-Paul II aux évêques de l’Océanie, “tout renouvellement dans l’Église doit avoir pour but la mission, afin de ne pas tomber dans le risque d’une Église centrée sur elle-même” ». [Ibid., n. 27: AAS 105 (2013), 1031].
La misison universelle de l’Église
La Lettre apostolique Maximum illud avait exhorté, avec un sens prophétique et une assurance évangélique, à sortir des frontières des nations, pour témoigner de la volonté salvifique de Dieu à travers la mission universelle de l’Église. Que l’approche de son centenaire soit un stimulant pour dépasser la tentation récurrente qui se cache derrière toute introversion ecclésiale, toute fermeture autoréférentielle dans ses propres limites sécuritaires, toute forme de pessimisme pastoral, toute nostalgie stérile du passé, pour s’ouvrir plutôt à la nouveauté joyeuse de l’Évangile. Même en ces temps qui sont les nôtres, déchirés par les tragédies de la guerre et minés par la triste volonté d’accentuer les différences et de fomenter les conflits, que la Bonne Nouvelle qu’en Jésus le pardon est vainqueur du péché, la vie est victorieuse de la mort, de la peur et de l’angoisse, soit portée à tous avec une ardeur renouvelée ainsi qu’une grande confiance et espérance.
C’est avec ces sentiments que, ayant accueilli la proposition de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, je décrète un Mois missionnaire extraordinaire en octobre 2019, afin de susciter une plus grande prise de conscience de la missio ad gentes et de reprendre avec un nouvel élan la transformation missionnaire de la vie et de la pastorale. On pourra bien s’y préparer, également à travers le mois missionnaire d’octobre de l’année prochaine, afin que les fidèles aient vraiment à cœur l’annonce de l’Évangile et la conversion de leur communauté en une réalité missionnaire et évangélisatrice ; afin que s’accroisse l’amour pour la mission, qui « est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple ». (Ibid., n. 268: AAS 105 (2013), 1128]
À Vous, vénérable Frère, au Dicastère que vous présidez et aux Œuvres Pontificales Missionnaires, je confie la charge de commencer la préparation de cet événement, spécialement à travers une ample sensibilisation des Églises particulières, des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique, ainsi que des associations, des mouvements, des communautés et autres réalités ecclésiales. Que le Mois missionnaire extraordinaire soit une occasion de grâce intense et féconde pour promouvoir des initiatives et intensifier de manière singulière la prière – âme de toute mission –, l’annonce de l’Évangile, la réflexion biblique et théologique sur la mission, les œuvres de charité chrétienne et les actions concrètes de coopération et de solidarité entre les Églises, afin que se réveille et jamais ne nous soit volé l’enthousiasme missionnaire. (Ibid., n. 80: AAS 105 (2013), 1053)
Du Vatican, le 22 octobre 2017
XXIXème Dimanche du Temps Ordinaire
Mémoire de saint Jean-Paul II
Journée Mondiale des Missions