Le Pape, Amoris laetitia et les cardinaux : Un silence assourdissant selon l’abbé Barthe

Publié le 21 Juin 2017
Le Pape, Amoris laetitia et les cardinaux :  Un silence assourdissant selon l'abbé Barthe L'Homme Nouveau

Mardi 20 juin a été rendue publique la lettre que les quatre cardinaux, auteurs des dubia adressées au Pape François à propos de l’interprétation d‘Amoris laetitia, ont envoyée au Souverain Pontife au mois d’avril dernier pour lui demander une audience. Dans les deux cas, les cardinaux n’ont reçu aucun réponse. Rappelons que les dubia répondent à une procédure habituelle dans l’Église, prenant la forme de questions écrites de façon très précises afin de conduire à une réponse sans équivoque. Elles sont adressées par des inférieurs auprès de l’autorité légitime et constituent, de soi, une reconnaissance, non seulement de cette autorité et de sa légitimité, mais aussi du fait qu’elle seule peut apporter les éclaircissements demandés. N’ayant pas obtenu de réponses à ces dubia, les cardinaux ont donc demandé une audience. L’absence de réponse les a conduits à rendre publique cette demande d’audience. C’est ce qui permet au quotidien La Croix de parler étrangement de « cardinaux frondeurs ». Après l’interprétation qu’a donnée de cette démarche le philosophe moraliste Thibaud Collin, nous avons demandé à l’abbé Claude Barthe, spécialiste des questions touchant à l’Église en général et au Vatican en particulier, de décrypter pour nous cet événement.

Le fait que la lettre au Pape des cardinaux Caffarra, Burke, Meisner, Brandmüller, pour lui demander audience soit restée sans réponse, provoque des réactions indignées partout dans le monde, spécialement en Italie et en France. Comment analysez-vous cet événement ?

Il y a deux aspects, que relèvent d’ailleurs les vaticanistes italiens. D’une part, le silence du pape, qui ne répond pas aux cardinaux qui l’ont interrogé au sujet de la rupture magistérielle du chapitre 8 d’Amoris lætitia, et qui ne répond pas aujourd’hui à leur demande d’audience, est un silence assourdissant. D’autre part, les cardinaux (ceux qui apparaissent dans cette démarche et ceux qui les soutiennent) ont choisi de rendre publiques leurs interventions : ce qui laisse penser qu’il y aura une suite dans la ligne de la « correction fraternelle », respectueuse mais ferme, sur laquelle ils se sont ainsi placés.

C’est là une situation toute nouvelle ?

Une situation nouvelle pour eux, c’est vrai, mais pour bien d’autres c’est une vieille histoire. Certains aspects ecclésiologiques du concile Vatican II avaient provoqué une grande commotion dans l’Église, avec beaucoup de réactions de « non-réception ». En revanche, la morale conjugale, qui semblait devoir être entraînée dans le même tourbillon, est restée quant à elle solide : Humanæ vitæ, de Paul VI, en premier lieu, et tout le corpus d’enseignement moral qui a été élaboré comme une sorte de suite de l’encyclique, et aussi comme une suite de l’enseignement de Pie XII, l’instruction Donum vitæ, les encycliques Evangelium vitæ, Veritatis splendor, l’exhortation Familaris consortio, les parties morales du Catéchisme de l’Église catholique. Il faut noter que le cardinal Caffarra, qui assume aujourd’hui une position de pointe, a été, comme Président de l’Institut Pontifical Jean-Paul II d’Études sur le Mariage et la Famille, à l’Université du Latran, l’un des grands artisans de cet enseignement dit « de restauration ». Mais voilà qu’aujourd’hui cette digue morale cède elle aussi avec Amoris lætitia. Les défenseurs du magistère moral antérieur se trouvent dès lors exactement dans la situation qui fut celle des défenseurs du magistère ecclésiologique antérieur : on ne leur répond pas. Sauf que les questionneurs d’aujourd’hui sont cardinaux de la Sainte Église romaine.

Vous faites allusion pour le passé aux questions que Mgr Lefebvre posait à propos de la liberté religieuse et de l’œcuménisme, par exemple ?

Pas seulement à Mgr Lefebvre et pas seulement aux interrogations sur la liberté religieuse et l’œcuménisme. Les questions les plus fondamentales, à mon avis, ont été celles posées à propos l’autorité de l’enseignement suprême depuis Vatican II. Ce concile ayant décidé de ne pas élaborer d’enseignements nouveaux portant la note d’infaillibilité (le fameux « concile simplement pastoral »), les points qui faisaient difficulté pour la minorité conciliaire ont été placés dans une catégorie nouvelle, chèvre-choux, qui n’engageait pas vraiment, et qu’on a qualifiée de « magistère simplement authentique ». Mais du coup, l’enseignement moral qui a suivi – bien que fondé sur la loi naturelle – a tout normalement été qualifié lui aussi de « simplement authentique », non infaillible. D’où la contestation théologique progressiste qui n’a jamais cessé contre Rome jusqu’au pontificat actuel, contestation ecclésiologique (Drewermann, Jacques Dupuy), politique (les théologiens de la libération), mais surtout morale (Curran, Fuch, Thevenot, le cardinal Martini avec ce qu’on a appelé son « programme de pontificat », etc.).

C’est d’ailleurs pourquoi des moralistes américains, le Père John Ford et Germain Grisez, de l’Université Notre-Dame, mais aussi le Père Ermenegildo Lio, de l’Université alphonsienne à Rome, voulaient que l’on déclarât que cet enseignement moral était, par sa nature même, infaillible. C’est précisément à l’occasion des colloques organisés par l’Institut Jean-Paul II du cardinal Carlo Caffarra, à la fin des années quatre-vingt, que ces questions étaient débattues. Je me suis joint pour ma part, très modestement, au questionnement de Germain Grisez et du moraliste d’Oxford, John Finnis, auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Sans aucun succès. Et cependant, n’était-il pas vital que les époux chrétiens et les confesseurs sussent si oui ou non la doctrine d’Humanæ vitæ était irréformable ? Mais répondre à la question eût entraîné quelques révisions déchirantes concernant l’autorité que se donnait l’enseignement suprême, révisions qu’on n’a sans doute pas voulu risquer.

Mais justement, on parle aujourd’hui de la « réinterprétation » officielle d’Humanæ vitæ. Qu’en pensez-vous ?

C’est gravissime. En réalité, les principes posés par le chapitre 8 d’Amoris lætitia peuvent d’ores et déjà servir à « réinterpréter » Humanæ vitæ. Le n. 301 de l’exhortation explique qu’

« il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite “irrégulière” vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. [… Un sujet] peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute ».

Il est clair que si cela est vrai de l’adultère, c’est vrai a foritiori de la contraception. Il n’empêche que si l’on en venait à contredire Humanæ vitæ noir sur blanc, si je puis dire, l’effet sera ravageur. Ceci dit, Dieu ne permet le mal que pour en tirer un plus grand bien. Les crises ont cette vertu qu’elles permettent d’aller à la racine du mal. Et cette racine est magistérielle. C’est très opportunément que Thibault Collin, que vous interrogiez le 20 juin, vous répondait en citant un discours de Paul VI en 1972 :

« Nous voudrions, aujourd’hui plus que jamais, être capables d’exercer la fonction, confiée par Dieu à Pierre, de confirmer nos frères dans la foi. Nous voudrions vous communiquer ce charisme de la certitude que le Seigneur donne à celui qui le représente sur cette terre, quelle que soit son indignité ».

D’où le questionnement depuis cinquante ans pour solliciter cette confirmation.

Les adversaires des cardinaux dubitantes les accusent de vouloir, sous couvert de questions, imposer en fait leurs propres réponses au Pape ?

Ils questionnent parce qu’on a toujours fait comme cela dans l’Église à l’égard des pasteurs, auxquels on demande le pain de la parole et de la grâce. Mais il est vrai qu’au fond de leurs questions pointe une « correction fraternelle », ou si l’on veut une demande, une pétition, bien plus radicale : que les pasteurs, et d’abord le premier d’entre eux, soient vraiment des pasteurs.

Philippe Maxence

Philippe Maxence

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneÉglisePatrimoine

La prison de saint Paul à Césarée 

Focus | La prison de saint Paul à Césarée a été découverte il y a quelques semaines sous les vestiges du palais d’Hérode. D’après les Actes des Apôtres, Paul aurait été détenu à Césarée de 58 à 60, sans que le procureur ne prenne de décision quant à son jugement.

+

centurion Césarée st Paul

Vous souhaitez que L’Homme Nouveau poursuive sa mission ?