Introït du premier dimanche de Carême :
« Le Seigneur t’abritera à l’ombre de ses ailes et sous son pennage tu espéreras. Comme d’un bouclier, sa fidélité t’entourera. » (Psaume 90, 4-5)
Commentaire spirituel
Le psaume 90 (91 selon la tradition hébraïque) est un psaume de confiance. C’est pour cela qu’il a été placé par la liturgie à l’office des complies, au soir de la journée, et au premier dimanche de Carême, à toutes les pièces de la messe sans exception. La confiance est le sentiment que l’Église veut communiquer à ses enfants au seuil de l’austère quarantaine. Elle est tout spécialement le fruit de cet offertoire et de la communion qui reprendra exactement le même texte.
Dans ce texte, le Seigneur est comparé d’abord à un oiseau. On ne sait pas de quelle espèce il s’agit, d’un aigle ou d’un moineau, d’une poule ou d’un rossignol. Mais peu importe, au fond. L’idée, c’est que l’oiseau en question, quelle que soit son envergure, protège ses petits contre toutes sortes d’ennemis en étendant ses ailes au-dessus d’eux. Dans l’Évangile, le Seigneur a utilisé cette image en se comparant lui-même justement à une poule cherchant à rassembler sa progéniture non seulement autour d’elle mais sous elle, comme pour leur assurer la protection maximum. Tous les animaux et même les petits d’homme ont d’ailleurs ce réflexe de se réfugier dans le sein maternel. Et il est touchant d’observer avec quelle rapidité, quelle brutalité même parfois pour la maman qui se laisse faire, les poussins se jettent sous leur mère. Et si la mère se déplace, les petits se marchent dessus plutôt que de perdre la place de choix de cet asile. C’est une belle réalité naturelle et très émouvante. C’est que pour ces petits, il n’y a de sécurité dans leur vie si fragile, que dans ce sein d’où ils sont sortis mais où ils ont encore laissé tout leur amour. Pour un petit animal comme pour un petit d’homme, et cela peut durer longtemps chez ce dernier, la maman est son unique amour, sa force, son refuge.
Qu’a donc voulu dire l’Église à ses enfants avec tant d’insistance, au seuil du Carême ? L’Église est mère, l’Église est une maman. Sa tendresse pour ses enfants, c’est-à-dire pour toute l’humanité, est sans limites. Et pourtant, ce qui est beau, c’est qu’elle n’invite pas ses enfants à se réfugier en elle, mais dans le Seigneur. L’image poétique si suggestive franchit un premier seuil : de maternelle, elle devient paternelle. Pour la mère elle-même, le refuge est ailleurs qu’en elle-même. Avec ses petits, elle a encore besoin d’une force supérieure qui n’est là que pour exercer sa fonction protectrice. La mère ne fait pas que protéger : elle nourrit, elle donne sa substance, elle communie. Le Père, lui, est étranger à tout ce courant de vie intime qui explique cette tendresse facile et réflexe entre la mère et l’enfant. Mais son rôle est vraiment d’entourer tout son petit monde de la douceur de sa force. Dieu lui a donné cette force, même physique mais aussi morale, pour cela d’abord. Le père est une force protectrice.
Et le texte scripturaire franchit alors un deuxième seuil : l’image de l’oiseau attribuée au Seigneur cède la place à l’image guerrière : celle du bouclier du soldat qui le protège contre les traits de l’ennemi. Admirons la perspicacité de l’Église qui a su dénicher un tel texte pour l’appliquer aux fidèles juste au début du Carême. L’image de la maman réunissant ses petits sous ses ailes évoque déjà la présence d’ennemis éventuels. Mais celle du bouclier nous établit explicitement dans un contexte de combat. Le Carême est un combat spirituel. L’exemple du Seigneur entrant au désert est très présent dans la liturgie de ce premier dimanche de Carême. Le démon, dit saint Pierre, tel un lion rugissant, rôde autour de la cité, cherchant qui dévorer. Les quarante jours d’efforts, pour le chrétien, signifient son union au mystère de la souffrance du Christ. Nous mettons nos pas dans ceux du Sauveur et nous sommes protégés par son autorité, sa puissance, sur l’ennemi, par sa fidélité à notre égard. Notre espérance ne se situe que derrière ce bouclier de la grâce. Admirons comment le texte nous fait passer de la douceur fragile et maternelle, si nécessaire à notre faiblesse, à la force inexpugnable du bouclier de la fidélité de Dieu. Nous avons besoin des deux, et plus exactement, ces deux réalités ne font qu’un en Jésus. Munis de sa douceur et de sa force protectrices, nous pouvons entrer dans le Carême avec confiance et sécurité, et marcher joyeux vers la croix et la résurrection.
Commentaire musical
L’offertoire du 8ème mode respire la confiance absolue et doit être chanté de façon joyeuse et ferme. Une nuance d’insouciance perce même à travers cette mélodie au rythme alerte. Le 8ème mode est également le mode de la certitude et ce sentiment se dégage du chant, notamment grâce aux longues qui sont situées sur la dominante Do du mode. L’offertoire est constitué de trois phrases mélodiques plutôt courtes, qui culminent sur la deuxième, avec le verbe sperábis.
L’intonation est élancée et ferme. Les deux accents au posé de scápulis et de suis, le syllabisme du premier mot, la tierce majeure Sol-Si naturel de l’accent de suis, contribuent d’emblée à donner l’impression de joie, de sécurité, de légèreté, de confiance, de certitude. Après l’intonation, la mélodie s’élève et s’élance sur obumbrábit et sur tibi. La joie s’est accentuée. Seul l’accent de tibi mérite un épanouissement chaleureux, au sommet Do-Ré de cette première phrase. La retombée, au contraire, se fait pleine de douceur, ramenant la mélodie dans l’ambitus restreint La-Fa de la finale. La tendresse et la reconnaissance s’expriment dans ce resserrement mélodique sur la personne du Seigneur comparé à l’oiseau qui étend ses ailes sur ses petits. L’accent au levé de Dóminus, puis la cadence très caressante, à la fois sobre et ferme, concluent cette première phrase toute simple.
La deuxième phrase reprend du mouvement. La mélodie de et sub pennis reprend celle de obumbrábit, mais au lieu de retomber comme elle, elle se maintient sur la dominante Do jusqu’à ejus dont la formule très belle évoque presque le vol plané de l’oiseau. La note longue suivie de la descente mélodique par degrés conjoints, donnent à ce passage l’impression d’une confiance absolue. Cette descente doit être prise avec un grand legato, un élargissement progressif, un léger crescendo à mesure que l’on descend vers la cadence, une cadence qui n’arrête en rien le mouvement, mais qui oriente toute vers le verbe sperábis, sommet de toute la pièce. Comme il est beau le mouvement de l’espérance, lancé sur la première syllabe, comme il est ferme aussi, bien appuyé sur le double Do de l’attaque de l’accent, et tout épanoui en légèreté avec son double Ré aigu qui précède la cadence finale de cette courte phrase ! La cadence en Si naturel sonne de façon très originale. Finissant sur le demi-ton Do-Si, elle donne l’impression de laisser le chant comme en suspension. Le texte ailé est bien rendu à plusieurs reprises par la mélodie. On peut dire qu’elle exploite toutes les richesses de l’image de l’oiseau. Le sens premier du texte est bien la protection assurée par les ailes déployées de l’oiseau au-dessus de ses petits. Mais pour mieux rendre cette confiance, la mélodie ajoute l’expression du vol de l’oiseau qui plane dans les hauteurs. Cela se perçoit très nettement tout au long de cette deuxième phrase et notamment sur sperábis.
Enfin la troisième phrase renchérit encore sur les deux premières. L’attaque et le déploiement immédiat à l’aigu de scuto maintient l’atmosphère du vol, alors pourtant qu’on est passé à une autre idée, celle du bouclier. Il y a donc une sorte de fondu-enchaîné et de passage très réussi entre les deux images. Les deux notes longues et fermes de scuto, sur le Do aigu, nous font contempler les ailes déployées de l’oiseau comme un bouclier suspendu, et c’est ainsi que l’on quitte la première image pour garder la seconde, exprimée de façon suggestive par la puissante montée mélodique de circúmdabit. Montée puissante mais qui reste tendre et douce, les eux images n’étant jamais séparées vraiment par la mélodie. En tout cas, la montée sur l’accent doit être bien large, bien chaude. La descente est plus légère, avec toutefois une distinction verbale bien nette entre les deux t, le t final de circúmdabit et le t initial de tequi doit être pris avec beaucoup de fermeté. Le dernier membre de phrase, véritas ejus, apporte une nuance nouvelle et c’est le Sib de véritas qui la fournit. Alors que jusqu’ici tous les Si de la pièce étaient naturels, ce Sib, en connexion étroite avec le Fa, sous tonique du 8ème mode, très peu rencontré jusqu’ici, confère tendresse et fermeté à ce mot véritasqui exprime dans la Bible non pas tant la vérité que la fidélité de Dieu. Cette fidélité à toute épreuve est aussi amour et miséricorde. La finale de la pièce nous laisse dans cette atmosphère bénie d’espérance fondée sur ces deux sentiments traduits musicalement : solidité du Fa et douceur du Sib.
Vous pouvez écouter l’introït ici.