Historien de l’Église, biographe et journaliste bien connu, Yves Chiron s’est penché – cinquantenaire oblige – sur le Mai 68 de l’Église. Comme il le fait remarquer, « Mai 68 n’a pas donné lieu à des manifestations d’anticléricalisme ou d’hostilité au christianisme comme en ont provoqué de façon sanglante la. Révolution de 1789 ou la Commune de Paris en 1871. ». De fait, comme il le note très justement également : « c’est de l’intérieur, que des chrétiens, des prêtres, des théologiens ont porté la contestation de leur Église. »
C’est donc l’histoire de cette contestation qu’il retrace, au moins dans les grandes lignes, remettant en mémoire ou révélant un certain nombre de faits qui illustrent l’état dans laquelle se trouvait l’Église au moment de l’irruption révolutionnaire du printemps de 1968. L’historien ne s’est pas focalisé sur la période de la contestation étudiante mais englobe toute l’année 1968 dans son évocation, voire un peu au-delà quand il s’agit d’en voir la portée et les conséquences.
Quelle année ! Le temps passant, nous avons oublié la figure de Camilo Torres, prêtre révolutionnaire, mort les armes à la main et célébré par une partie du catholicisme français. Le souvenir du « Carême pour notre temps» du Père Cardonnel s’est estompé lui aussi ainsi que les prises de position de Mgr Marty, tout juste nommé archevêque de Paris et intronisé le jour de la fermeture de la faculté de Nanterre. Le long gouvernement du cardinal Lustiger, porté par le pontificat de Jean-Paul II, a renvoyé au loin cette période.
À l’époque rappelle justement Yves Chiron, Jean-Marie Lustiger était un jeune abbé dynamique, à la tête du Centre Richelieu, qui adopta une sorte de position centriste (le terme n’est pas de l’auteur), attentif aux évènements mais aussi, comme il le déclarera plus tard soucieux « de rester des adultes durant toute cette période où beaucoup de gens ont perdu le sens des responsabilités. Il n’était pas facile de demeurer des interlocuteurs pacifiques, critiques, proches par l’acceptation des évènements, distant par le jugement, l’appel à la réflexion ». L’auteur examine aussi rapidement les secousses provoquées par 68 dans les séminaires, les couvents et les monastères et s’attarde également au suivi de la crise à Rome, et notamment aux réactions de Paul VI.
Mais 1968, on l’oublie trop souvent également, ne fut pas seulement, en tous les cas pour l’Église, le seul moment de la contestation étudiante. Théologie de la libération, affaire du Catéchisme hollandais, réception d’Humanæ vitæ, proclamation du Credo du peuple de Dieu appartiennent aussi à cette période. L’auteur s’y intéresse de près, offrant une synthèse sur chacun de ces sujets, le replaçant également dans une évaluation qui veut prendre en compte le temps long.
La difficulté, qui peut désarçonner parfois le lecteur, mais on espère qu’il passe outre, viendra peut-être du fait que l’auteur passe de l’évocation de l’Église dans sa dimension universelle à celle des évènements français. Il était bien évidemment impossible, sauf à donner une autre dimension et une autre portée à ce travail, d’évoquer dans le détail l’année 1968 pour chaque pays ou chaque continent.
De ce fait, synthèse est bien le mot qui définit ce petit livre, étayé par la présentation de faits et d’évènements précis. Paradoxalement, l’auteur s’est surtout penché sur l’institution ecclésiale, comme on l’aurait fait avant Vatican II. Certes il cite nombre de laïcs – dont Marcel Clément et L’Homme Nouveau – et évoque, quoique succinctement, la participation des responsables ou des membres des mouvements d’Action catholique à Mai 68. Mais il s’agit là encore une fois de mouvements dépendants directement de l’épiscopat. On comprend que pour l’unité de son propos, il se soit limité à ce côté institutionnel. Il serait intéressant d’élargir l’enquête pour déterminer comment Mai 68 fut vécu par des œuvres catholiques « non mandatées » comme le fut, par exemple, l’Office international des œuvres de formation civique et d’action doctrinale selon le droit naturel et chrétien de Jean Ousset qui représentait alors une force non négligeable. Œuvre vouée à la lutte anti-révolutionnaire, aussi bien dans la société que dans l’Église, comment fut-elle affectée par Mai 68 et par la contestation intérieure dans l’Église ?
Étrangement, l’Église de ce temps nous semble loin, aussi bien ses espoirs que dans une partie de ses folies. Pour beaucoup, nous en dépendons pourtant, même si comme le souligne Yves Chiron, Mai 68 ne constitue pas l’an I de la crise de l’Église en France. L’effondrement des ordinations sacerdotales est un bon indicateur des conséquences de ces années, même si les causes sont multiples et parfois plus anciennes. Par ailleurs, c’est dans cette période que se manifestent diverses réactions à la crise et que l’auteur présente rapidement en conclusion.
L’Eglise dans la tourmente de 1968, Yves Chiron
Artège, 274 pages, 17 €