Dans un entretien accordé à M. l’abbé Tanoüarn dans Monde et Vie (« L’Église est-elle contre la liberté ? », octobre 2019, pp. 22-23), l’essayiste catholique François Huguenin prend la défense de l’Église catholique contre ceux qui l’accusent d’être liberticide. C’est évidemment le contraire qui est vrai. Toutefois certains des arguments qu’emploie M. Huguenin paraissent incompatibles avec l’enseignement moral de l’Église, en particulier avec celui de Paul VI dans Humanae vitae. Vu que la question dépasse la simple opinion d’une personne particulière et qu’elle a une portée générale, le père Antoine-Marie de Araujo, de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier a voulu apporter quelques précisions.
Merci à M. Huguenin de rappeler la conception classique de la liberté, « pouvoir de faire le bien. » En revanche ses critiques contre l’enseignement moral de l’Église nous paraissent indéfendables. Il dit : « Que l’Église donne un certain nombre de principes sur la sexualité ne me paraît pas absurde, mais qu’elle aille voir ce qui se passe dans la chambre à coucher d’époux dûment mariés me paraît très excessif. » Cette phrase est difficile à comprendre. S’il y a un lieu où les principes sur la sexualité devraient s’appliquer, c’est de préférence dans les chambres à coucher. Peut-être M. Huguenin souhaite-t-il que l’Église autorise la contraception artificielle pour les époux ? Pourtant c’est un principe fondamental de la doctrine catholique, que jamais la sexualité ne soit séparée de sa divine fonction procréatrice. C’en est aussi un des plus beaux. La célèbre conversion du protestantisme de Scott Hahn eut pour point de départ sa découverte de l’enseignement catholique sur la contraception (S. et K. Hahn, Rome sweet Home, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 1999, p. 30 ss.) : de même que l’alliance entre Dieu et les hommes est une alliance de vie, de même son image, l’union des époux, est ouverte à la vie.
Puis M. Huguenin a d’autres griefs : « Et que le droit canon mette dans le même chapitre des péchés contre la chasteté la masturbation, l’adultère et la pédophilie me paraît une aberration représentative d’une névrose. La masturbation est un acte qui questionne la chasteté. En revanche l’adultère est d’abord un péché contre la fidélité. Quant au viol ou à l’abus sexuel, c’est une atteinte profonde à la dignité de la personne. Aujourd’hui on mélange tout. » Le Code de droit canonique ne parle pas de masturbation. Le Catéchisme de l’Église catholique en traite sous le chapitre commun des « offenses à la chasteté » (n°s 2351-2356) avec l’adultère et les divers abus sexuels. Si ce regroupement traduit une névrose, alors saint Paul est gravement atteint : « Mortifiez donc vos membres terrestres : fornication, impureté, passion coupable, mauvais désirs, et la cupidité qui est une idolâtrie ; voilà ce qui attire la colère divine sur ceux qui résistent. » (Col. 3, 5-6)
Certes, masturbation, adultère et abus sexuel diffèrent par leur gravité. Néanmoins il serait vain d’isoler la masturbation des autres péchés sexuels. Ces actes ont pour traits communs :
- l’égoïsme en matière sexuelle : il y a refus du don de soi et de l’ouverture à la vie que Dieu a voulus pour l’acte procréateur. S’y ajoute une injustice plus ou moins grave envers autrui, de la perversité, etc…
- l’intempérance : tout usage légitime et libre des plaisirs liés à la vie (nourriture, sexualité) suppose une maîtrise de soi par la raison, en quoi cette maîtrise se distingue du « refoulement » freudien.
La masturbation est égoïste et sape la maîtrise de soi. Elle peut devenir un véritable esclavage. Elle dispose ainsi à l’adultère et, de façon plus lointaine mais réelle, à commettre l’abus sexuel. Croit-on vraiment qu’on va lutter efficacement contre les abus en légitimant la masturbation ? Au contraire, celui qui cultive la pureté (ou du moins lutte en ce sens) sera beaucoup moins enclin à tromper son conjoint, et, bien sûr, à perpétrer un abus sexuel. Seulement cela suppose de modérer ses pulsions, et de reprendre toujours le combat sans se décourager malgré les chutes, car la liberté – la vraie, celle que l’Église veut pour ses enfants – se conquiert par une persévérance confiante en la grâce de Dieu.
Sans aller jusqu’à mettre lui-même l’Église en procès, M. Huguenin a parfois trop tendance à plaider coupable à sa place.