Dans peu de jours, ce sera Noël. Une heureuse fois encore. Notre petit Roi d’humilité vient nous sauver et nous apprendre à vivre dans l’humilité. À l’inverse des bergers, les hôteliers n’ont pas reçu la leçon. À l’inverse de Pilate, Paul, sur le chemin de Damas, s’est laissé subjuguer.
À dire vrai, les hôteliers de Bethléem sont plus myopes que méchants. Quant à Pilate, à la suite d’Origène, les Pères anciens lui attribuent un ton ironique au procès du Seigneur (Origène in Mt. N° 118 ; Theoph. in Luc) ; mais comme saint Jean l’évangéliste, le pape émérite Benoît XVI voit en Pilate un diplomate soucieux avant tout d’imprimer la force pacifiante du droit romain, pax romana, et le voilà déconcerté et bousculé (Jésus de Nazareth, III, p, 217). Si Jean attribue aux Juifs la mort de Jésus, il pense pour l’essentiel à l’aristocratie du Temple : nulle connotation raciste d’antisémitisme chez lui, il est lui-même fier de sa race juive, celle de Jésus et de Marie. Donc, il convient de laisser à Pilate, avec sa prudence romaine, une certaine droiture d’intention mêlée même de candeur dans son dialogue avec le Seigneur. Pareillement, laissons les hôteliers à leurs comptes d’apothicaire qui rendent myopes vis-à-vis de l’imprévu.
Bethléem attendait le Messie prophétisé et l’a raté. Quant à Pilate, il interroge Jésus sur sa royauté, puisque les Juifs présentent ce chef d’accusation. La réponse de Jésus le met dans une étrange situation : l’accusé reconnaît ce qu’on lui reproche, tout en soulignant la totale originalité de sa royauté, règne non-violent et sans aucune menace contre les règlements romains (op. cit. III, p. 218). Pilate est tenté de voir en ce roi minable quelque chose d’irréel, un pur fantasme. Et comme ceux de Bethléem, il rate le rendez-vous.
Il en va de même pour notre époque. En quoi ce roi nous concerne-t-il ? « Jésus fait reposer son concept de royauté et de règne sur la vérité comme catégorie fondamentale », répond avec netteté Benoît XVI. Malheureusement, l’humble vérité est inaperçue des hôteliers fébriles et affairés, ridiculisée par le ton désabusé du sceptique et pragmatique Pilate. Notre temps en reste officiellement à ces non-réponses. La conception moderne du grand commerce, celle de l’État, durcie et fragilisée, refuse le dialogue qui garde plus que jamais toute sa pertinence. Pie XI fut bien inspiré d’instituer la fête du Christ-Roi en l’entre-deux-guerres symptomatique de l’évanescence où se meurt le politique ancré dans le bien commun.
La question de la vérité
Mais voilà saint Paul sur le chemin de Damas : comme les bergers, il ne refuse pas la question sur la vérité révélée, sur la vérité en son entier pour « éclairer tout homme venu en ce monde ». Aux Colossiens, il répond avec zèle ce qu’auraient dû dire les hôteliers ou Pilate, dépassés par la situation. Il faut avec simplicité et ferveur rendre « grâces à Dieu le Père, qui en nous éclairant de sa lumière, nous a rendus dignes d’avoir part au sort et à l’héritage des saints. » Car « Il est l’image du Dieu invisible, et qui est né avant toutes les créatures… nous arrachant à la puissance des ténèbres, et nous faisant passer dans le royaume de son Fils bien-aimé, par le sang qui nous a rachetés : c’est par Lui que nous avons reçu la rémission de nos péchés. Tout a été créé par lui et pour lui » (Col 1, 12-16). À Pilate, Jésus dit avec une solennité simple et déconcertante : « Je suis né pour ceci » (Jn 18, 37). Saint Jérôme voit ici que Jésus « laisse entendre qu’il préexistait à sa naissance temporelle, et que sa naissance » à Noël jusqu’à sa mort au Calvaire « était l’exécution d’un dessein auquel il coopérait lui-même : Je suis ici dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Hom 84, 1).
Devant Timothée, Paul, heureux vaincu du chemin de Damas, manifeste son admiration pour l’attitude de Jésus à Noël ou devant Pilate : « Jésus-Christ a rendu sous Ponce Pilate une si belle confession à la vérité » (I Tim 6, 13). Notre-Dame garde cette « si belle confession » en son Cœur Immaculé, depuis l’Annonciation, depuis Noël jusqu’au dernier soupir au Calvaire. Salve porta ex qua mundo lux est orta : Vous êtes la porte qui a attiré les bergers et subjugué Paul. Par vous, nous faisons connaissance avec la lumière véritable venue éclairer tout homme en ce monde, nous laissant joyeusement subjuguer à notre tour.