La pastorale autour des sacrements a été influencée ces dernières décennies par la vision de Karl Rahner. Ce théologien et philosophe développa une nouvelle vision du pluralisme religieux moderne, persuadé que le christianisme devait se resituer dans l’histoire du Salut à l’aune de la modernité. Une thèse aux conséquences très lourdes pour l’Église contemporaine.
C’est une gageure de présenter la pensée de Karl Rahner en quelques lignes. Ce jésuite allemand (1904-1984) est l’un des théologiens qui a eu le plus d’influence dans l’Église des années postconciliaires. Il nous intéresse ici relativement à son influence sur la pastorale et l’administration des sacrements. Il s’agit de nommer les racines de cette influence. Celles-ci sont d’abord philosophiques.
Le mystère chrétien revu
En effet, la Compagnie de Jésus l’avait d’abord destiné à l’enseignement de la philosophie, avant qu’il ne bifurque vers la théologie. Son doctorat de philosophie, L’Esprit dans le monde (1939), pose les bases d’une approche de l’esprit humain qui irriguera toute son exploration future du mystère chrétien. Rahner, qui a suivi les cours de Heidegger à Fribourg-en-Brisgau, y fait un commentaire d’un article de la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin qu’il lit en s’inspirant de la démarche du père Joseph Maréchal. Celui-ci, théologien jésuite, avait lui-même tenté de réconcilier la critique de Kant et la métaphysique de saint Thomas. Ces épousailles contre nature de l’idéalisme et du réalisme, dûment critiquées par Étienne Gilson [1], engendrent un monstre : le thomisme transcendantal. Qu’est-ce à dire et quels en sont les conséquences quant à la pastorale ? Son fondement est une critique de la conception réaliste de la connaissance au profit de l’affirmation d’un dynamisme de l’esprit humain. Pour Rahner, l’esprit est toujours déjà en possession d’une connaissance implicite de l’universalité de l’Être qu’il s’agit d’objectiver. L’homme en tant que sujet connaissant transgresse donc toujours sa propre finitude puisqu’il est ouvert non pas simplement à tel ou tel être mais à tout l’Être, donc ultimement à Dieu lui-même. Cette ouverture, Rahner la nomme « expérience transcendantale », c’est-à-dire condition de possibilité d’une connaissance des êtres finis et ouverture vers une transcendance. Avec cette expérience originaire, « est donné pour ainsi dire un savoir anonyme de Dieu » [2]. Telle est la racine de la célèbre thèse selon laquelle tous les hommes sont des « chrétiens anonymes », ce qui au premier abord semble désenclaver la foi chrétienne mais en réalité risque d’en dissoudre…